Le secteur équin wallon s’exporte à Dubaï
Le sud du pays dispose d’atouts indéniables pour le développement du business du cheval. Une mission économique organisée par l’Awex à Dubaï a embarqué plusieurs entreprises wallonnes à la recherche de débouchés au Moyen-Orient. Avec de vrais succès à la clé.
Une soixantaine d’entreprises wallonnes viennent de revenir de Dubaï, un pôle économique majeur au Moyen-Orient, où elles ont intensément prospecté en vue de décrocher de nouvelles relations d’affaires. Au sein de cette délégation réunie par l’Awex (Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers) et WBI (Wallonie-Bruxelles International), un accent particulier était porté sur le secteur équin. Un petit groupe de PME wallonnes actives dans cette filière économique à haut potentiel a pu bénéficier d’un programme sur mesure visant à créer de nouveaux ponts avec les Emirats arabes unis, et plus largement avec la région du Golfe.
Certains de ces ponts existent déjà. Pour s’en rendre compte, il faut sortir de Dubaï et prendre la route en direction des installations de Mehmood Anzac, qui élève des chevaux en plein désert. Spécialisés dans les courses d’endurance, ces animaux particulièrement affûtés sont capables de parcourir 160 kilomètres au galop. En hiver, ils participent à des courses au Moyen-Orient. En été, lorsque les températures sont trop élevées à Dubaï, certains chevaux sont transportés dans le petit village de Wanne, près de Stavelot. Depuis cette base wallonne, ils sont préparés, soignés et entraînés pour les compétitions européennes.
Si cet éleveur de pur-sang a fait le choix de la Wallonie, ce n’est pas par hasard. La Région dispose d’une vraie tradition du cheval et d’un beau pedigree en matière de sport équestre de haut niveau. Les performances des athlètes belges sont remarquées, comme le démontre la dernière médaille olympique en saut d’obstacles par équipe. Et les installations équestres belges sont particulièrement prisées. D’après les derniers chiffres récoltés par le Centre européen du cheval (CEC), le territoire belge accueille plus de 400.000 équidés, dont 130.000 en Wallonie. Cela fait de la Belgique le pays européen affichant la plus grande densité de chevaux au kilomètre carré. Un quart de ces chevaux sont destinés à la compétition, un quart à l’élevage, et le reste à la pratique de loisir.
Le business du cheval est devenu mondial. Avec sa longue tradition équine, la Wallonie peut raisonnablement espérer en profiter.
6.500 emplois
Tous ces chevaux créent de l’activité économique. D’après le CEC, le business du cheval pèse un milliard d’euros en Wallonie et emploie 6.500 personnes (emplois directs et indirects). Même si la Flandre la surpasse assez nettement en termes de volume (270.000 chevaux qui génèrent plus de 2,5 milliards d’euros), la Région tire son épingle du jeu sur la carte européenne: sur l’ensemble du continent, l’économie du cheval représente en effet quelque 100 milliards d’euros. Depuis quelques années, la filière wallonne tente de se structurer afin de renforcer son poids économique en Belgique et à l’étranger. Les entreprises actives dans le secteur se coalisent au sein du cluster Equisfair. Ce dernier réunit aujourd’hui une trentaine d’entreprises et ambitionne de rassembler prochainement jusqu’à 60 acteurs wallons du cheval.
A la tête du cluster Equisfair se trouve Didier Serteyn. Professeur à l’ULiège, il y dirige la clinique équine de la faculté de médecine vétérinaire. En tant que président d’Equisfair, il se démène pour montrer tout le potentiel économique de la filière du cheval. Il était évidemment du voyage à Dubaï, où il a accompagné les démarches des sociétés wallonnes membres du cluster.
Des chevaux aux chameaux
Didier Serteyn se rendait également aux Emirats pour promouvoir les services de Revatis, une spin-off de l’ULiège dont il assure la direction. L’ambition de cette jeune biotech est de régénérer des organes qui ont subi des lésions, à partir de cellules souches. Ce processus vise à traiter des pathologies fréquentes chez les chevaux de course, comme la tendinite ou l’arthrose. A Dubaï, la société a signé deux accords de partenariat. Le premier memorandum of understanding a été conclu avec la société saoudienne Sky Atlas Trading dans l’enceinte du pavillon belge de l’Expo universelle en présence de représentants de l’Awex et du ministre-président de la Région wallonne, Elio Di Rupo . Les deux partenaires se sont engagés à créer un laboratoire en Arabie saoudite, qui devrait voir le jour dans les six mois.
En Belgique, la société travaille sur des traitements pour chevaux. Dans le laboratoire qui ouvrira prochainement en Arabie saoudite, l’idée est de se consacrer à d’autres animaux, en l’occurrence aux chameaux. Dans ce pays comme aux Emirats arabes, la course de chameaux est en effet une activité locale encore plus populaire que les compétitions de chevaux! Ça tombe bien: la société Sky Atlas Trading est détenue par une famille saoudienne spécialisée dans l’élevage de chameaux de course. “C’est la première fois qu’ils investissent dans une biotech”, souligne Didier Serteyn (Revatis). Le montant de l’investissement n’est pas connu mais la mise en place du laboratoire devrait coûter environ 600.000 euros. Revatis et son nouveau partenaire créeront une joint-venture locale, dans laquelle la société wallonne souhaite garder entre 20% et 40% des parts.
La société a signé un deuxième accord avec une entreprise émiratie, également dans le secteur du chameau. La spin-off de l’ULiège va développer des études cliniques portant sur la curcumine sous forme soluble dans le but de traiter les maladies respiratoires des animaux à bosse.
Si Revatis essaime au Moyen-Orient, c’est bien en Belgique, et plus précisément au parc scientifique Novalis de Marche-en-Famenne, que la société a son unité de production. Pour réaliser ses tests et ses recherches vétérinaires sur les chevaux, elle profite des installations du Centre européen du cheval à Mont-le-Soie (CEC). Situé au nord de la province du Luxembourg, dans une région qui dispose des espaces propices à l’élevage des chevaux, ce centre bénéficie de toute l’infrastructure nécessaire pour évaluer les performances des chevaux de compétition. “Le but est de devenir un centre de recherche et d’innovation pour la filière équine”, explique l’omniprésent Didier Serteyn, qui dirige le CEC depuis une vingtaine d’années.
Athlètes de haut niveau
A Mont-le-Soie, on accueille des chevaux de course pour tester leurs performances et déceler d’éventuelles anomalies ou blessures. Bardés de capteurs, les animaux courent sur un tapis de course ou sur les pistes de trot et de galop spécialement aménagées pour analyser leur allure. Des accéléromètres étudient la vitesse de l’animal. Des capteurs de pression placés sur les sabots alertent sur une éventuelle blessure à une jambe. Des capteurs de mouvement positionnés sur la tête du cheval permettent de déceler une compensation de la bête, signe d’une possible boiterie. Des cardio-fréquencemètres analysent le rythme cardiaque et la résistance aux efforts intenses. “Ces check-up sont faits tous les trois mois dans une optique de prévention”, explique Jean-Philippe Lejeune (CEC).
Les chevaux de course sont devenus de véritables athlètes de haut niveau. Soumis à des efforts intenses, leurs corps font l’objet de toutes les attentions. Pour des raisons sportives, mais aussi économiques. Un cheval de compétition vaut plusieurs centaines de milliers d’euros, voire plusieurs millions s’il fait partie de l’élite mondiale et que son origine génétique est favorable. La reproduction de chevaux de course est aussi devenue une activité florissante, à laquelle le CEC participe. Le centre dispose d’une cuve d’azote liquide dans laquelle sont conservées les semences de 150 étalons, qui peuvent être utilisées sur place ou expédiées à l’étranger en vue d’une insémination. Le business du cheval est en effet devenu mondial. Un cheval américain peut être croisé avec un arabe pour satisfaire les besoins d’un éleveur argentin. Des compétitions huppées sont organisées aux quatre coins du monde. La Wallonie, en tant que région disposant d’une longue tradition équine, peut raisonnablement espérer en profiter.
Liège fait voler les chevaux
C’est le sens de l’installation du Horse Inn à Liège Airport. Cet “hôtel pour chevaux” dispose de 55 box totalement équipés pour accueillir dignement les animaux voyageant en avion. Ce type de transport particulier nécessite une logistique millimétrée, dans laquelle l’aéroport de Liège peut se prévaloir d’une expertise reconnue. L’été dernier, c’est via Liege Airport qu’ont transité une grande partie des chevaux participant aux J.O. de Tokyo. Plus de 350 chevaux de classe mondiale ont été envoyés au Japon à partir de la ville wallonne, avec une escale à Dubaï, siège de la compagnie Emirates qui s’est spécialisée dans ces vols très spécifiques.
Au-delà de ce transport prestigieux, plusieurs centaines de chevaux passent chaque semaine par le Horse Inn. Si de nombreux grands événements internationaux ont été annulés en raison de la crise sanitaire, l’occupation des lieux n’a pas baissé. Au contraire: “Notre taux de fréquentation a augmenté de 20% sur les trois dernières années”, avance Christian Jaucot, responsable du Horse Inn. Les chevaux de course ne sont en effet pas les seuls à voyager. “Le cheval est devenu un bien de consommation comme un autre, pointe Christian Jaucot. Les ‘chevaux de commerce’ représentent une part croissante des transports de chevaux par avion. De plus en plus de consommateurs achètent leur cheval sur internet et se le font livrer.” Comptez tout de même un forfait d’environ 10.000 euros pour une expédition “standard” d’un équidé par voie aérienne.
Si ces animaux ne font que passer par Liège, ils positionnent la ville wallonne sur la carte internationale du marché mondialisé du cheval. La Wallonie est également connue pour ses espaces propices à l’élevage et pour ses performances en sport de haut niveau, qui ont vu certains champions comme Grégory Wathelet (n°1 belge du saut d’obstacles et médaillé olympique) développer de belles installations (élevage, reproduction).
Cheval connecté
Mais ce qui manque, par rapport à la Flandre, ce sont des infrastructures sportives haut de gamme, estime Didier Serteyn. “La Wallonie ne dispose pas d’infrastructures comme celles que l’on peut retrouver à Knokke ou Wolvertem. Mais elle a d’autres cartes à jouer, notamment dans la recherche et l’innovation. Il ne faut pas avoir de complexes. Par exemple, à Dubaï, il n’y a pas de foin: ils le font venir du Canada. Pourquoi ne pourrait-on pas se positionner sur ce marché? Notre foin est aussi bon que le canadien.”
Sans complexes, c’est comme ça que Sophie Roscheck s’est d’ailleurs présentée à Dubaï. La fondatrice de la société Ekism commercialise un “carnet digital” à destination des propriétaires de chevaux qui souhaitent suivre l’évolution de leur animal, tant au niveau sportif que médical ou alimentaire. La mission économique lui a permis de rencontrer des partenaires potentiels, notamment le responsable d’une écurie de sport située à proximité de l’hippodrome de Dubaï, qui s’est montré intéressé par ses outils numériques. Dans un tout autre domaine, Vincent Nizet a rencontré aux Emirats des éleveurs, des cliniques vétérinaires et des distributeurs de produits équestres. Sa société, UVmastercare, commercialise une solution de désinfection par rayons ultraviolets. Initialement destinée aux milieux hospitalier, pharmaceutique et de la dentisterie, la machine développée par cette jeune société a déjà été vendue à plus de 250 exemplaires, aux quatre coins du monde. Le secteur équin, dans lequel la transmission des maladies est également un sujet majeur, est une source de diversification particulièrement intéressante pour Vincent Nizet, qui a déposé offre auprès de deux potentiels clients émiratis séduits par sa solution. Les premières touches du cluster équin wallon au Moyen-Orient demandent confirmation, mais elles sont prometteuses.
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