L’échec est un diplôme: ces illustres exemples le prouvent
Ce n’est pas encore entré dans notre culture, mais l’échec loin d’être une tare, est souvent un passage obligé vers le succès. Que peut-on apprendre de ses échecs ? Comment faire le tri entre les bonnes et les mauvaises erreurs ? Les exemples d’EVS, Colruyt, de Gaulle ou encore Keith Jarrett.
En janvier 1975, une Allemande de 17 ans, Vera Brandes, convainc le musicien Keith Jarrett de donner un concert à l’opéra de Cologne. Mais quand le grand jazzman monte sur scène quelques heures avant le concert, c’est un désastre ; l’opéra avait livré un mauvais piano : un instrument désaccordé, trop petit, dont les feutres étaient usés et dont les pédales ne fonctionnaient plus. Keith Jarrett dit alors : ” si vous ne trouvez pas un autre piano, je ne jouerai pas “.
Vera Brandes s’affole car elle sait qu’il est impossible de trouver un autre instrument en si peu de temps. Mais elle réussit tout de même à trouver un accordeur. Puis elle va trouver Keith Jarrett, qui attend dehors, dans un taxi. Elle passe de longues minutes, sous la pluie, à essayer de convaincre le musicien qui finit pas céder : ” O.K., dit-il, mais n’oublie jamais que je le fais pour toi. ”
Le concert de Cologne est aujourd’hui le disque le plus vendu de Keith Jarrett, un monument dans l’histoire du jazz. Car ce soir-là, le musicien dut réinventer sa manière de jouer : en raison de la faiblesse du piano, il évita les notes aiguës, et comme les feutres étaient usés, il dut marteler l’instrument en se mettant parfois debout pour se faire entendre jusque dans les derniers rangs. Résultat : une mélodie envoûtante, unique, énergique et apaisante à la fois.
Cette histoire, l’économiste Tim Harford (lire aussi son interview ci-après) la raconte souvent pour expliquer que, souvent, quelque chose de meilleur naît de l’erreur et de la pagaille. Tim Harford (1) n’est pas le seul à penser de la sorte.
The logic of failure, Failing Forward, Failure : why science is so successful… Promenez-vous sur Amazon… la littérature de l’échec est abondante.
Pourquoi l’échec est nécessaire
Tim Harford n’est pas loin de penser que l’échec est devenu une étape indispensable pour mener une idée à bien. Car dans un monde qui se complexifie de jour en jour, il y a de moins en moins de personnes chanceuses ou disposant de la science infuse capables de mettre sur pied du premier coup un projet qui fonctionne.
Dans un monde aussi complexe, de moins en moins de personnes sont capables de mettre sur pied du premier coup un projet qui fonctionne.
” Au cours du 20e siècle, nous avons connu, malgré les guerres, une amélioration très importante de notre niveau de vie. Mais si vous regardez plus en détail, vous voyez s’échelonner faillite d’entreprise après faillite, ajoute Tim Harford. La croissance apparaît comme un processus réalisé par des idiots qui essaient des choses et qui les ratent. ” Il y a un siècle, la septième plus grande compagnie du monde s’appelait Singer, et faisait des machines à coudre. Ces produits sont aujourd’hui dans les musées.
Pourquoi ces disparitions innombrables ? ” Dans nos villes, à New York, Paris, Tokyo, nous avons peut-être 10 milliards de produits ou de services différents. Il n’y a pas de recette – en tout cas je n’en ai pas – pour savoir lequel va être un succès, et lequel non, avoue Tim Harford. Nous faisons donc des erreurs. ”
” Nous avons besoin de rencontrer la résistance du réel pour prendre la mesure de notre talent, abonde le philosophe Charles Pépin (2). On pourrait objecter que si Edison a réalisé des milliers d’expériences avant d’inventer la lampe à incandescence, ce n’était pas une nécessité de passer par là. Et bien d’autres inventeurs ont multiplié les expériences et les échecs sans aboutir à un résultat. ” Oui, c’est une objection de taille, avoue Charles Pépin. Nous pourrions nous dire que nous inventons un lien de causalité entre ces échecs et la réussite qui n’existe pas dans la réalité. Peut-être est-ce vrai dans certains cas. Mais dans leurs témoignages, Charles de Gaulle, Churchill ou encore la romancière J.K. Rowling disent l’ inverse “.
Les grandes découvertes sont indissociables des grands échecs. Thomas Edison a réalisé des milliers d’expériences avant d’aboutir à la lampe électrique. Plus près de nous, Elon Musk, fondateur de PayPal, a mordu bien des fois la poussière avant de réussir à populariser la voiture électrique avec sa Tesla, et de rêver à coloniser la planète Mars avec sa société SpaceX qui est aujourd’hui un partenaire de la Nasa. En 2008, Tesla, à court de liquidités, a pourtant bien failli mourir. Mais, quelques heures avant la déclaration de faillite, Elon Musk réussit à trouver de nouveaux financements. La même année, SpaceX échoue trois fois à lancer une fusée dans l’espace, ce qui aurait pu valoir sa perte. Heureusement la quatrième tentative est la bonne et SpaceX devient la première société privée à lancer un engin spatial.
Car une des vertus de l’échec est d’apprendre la résilience. ” Lorsque l’on a connu plusieurs échecs, on sait que ce n’est pas fatal, note Charles Pépin. Charles De Gaulle a vécu une vingtaine d’années d’échecs. Lorsqu’il lance de Londres son appel du 18 juin, c’en est un de plus. Ils sont très peu à le rejoindre. Mais il peut le supporter, il lance quand même le mouvement de résistance et en fait une réussite. Il explique dans ses mémoires que s’il n’avait connu que ce seul échec du 18 juin, celui-là l’aurait mis à terre “.
” Certains échecs, poursuit Charles Pépin, permettent de nous rendre plus forts, de nous conforter dans la voie que nous nous sommes tracée. D’autres mènent à des bifurcations existentielles. ” Charles Darwin, s’il n’avait pas échoué dans ses études de médecine et de théologie, n’aurait jamais embarqué sur le Beagle et ne serait jamais devenu le naturaliste révolutionnaire que l’on sait.
Bien échouer, c’est tout un art
Le tout n’est pas d’échouer. Encore faut-il le faire bien.
Quels critères permettent de distinguer les bons échecs des mauvais ? ” Le premier est l’audace, répond Charles Pépin. Nous n’avons pas complètement échoué si nous avons tenté quelque chose d’audacieux. La sanction du réel est alors plus douce, car dans le simple fait d’avoir tenté, nous avons exprimé notre vitalité. Une deuxième ligne de partage, c’est la singularité : la manière dont j’ai échoué est-elle originale ou pas ? Si oui, nous avons davantage de chances de réussite future. ”
Il conviendrait donc de réformer notre manière de penser, et cela dès l’école : les enseignants doivent s’intéresser aux ratages comme aux réussites.
Mais Tim Harford met en garde. Il y a plusieurs obstacles sur la route qui mène de l’échec à la réussite.
Le premier est la pression sociale. ” Il est difficile de prendre une direction si tout le monde en prend une autre “, dit-il. On voit en effet que si dans un groupe tous les membres sauf un avancent la même mauvaise solution à un problème, le dernier n’osera pas proposer une meilleure option. ” Cependant, pour aboutir à quelque chose de neuf et d’innovant, il faut dépasser cette pression “, souligne-t-il. La recette consiste donc à promouvoir dans un groupe la diversité des opinions. ” Après avoir commis de grandes erreurs, le président Kennedy avait décidé, quand il fallait discuter de grands problèmes, de diviser ses conseillers en deux groupes, devant défendre des options différentes “, rappelle l’économiste. Il faut des discussions contradictoires pour aboutir à une bonne solution.
Le deuxième danger est de ne pas avoir de bon feed-back. C’est bien d’avoir une belle idée. C’est bien de pouvoir la mettre en oeuvre. Mais il faut aussi un mécanisme pour vérifier qu’elle fonctionne.
Le troisième est de commettre des erreurs longues et coûteuses à réparer. En 1959, l’industriel Henry Kremer offrit un prix à celui qui arriverait à faire voler un avion propulsé à la seule énergie humaine. Celui-ci devrait effectuer un huit sur une distance de trois quarts de kilomètre. Il y eut de nombreuses tentatives infructueuses. Ce n’est qu’en 1977 que Paul MacCready, un ingénieur du MIT, réussit l’exploit. Comment ? ” Il était parti d’un point différent des autres “, explique Tim Harford. Les autres construisaient des prototypes très élaborés, qui nécessitaient des semaines voire des mois de réparation après chaque crash. Paul MacCready, lui, construisit un avion modulaire, très facile et très rapide à réparer. Il put ainsi multiplier les tentatives à moindre coût et remporta le prix.
Et puis, il faut se méfier de soi-même : nous n’aimons pas perdre. Et lorsque l’on est confronté à un échec, à une perte, nous avons tendance à nous obstiner. Au risque d’aggraver la perte. C’est un comportement bien connu en finances : les investisseurs qui achètent une action qui baisse ont tendance à en acheter encore plus, se disant qu’ils referont leur perte quand l’action remontera…
Un combat philosophique ?
Cette nouvelle approche de l’échec, plus à l’anglo-saxonne, est en train de monter en puissance dans nos pays.
Ainsi, l’association startups.be qui s’adresse à 1.500 jeunes pousses dans le pays, organise chaque année une conférence sur cette thématique de l’échec positif : failing forward. Depuis cinq ans, chaque mois de novembre, une vingtaine de conférenciers expliquent en quoi ils ont appris de leurs échecs. ” Ce projet est d’ailleurs devenu beaucoup plus ambitieux depuis six mois, explique Frederik Tibau, content director auprès de startups.be. Grâce au soutien du gouvernement flamand, startups.be va aussi se déployer au niveau local, en organisant une conférence tous les mois, dans une ville de Flandre ou à Bruxelles. En janvier, ce sera à Courtrai.
Les grandes découvertes sont indissociables des grands échecs. Thomas Edison a réalisé des milliers d’expériences avant d’aboutir à la lampe électrique.
La manière dont on a accueilli la mise en redressement judiciaire de la start-up Take Eat Easy l’an dernier est également un signe que les perceptions évoluent. La fin de la start-up belge spécialisée dans la distribution de repas n’a pas été reçue que négativement. La prise de risques des quatre fondateurs a été saluée. Ils ont même été nommés ” personnalités de l’année 2016 ” par le journal L’Echo.
Changer les mentalités prendra cependant du temps. ” On observe encore aujourd’hui des réactions très négatives face à l’échec, observe Frederik Tibau. Les gens nous racontent qu’ils ont perdu des amis après une faillite. Pourtant, l’échec n’est pas une tare. Aux Etats-Unis, cela ne pose pas de problème de mentionner ses échecs sur un CV. Mais nous n’en sommes pas encore là chez nous. ”
Cette différence entre Anglo-Saxons et Européens continentaux reposerait-elle sur une différente approche du monde ? Charles Pépin le pense. ” A force de chercher la vérité essentielle et l’absolu, nous, les continentaux, nous nous disons nuls quand nous avons échoué. Nous glissons d’une simple expérience de l’échec à une ‘essentialisation’. Nous nous identifions à nos échecs. ” Alors que les philosophes anglais, plus pragmatiques, s’intéressent surtout à l’expérience, non aux vérités absolues…
Il conviendrait donc de réformer notre manière de penser, et cela doit commencer dès l’école : les enseignants doivent s’intéresser aux ratages comme aux réussites, et ” ne pas rater les ratages intéressants “, dit Charles Pépin.
Et cette révolution doit se poursuivre en entreprise. ” Beaucoup de grandes entreprises n’ont pas la culture de l’erreur. ” On voit très souvent des élèves brillants faire ensuite de grandes études, rentrer dans de grandes entreprises puis à l’occasion d’une prise de risque, se tromper et se faire placardiser ensuite. ” C’est une incroyable erreur, affirme Charles Pépin : Nous sommes tous des enfants de l’échec, pour une simple raison : les hommes sont des animaux ratés. L’animal ne peut pas échouer parce que tout ce qu’il fait, il le fait d’instinct. Mais chez l’homme, l’instinct est défaillant et compensé par la culture, l’apprentissage, le tâtonnement, et donc les erreurs. Nous ne sommes ni des dieux, ni des machines, ni des animaux. Nous sommes des hommes, avec cette liberté d’essayer, de progresser et d’échouer… ”
(1) Tim Harford, Echouez si vous voulez réussir, Editions De Boeck, 14,90 euros
(2) Charles Pépin, Les vertus de l’échec, Allary Editions, 18,90 euros
Auteur de “The Undercover Economist”, best-seller mondial, Tim Harford est un des économistes et chroniqueurs (BBC, “Financial Times”) les plus populaires au Royaume-Uni.
Il s’est intéressé à l’échec, ou plutôt aux “échecs productifs”, dans un ouvrage récemment traduit en français(1). Sa conviction : dans un monde de plus en plus complexe, la solution aux défis qui nous sont posés ne vient généralement pas d’une illumination, d’un coup de génie. Elle vient plutôt d’un processus d’adaptation, dans lequel il nous faut accueillir les erreurs, tâtonner, s’adapter, etc.
TRENDS-TENDANCES. Quel est alors le rôle du manager ?
TIM HARFORD. Un manager peut permettre de réaliser certaines expériences, et leur impulser une certaine direction. Il existe un nombre infini d’expériences, et autant d’erreurs possibles. Il faut donc dessiner une direction.
Donc l’idée d’un “deus ex machina”, d’un Steve Jobs créant l’iMac ou l’iPhone à partir d’une illumination est une idée fausse ?
Je crois en effet qu’elle est fausse. Steve Jobs était un génie, mais il n’a pas créé l’iPhone à partir de rien. L’écran tactile est une invention du Royal Radar Establishment, une institution publique britannique ; une bonne partie des algorithmes ont été inventés par des mathématiciens travaillant pour l’armée américaine ; les puces, le GPS, le wi-fi… Aucune de ces inventions n’a été trouvée par Steve Jobs. Il bénéficié de toutes les expériences, de tous les échecs avant lui. En revanche, il a rassemblé toutes ces pièces pour en faire cet objet. Cet assemblage n’est pas le fruit du hasard, il a réalisé un travail formidable.
Mais ce n’est pas toujours évident de savoir si nous faisons une erreur….
C’est en effet un point important. Nous devons prêter davantage attention au processus selon lesquels nous identifions les erreurs et nous les corrigeons rapidement.
Comment savoir alors ?
Il y a deux grandes manières de procéder. Soit en réunissant une grande quantité de données. Par exemple : je ne sais pas quel est le meilleur design pour mon site internet, alors je crée plusieurs sites différents et je vois celui qui marche le mieux. Il y a aussi une méthode plus informelle et plus légère. Je demande un feed-back, un retour, sur mon site à quelqu’un. Toutefois, nous ne sommes généralement pas trop demandeurs de feed-back. En outre, le retour doit avoir un sens. Je faisais une conférence voici trois ans sur l’innovation. Les gens venaient me voir et disaient “félicitation, excellent, très bien “… Ce n’était pas ce dont j’avais besoin. Puis l’organisateur de la conférence, Ted, est venu me voir. Il m’a dit : “Vous avez parlé du Spitfire, le chasseur britannique. Le public, international, ne sait pas nécessairement à quoi cela ressemble. La prochaine fois, montrez une photo”. Voilà un feed-back parfait. La question est toujours de voir ce que nous pouvons améliorer.
Mais dans les grands groupes, le feed-back a souvent du mal à remonter vers les bonnes personnes. On l’a vu par exemple avec le ” dieselgate” qui a empoisonné la vie de VW.
En effet. Les grands groupes ont de nombreux avantages : ils ont davantage de moyens pour faire du lobby, ils peuvent créer des économies d’échelle. Ils peuvent aussi faire beaucoup d’erreurs, de tentatives, sans que cela détruise l’entreprise. Mais clairement, leur grand désavantage est en effet que le feed-back est souvent très, très pauvre. Et l’on voit avec le temps que très peu de grandes entreprises conservent leur statut. Qui se souvient encore d’Anaconda (premier groupe minier au début du 20e siècle), J&P Coats (géant du textile), International Harvester (trust actif dans la construction, les machines agricoles, le transport) ?
Vous dites qu’il vaut mieux procéder pas à pas, par tâtonnement et adaptation progressive. Mais est-ce toujours la bonne méthode ?
Parfois, nous avons en effet besoin d’innovations radicales. Je cite l’exemple de Keith Jarrett et de son concert à Cologne (voir l’article ci-contre). Il faut parfois adopter une position totalement différente. Reprenons l’exemple de l’iPhone. Quand Apple l’a introduit sur le marché, c’était un grand changement. Mais ensuite, ce processus de “pas à pas” a repris : une série d’applications ont été apportées, certaines ont été des succès, d’autres pas. J’ajouterai que pour encourager ces sauts, il ne faut pas négliger le long terme et les aides publiques à la recherche. Les prix à l’innovation, financés par les gouvernements, qui mettent des entreprises privées en compétition et qui encouragent la découverte de solutions en vue d’atteindre certains objectifs sociétaux sont pour moi une très bonne chose. C’est Napoléon qui a lancé un prix afin de trouver un moyen pour conserver la nourriture, et ce prix fut gagné par Nicolas Appert, qui inventa la stérilisation et ouvrit la première usine de conserves au monde.
Il faut disposer des bons incitants. Nous aurions par exemple besoin de nombreux projets pour tenter de réduire les émissions de carbone et le changement climatique, mais nous n’avons pas un prix du carbone qui récompense correctement ces expérimentations, et donc nous n’avons pas autant d’innovations que nous le souhaiterions dans ce domaine.
“Vous ferez des erreurs. Faites en sorte qu’elles soient les moins chères et les plus rapides possible.”
On ne peut pas toujours glorifier l’erreur : vous prenez l’exemple de l’industrie financière, où certaines mauvaises idées ont pris très rapidement une grande ampleur…
… et au final vous avez réalisé un essai, mais qui se révèle en effet extrêmement coûteux. Prenez l’exemple des CDS, (ou credit default swaps, ces nouveaux instruments financiers permettant de s’assurer contre des risques, même des risques que l’on n’a pas, et qui ont permis de spéculer sur la faillite d’une entreprise ou d’un pays). En très peu de temps, l’encours de ces produits dérivés est passé de zéro à des dizaines de trillions de dollars. Je ne crois pas que le secteur financier commette davantage d’erreurs que d’autres, mais ces erreurs peuvent représenter rapidement des montants très importants.
Comment les gouvernements peuvent-ils favoriser ce processus d’apprentissage, d’adaptation, d’innovation pas à pas ?
La première question à se poser est de savoir comment nous pouvons bâtir une plateforme à partir de laquelle de nouvelles entreprises pourront émerger, et de nouvelles idées éclore. On connaît les principes de base : une bonne éducation, de bonnes infrastructures, une réglementation raisonnable que les gens puissent intégrer et comprendre.
Si vous aviez un conseil à donner aux jeunes entrepreneurs ?
Attendez-vous à commettre des erreurs, mais faites en sorte que ces erreurs soient les moins chères et les plus rapides possible. Comment y arriver ? Moins chères en réfléchissant au design de l’expérimentation. Quant à la rapidité du résultat, elle est souvent fournie par la rapidité de l’accès aux données. Le gouvernement britannique a eu recours à un Behavioural Insights Team (une équipe spécialisée dans l’analyse des comportements, Ndlr), qui l’a par exemple conseillé dans la meilleure manière de recouvrer l’impôt. Elle a pu réaliser des expérimentations sur des très courtes périodes (en envoyant divers types de lettres de rappel par exemple, Ndlr) et en avoir les résultats très rapidement. Les gens qui entreprennent ont bien sûr des idées. Mais s’ils commettent les “bonnes” erreurs et excellent à les corriger, alors ils réalisent de bien meilleures choses.
Star wallonne des nouvelles technologies, leader mondial des enregistreurs a ralenti, EVS présente une histoire qui, elle aussi, est faite de tâtonnements et d’échecs, rappelle le cofondateur du groupe actuel, Laurent Minguet.
Au départ, au début des années 1980, EVS est un petit studio spécialisé dans les simulations vidéo pour les architectes. C’est un ami, Pierre L’Hoest, qui attire Laurent Minguet dans cette entreprise dont il devient le premier ingénieur en développement. Le studio développe une palette graphique et des outils permettant des incrustations vidéo. EVS vend sa machine à la RTBF, qui s’en servira, entre 1988 et 1996, pour sa séquence météo.
Parallèlement, vers la fin des années 1980, EVS songe à un enregistreur numérique double entrée, permettant d’enregistrer et de jouer simultanément sur une mémoire RAM (les disques durs à l’époque étaient chers et encore peu fiables). Le produit connaît un certain succès. De nouveaux actionnaires montent au capital. Mais lorsque survient la première guerre du Golfe et le ralentissement économique qui s’ensuit, les chaînes de télévision restreignent leur budget, et EVS tombe en faillite en 1992.
L’entreprise est reprise par un groupe d’actionnaires, dans lequel on trouve le groupe Defi et Meusinvest. Après 18 mois, au vu des faibles résultats, le syndicat abandonne. Un administrateur provisoire est nommé. “Nous lui disons, Pierre L’Hoest et moi, que le produit d’avenir est un enregistreur à ralenti fonctionnant non plus sur de la mémoire ram, mais sur disque dur”, explique Laurent Minguet. Mais personne n’a envie de mettre à nouveau de l’argent dans le projet. Nous décidons alors de reprendre les actifs”.
Pendant les premiers mois, EVS survit, notamment en bradant son stock d’anciennes machines. EVS termine 1994 à l’équilibre, réalisant un chiffre d’affaires de 1 million d’euros. Et, entre-temps, les ingénieurs liégeois parviennent à mettre au point leur enregistreur à ralenti sur disque dur. L’année suivante, EVS commence à les commercialiser. Les responsables rencontrent alors ceux de Panasonic lors de la foire de Los Angeles. Le groupe japonais est le fournisseur d’équipements pour les Jeux olympiques d’Atlanta. Bingo, les enregistreurs EVS intéressent fortement Panasonic, qui développe alors une caméra super motion (permettant de prendre trois fois plus d’images qu’une caméra normale). EVS fournira l’enregistreur live slow motion, qui accompagne l’objet. EVS Broadcast est lancé pour de bon. Il dégage aujourd’hui un chiffre d’affaires d’environ 130 millions d’euros et pèse 440 millions d’euros en Bourse…
De toutes ces expériences, Laurent Minguet retient qu’il est encore trop difficile en Belgique de faire faillite, ce qui peut faire peur à certains qui voudraient lancer de nouveaux projets. Le goût d’entreprendre du Liégeois reste cependant bien vivace. Il a quitté le conseil d’EVS en 2010, mais poursuit divers projets. Il a repris voici un an Green Propulsion, ancienne spin-off de l’Université de Liège spécialisée dans les moteurs hybrides. Il a repris l’entreprise de chauffage et d’électroménager Deravet. Et il a lancé sa maison d’édition, Now Future, qui publie notamment les mémoires de Bernard Wesphael.
Jef Colruyt, le patron du grand groupe de distribution, est un personnage discret. Pourtant, lors de la conférence failing forward, organisée en novembre par startups.be, le patron du grand groupe de distribution a abordé de front sa philosophie d’entreprise, dans laquelle l’échec tient une place importante.
La réussite d’un projet dépend du franchissement de plusieurs étapes, explique-t-il. “Il faut d’abord être habité par un rêve profondément vécu, qui fait vibrer mon coeur et mobilise mon talent. Plus le rêve est clair et fort, plus l’énergie qu’il mobilise est forte et plus il a de chance de devenir réalité”. Il faut ensuite établir un plan, en partant non du rêve, mais de ce qui est disponible.” Nous l’avons vécu en 1960. Nous avons mis sur la table ce qui était disponible, nous avons démarré le premier des magasins Colruyt que vous connaissez, un entrepôt de 600 m2, avec des rayonnages pris de notre cash and carry et nous avons commencé avec des prix 10 % moins chers que la concurrence. Combiner le rêve et le plan, cela s’appelle le budget.”
Une fois le plan établi, on considère trois scénarios : le plus positif, le plus raisonnable, le plus noir. Et l’on s’interroge : ” Sommes-nous capables d’accepter cette dernière option ? Il faut pouvoir regarder l’échec avant de commencer.” Voilà pourquoi il vaut toujours mieux commencer petit.
“Nous avons frôlé la faillite trois fois dans notre histoire”, rappelle Jef Colruyt. En 1944-45, juste après la guerre. Au début des années 1960 lorsque les supermarchés sont arrivés. Et en 1982-83 lorsque Aldi est entré sur le marché belge. Colruyt s’en est chaque fois sorti en se réinventant.
“Sur nos projets en moyenne, un est un grand succès, deux atteignent l’équilibre et le quatrième est un grand échec.” Car l’échec peut venir de n’importe où.
“Nous avons perdu 20 millions dans un projet qui consistait à produire notre électricité à partir d’huiles usagées. Nous n’avons pas vu venir une nouvelle réglementation européenne obligeant les pétroliers à utiliser au moins 5 % d’huiles usagées dans la production de carburant. Le prix des huiles usagées a triplé et notre plan fut mis par terre.”
Il faut donc toujours regarder la possibilité d’un échec “et se demander ce que je suis prêt à perdre en argent et en ego, et ce que je vais en apprendre”, conclut le patron de Colruyt.
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