TUI, le roi des voyages à forfait, veut devenir le supermarché en ligne du loisir. Il entend rivaliser avec Airbnb et Booking, qui grignotent des parts sur le marché des voyagistes. Moyennant de sérieux ajustements, notamment en Belgique.
Le premier voyagiste du pays, TUI, est en pleine métamorphose. Il appartient au groupe homonyme allemand, géant mondial du voyage à forfait. Il a survécu à la crise covid, quand ses avions, ses hôtels et ses paquebots étaient vides et que sa maison mère, en Allemagne, a été soutenue, à coups de milliards d’euros, par des fonds publics de Berlin, en bonne partie remboursés.
Ses ventes dépassent même leur niveau d’avant la pandémie, tant en Belgique qu’à l’échelle du groupe : 854,4 millions d’euros en 2024 contre 709,5 millions en 2019 (exercice clôturé fin septembre) pour TUI Belgium.
Retournement de tendance
“Juste après le covid, les gens voulaient voyager, en dépensant même plus qu’avant”, affirme Arjan Kers, manager de TUI pour la Belgique et les Pays-Bas. De nombreuses personnes faisaient confiance aux voyagistes, aux agences et aux voyages à forfait. “Elles sont revenues massivement aux séjours à forfait, ce qui était une bonne chose pour nous”, ajoute Arjan Kers.
Les voyagistes ont bénéficié de l’image positive du secteur lors des annulations liées au covid. Les voyageurs qui avaient fait confiance aux agences et aux voyagistes étaient mieux remboursés et assistés que ceux qui avaient planifié eux-mêmes leur séjour.
Aujourd’hui, les choses changent. “Les gens veulent toujours voyager, mais la sensibilité au prix est redevenue nettement plus importante. Les voyageurs regardent davantage les options en ligne, car tout est devenu plus cher avec l’inflation. Ils pensent mieux contrôler leurs dépenses en réservant vols et logements eux-mêmes sur Airbnb ou d’autres plateformes digitales. C’est le ‘dépackaging’. Ils pensent que c’est meilleur marché, même si en fait ce n’est pas forcément le cas. Une partie des clients est attirée par cette approche.”
Réservations tardives
En outre, beaucoup de vacanciers poussent la flexibilité fort loin, réservant très tard. “C’est une tendance aggravée par les questions géopolitiques, la réservation se fait parfois deux semaines avant le départ”, selon le manager de TUI Belgique.
En quelque sorte, le géant européen du tourisme affronte les plateformes digitales, Booking.com, Expedia et autre Airbnb. Il doit aller plus loin dans l’offre numérique pour s’adapter aux attentes des consommateurs qui ont pris l’habitude de réserver hôtels, gîtes et avions sur leur téléphone.
La tendance est connue dans le secteur. “Le vacancier va de moins en moins sur du voyage ‘packagé’ de 7 ou 14 jours, il va vers le voyage à la carte, flexible, indique un observateur du secteur, qui a longtemps travaillé chez un voyagiste. On ne peut plus faire du business dans le tourisme comme au siècle dernier.”
Devenir un hypermarché digital
Voilà le défi pour TUI, dont l’activité est en majorité constituée par la vente de séjours à forfait. “C’est la raison qui nous pousse, au sein du groupe TUI, à adapter notre offre et notre structure, à proposer plus de flexibilité dans tous nos marchés européens, car la tendance est générale”, analyse Arjan Kers. TUI veut se transformer en hypermarché digital, un Amazon du voyage où les clients choisiront des voyages à forfait fixes ou composeront eux-mêmes leurs vacances en assemblant transport, logement et expériences sur le site ou l’application de TUI, sous une forme de package dynamique, pour tous les types de vacances, y compris dans les pays proches, en voiture.
Cette approche est validée par la société de notation Fitch, qui a attribué une note BB à TUI Group. “Cette plateforme de vente pour l’activité d’intermédiation est une activité évolutive et à faible risque, présentant un potentiel de synergies, d’internationalisation et d’opportunités de ventes croisées.”
L’inverse d’une plateforme digitale
Le groupe TUI est tout l’inverse d’une plateforme purement digitale comme Airbnb ou Booking, ou d’autres sites de réservation de logements ou de vols, tels Kayak ou eDreams Odigeo. Ces derniers ne possèdent aucun actif, aucun hôtel, aucun avion, aucune agence. Ce sont de purs intermédiaires qui se sont rendus indispensables aux hôtels et aux compagnies aériennes, avec des structures de coûts plus légères que celles des voyagistes.
TUI possède 400 hôtels, 130 avions, 18 paquebots, plus de 1.000 agences et emploie 67.000 salariés. C’est le plus grand voyagiste au monde. Il veut se montrer aussi compétitif que ses concurrents digitaux, tout en continuant à servir les clients fidèles aux voyages à forfait. Il estime que posséder des hôtels et des paquebots est un atout pour fournir une meilleure offre, à combiner avec des partenariats pour élargir les propositions. Pour devenir une alternative européenne numérique forte face aux plateformes digitales, surtout américaines.
L’héritage de Jetair
C’est un grand changement pour la filiale belge de TUI, fruit du rachat par le groupe allemand, en 1996, d’un important voyagiste basé à Ostende, Jetair, développé par l’autocariste Gérard Brackx. TUI a d’abord acquis 35%, avant de racheter la totalité des parts en 2001. Le siège de TUI Belgium est d’ailleurs toujours situé dans les bâtiments de Jetair, à Ostende.
“TUI a 16 sites web en Europe, mais dans le futur, il n’y en aura qu’un seul.” – Arjan Kers, manager de TUI pour la Belgique et les Pays-Bas
Pour ne pas troubler la clientèle, la marque Jetair a été longtemps gardée. Des agences de voyages maison couvrent le territoire belge. Et une compagnie aérienne a été créée en 2004, Jetairfly, deuxième compagnie de vols passagers du pays après Brussels Airlines. Ainsi, les activités de TUI en Belgique, depuis 2010 sous la direction d’Elie Bruyninckx, prospèrent. Ce dernier devient même manager de TUI pour l’Europe de l’Ouest (Benelux et France). En 2016, Jetair est remplacée par TUI, sur les avions (TUI fly), les agences et les catalogues.
L’intégration devient aujourd’hui plus profonde. Le groupe fonctionnait comme une fédération de voyagistes. Chaque filiale locale développait l’offre pour son marché, avec des catalogues et des sites web spécifiques, exploitant des infrastructures communes (hôtels, avions, bateaux) et celles de partenaires. La tendance actuelle est à la création d’offres plus globalisées, avec un accent sur la digitalisation.
“Nous avons 16 sites web en Europe, mais dans le futur, il n’y en aura qu’un seul”, détaille Arjan Kers. La Belgique pourrait inaugurer le site.
Une branche belge remaniée
Les changements sont clairs au niveau du management. Elie Bruyninckx a souhaité quitter la maison fin 2024. “Il m’a demandé de lui succéder pour diriger le marché belge”, raconte Arjan Kers, Néerlandais, qui s’occupait déjà des Pays-Bas. S’en est suivi une série de départs, notamment la head of retail distribution Belgique ou la director product BeNe et la director marketing&distribution support BeNe, des fonctions qui disparaissent dans la nouvelle organisation du groupe. Le temps d’un management influent en Belgique, héritage de Jetair, semble aujourd’hui révolu.
“Nous sommes passés de silos régionaux à un modèle de ressources global, explique Arjan Kers. La Belgique fait désormais partie d’une organisation plus intégrée qui aligne les fonctions Tour operating et aériennes à travers les marchés. Cette transformation nous permet de tirer parti de notre envergure, de nous préparer aux nouvelles expansions, de partager les meilleures pratiques et de répondre plus rapidement aux besoins des clients.”
Cette approche globalisée n’est pas forcément centralisée dans un seul siège. “Par exemple, à Ostende, une personne gère toutes les recettes ancillaires des compagnies aériennes du groupe (ventes de services supplémentaires aux passagers, ndlr), poursuit Arjan Kers. Elle décide, entre autres, des changements dans la politique des bagages dans la compagnie britannique.”
Plus de 10% des ventes via les applis
Cette approche mène à une offre globalisée et digitalisée. Une global curated leisure marketplace pour employer les termes maison, que l’on peut traduire par “place de marché globale de loisir sur mesure” ou “plateforme globale de loisirs sélectionnés”.
Les premiers résultats sont encourageants. Le groupe TUI a connu une croissance de ses ventes de 12% pour 2024. Ces dernières dépassant les 23 milliards d’euros, tirées par les activités d’hôtellerie et de croisière. Le bénéfice avant impôts et taxes a progressé à 1,3 milliard d’euros, soit + 33% (507 millions en net). Les bons résultats de l’été devraient permettre de nouvelles croissances et une progression de la numérisation. Lors des derniers résultats trimestriels clôturés fin juin, les achats sur apps représentaient 10,5% des ventes, soit 45% de plus qu’un an plus tôt. Cela devient un canal de vente prioritaire pour le groupe.
Ces chiffres n’ont toutefois pas encore permis à TUI de revenir à sa cotation boursière d’avant covid. La capitalisation se situe autour de 4 milliards d’euros, contre plus de 60 milliards d’euros pour Airbnb. Les investisseurs privilégient toujours les pure players digitaux…

TUI fly réalignée
Parallèlement à ces changements de structure, le groupe ajuste le tir dans plusieurs domaines. Il a passé à la paille de fer les comptes de TUI Belgium, avec une perte de 158 millions d’euros en 2024, qui acte une réduction de valeur sur la participation dans TUI Pays-Bas.
Contrairement aux hôtels et aux bateaux de croisière, TUI connaît des soucis avec ses activités aériennes, où la concurrence est très forte. Cela explique qu’en 2024, la compagnie belge TUI fly a réalisé une perte de 85 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 741,6 millions d’euros. Elle est dans le rouge depuis 2019. Les pertes cumulées dépassent les 600 millions d’euros, alors qu’elle a longtemps été rentable. Les vols long-courriers au départ de la Belgique, devenus déficitaires, ont été arrêtés. Tout comme les vols au départ de Liège et Charleroi. Pour réduire ses coûts, TUI fly va concentrer ses départs à Zaventem, Anvers et Ostende.
Le groupe n’exclut pas de travailler avec d’autres transporteurs. Il le fait avec Ryanair dans certains marchés, “vers des destinations que nous ne couvrons pas avec nos avions”. La collaboration avec Ryanair commencera “sans doute l’an prochain” en Belgique, selon Arjan Kers.
Le vide laissé par Thomas Cook
Tous ces changements sont nécessaires. Car le marché du voyage a toujours été turbulent, au gré des nouveaux acteurs et des nouvelles technologies. En Belgique, le dernier choc remonte à 2019. TUI et Thomas Cook (qui possédait aussi Neckermann) dominent alors le marché. Thomas Cook a fait faillite et n’a été remplacé par aucun autre grand voyagiste. Une partie de la clientèle a été récupérée par TUI. Ainsi que par deux voyagistes plus petits, Sunweb et Corendon, actifs sur les mêmes créneaux, avec des équipes belges légères. Parallèlement, les effectifs des agences de voyage en Belgique ont fortement reculé depuis la faillite de Thomas Cook.
Le défi de la transformation de TUI Group est celui de la perception. Il conserve une forte image de voyagiste traditionnel. Et cela bien qu’il ait depuis longtemps misé sur la vente en ligne, sur le web ou sur les applis. Ainsi, il publie l’avis de ses clients sur les hôtels, avec des cotes sur 10 comme sur Booking. Il y a moyen de réserver vols, vacances et citytrips sur ses applications, et même des expériences (comme Airbnb) : une visite à vélo du domaine de Versailles, des cours de graffiti au Mauerpark de Berlin, des entrées pour la comédie musicale Back to the Future à Londres.
“Dans le futur, les gens vont voyager plus que jamais. Car ils auront plus de temps libre, pense un Arjan Kers, optimiste. En particulier les jeunes générations, qui voudront plus de temps pour profiter de la vie, et non travailler tout le temps comme vous et moi.” Il reste à les convaincre de passer davantage par TUI pour les organiser.
“Dans le futur, les gens vont voyager plus que jamais car ils auront plus de temps libre, en particulier les jeunes générations.” – Arjan Kers, manager de TUI pour la Belgique et les Pays-Bas
Un géant du voyage
Basé à Hanovre, TUI Group est le premier voyagiste mondial. Il emploie 67.000 personnes et est présent dans une centaine de pays. Il s’est développé dans la vente de voyages à forfait, ou “package” (vol + logement). Il est fortement intégré et possède des hôtels (notamment TUI Blue et la très profitable joint-venture RIU), des compagnies aériennes, des paquebots, des agences. Ses principaux marchés sont l’Allemagne, le Royaume-Uni et les pays nordiques.TUI Group est né de l’entreprise Preussag AG, fondée en 1923. Un groupe industriel reconverti dans le tourisme qui a racheté coup sur coup l’allemand TUI, dont il a pris le nom en 2002, Thomson Travel ou First Choice au Royaume-Uni, Jetair en Belgique et Nouvelles Frontières en France.
TUI en Belgique : 2.100 personnes
Les activités belges du groupe TUI sont représentées par plusieurs sociétés, principalement TUI Belgium, TUI Airlines Belgium (compagnie aérienne TUI fly) et TUI Belgium Retail (les agences). L’effectif total, pour le pays, s’élève à 2.100 personnes. TUI Belgium est actionnaire de nombreuses sociétés, dont TUI Airlines Belgium et TUI Belgium Retail, TUI France ou TUI Nederland. Les pertes de TUI Belgium pour 2024 s’expliquent du reste par une réduction de valeur de la participation dans TUI Nederland.Suivez Trends-Tendances sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Bluesky pour rester informé(e) des dernières tendances économiques, financières et entrepreneuriales.