Le magasin multimarque Pax fait de la résistance

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Caroline Lallemand

Alors que les boutiques de mode indépendantes peinent à garder la tête hors de l’eau, le magasin multimarque Pax résiste en affirmant son identité “streetwear”. Pour ses 25 ans, son gérant, Olivier Noirhomme, retrace son parcours fidèle à l’âme du lieu et en phase avec les évolutions du secteur.

Velvet, Mr Ego, Blender… Bruxelles compte quelques belles références en matière de mode streetwear. Parmi elles, Pax, boutique multimarque indépendante implantée dans le quartier Saint-Boniface depuis 2000, fait figure de pionnière. Elle se distingue en cultivant une identité propre : un espace éclectique où vêtements, chaussures et accessoires se mêlent à des éléments vintage chinés avec soin.

Olivier Noirhomme a repris les rênes du magasin situé rue de la Paix fin 2020. Ex-employé, il en est devenu le gérant lorsque Serge Bainvol, l’ancien propriétaire, a voulu tout arrêter. Le jeune quadra a alors décidé de racheter l’affaire avec deux associés. Depuis, il s’attache à préserver l’âme du lieu – le décor n’a quasiment pas changé depuis son ouverture – tout en l’adaptant aux contraintes actuelles du secteur. Une clientèle fidèle et multigénérationnelle, âgée de 20 à 50 ans, continue de pousser les portes de l’enseigne, attirée par une sélection pointue de marques variées telles que Sessùn, Wrangler, Wemoto, Ichi, Lee ou encore Carhartt et Saucony.

Fidèle à son ADN

Olivier Noirhomme “Je ne conseillerais pas ce métier à tout le monde, mais bien à ceux qui ont une vraie passion.” © PG

Pax a traversé les années en restant fidèle à son ADN. Sa longévité repose sur un style qui n’a quasiment pas bougé depuis ses débuts. “Le streetwear est une tendance qui s’inscrit dans la durée. J’essaie de brasser large dans les styles et les modèles. Les clients savent qu’ils peuvent dégoter ici des vêtements classiques ou avec des motifs plus originaux. Chez Lee ou Carhartt, on trouve aussi des pièces assez sobres. Les prix varient de 30 euros pour un t-shirt à une centaine d’euros pour un jeans, détaille Olivier Noirhomme. Je me rapproche plus de la curation, ce n’est pas une simple sélection. Je choisis les pièces au feeling et au coup de cœur, selon les matières, les coupes… J’essaie également d’intégrer des labels bruxellois à l’assortiment.”

Une décennie dorée, puis la dégringolade

Pax, c’est aussi l’histoire d’un commerce qui a connu les heures fastes du retail indépendant dans les années 2000. “Entre 2000 et 2010, c’était vraiment la belle époque”, se souvient l’actuel exploitant.

Mais ensuite, les obstacles se sont enchaînés : la crise financière de 2008, les attentats de 2016, les travaux interminables à la chaussée d’Ixelles toute proche, la crise sanitaire, l’explosion des prix de l’énergie, l’inflation, le recul du pouvoir d’achat… Autant de coups durs qui ont, au fil des années, fait chuter la fréquentation du magasin.

“Depuis deux ans, on sent que les gens réfléchissent plus avant d’acheter. Le shopping ’plaisir’ est devenu un achat de nécessité”, observe Olivier Noirhomme.

Adapter le stock

Le repli de la consommation s’est répercuté sur le chiffre d’affaires du magasin. Il affiche actuellement environ – 30% par rapport à l’âge d’or des années 2000, et – 10 à – 15% depuis 2022. “Après la crise sanitaire, on a senti un souffle nouveau. Les gens avaient retrouvé l’envie de flâner en ville, de refaire les boutiques, de consommer à nouveau, 2021 a donc été une bonne année, 2022 aussi. Mais depuis 2023, on est à nouveau dans une spirale de crise économique. On tient le coup, mais c’est devenu beaucoup plus compliqué. On fait de très bonnes semaines et puis ça retombe”, confie le commerçant.

Dans ce contexte compliqué, une gestion prudente du stock, basée sur l’expérience des ventes passées, est primordiale. La politique est claire : ne pas accumuler, ne pas sur-commander, et éviter les pertes liées à une mauvaise anticipation des tailles ou des modèles, tout en respectant une logique écoresponsable.

Plus que jamais, Pax doit affronter des concurrents de taille omniprésents : les rouleaux compresseurs nommés e-commerce et fast fashion. “Plus de la moitié des achats vestimentaires se font aujourd’hui en ligne en Belgique. C’est énorme”, avance Olivier Noirhomme. Autre difficulté : certaines marques phares ont mis fin à leur collaboration avec les petites enseignes pour concentrer leurs ventes sur leurs propres canaux digitaux.

Une stratégie sobre, mais sincère

Face à ces nouveaux défis, l’enseigne a lancé son e-shop en 2021. Avec des résultats mitigés et un coût opérationnel et logistique qui s’est rapidement révélé peu supportable pour une si petite équipe. “On a investi 12.000 euros sur un an pour la création et la gestion du site et des réseaux sociaux, c’est rien par rapport aux géants du web. En ligne, on affronte des mastodontes, la concurrence est décuplée. Ce n’est pas une bataille perdue d’avance, mais il faut des milliers d’euros par mois pour être visible, des outils performants, des professionnels dédiés… Ce n’est pas notre modèle. On mise plutôt sur le bouche à oreille, le contact humain, les conseils personnalisés et les relations qu’on noue avec nos clients”, détaille Olivier Noirhomme.

Après ce test peu concluant, il a donc décidé de réduire la voilure en ligne et de jouer sa carte maîtresse : l’expérience en magasin. Une stratégie sobre et authentique, mais qui ne sera peut-être pas suffisante, à l’avenir, pour maintenir la boutique à flot.

Le gérant de Pax pilote presque tout en solo, épaulé ponctuellement par ses associés : sélection des vêtements, vente, gestion du stock, comptabilité, communication… Sous la pression du numérique, il a fait un choix pragmatique. La boutique est présente sur les réseaux sociaux, mais la visibilité y reste modeste, entretenue avec les moyens du bord. Pas de community manager coûteux, ni de stratégie de croissance payante. “Quand j’ai un moment, je publie sur Instagram pour mettre en avant une pièce forte. Je ne suis pas un expert du numérique, je préfère consacrer mon énergie à la boutique, commente-t-il. Nous préférons gérer cela nous-mêmes plutôt que d’investir des milliers d’euros de trésorerie sans garantie de retour.”

“Certains clients viennent ici depuis 20 ans. Aujourd’hui, leurs enfants reprennent le flambeau.”
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Tenir bon

En plus de la concurrence de l’e-commerce, l’arrivée des magasins phares des grandes marques à Bruxelles a porté un nouveau coup aux indépendants du streetwear, en grignotant progressivement leurs parts de marché. En 2017, Carhartt a installé son flagship store dans le quartier Louise et le français Sessùn a désormais sa boutique dans la capitale.

“On tient bon, alors que le contexte économique général est compliqué pour l’ensemble du secteur.”

“Forcément, quand ces marques ouvrent leurs propres magasins, ça change la donne. Avant, les clients venaient chez nous spécialement pour du Carhartt. Maintenant, ils ont un grand magasin avec toute la collection pas très loin”, regrette Olivier Noirhomme.

Dans cet environnement hyper concurrentiel dominé par les mastodontes de web et les flagships au design lisse, l’emblématique Pax tient pourtant bon. “On est toujours là, alors que le contexte économique général est compliqué pour l’ensemble du secteur, les petits indépendants comme les plus grands groupes, constate Olivier Noirhomme. C’est une forme de reconnaissance. Certains clients viennent ici depuis 20 ans. Ce sont maintenant leurs enfants qui reprennent le flambeau. Ce n’est pas toujours simple, je ne conseillerais pas ce métier à tout le monde, mais bien à ceux qui ont une vraie passion”, conclut-il.

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