Le fils aîné de Franco Dragone a pris le relais de l’aventure scénique

Souk Wonders, une production multisensorielle, présentée à Riyad. ©Dragone © Dragone
Frederic Brebant
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances 

Décédé à l’automne 2022, le scénographe Franco Dragone a laissé derrière lui une œuvre et une entreprise de spectacles qui séduisent toujours à l’international. Si ses deux fils ont repris la société basée à La Louvière, c’est surtout Lucas qui incarne aujourd’hui la pérennité artistique de la marque Dragone. Gros plan sur un photographe qui marche dans les pas de son père.

Transmettre un savoir, un esprit, une histoire. Samedi dernier, lors de l’inauguration du tout nouveau stade de la RAAL La Louvière, l’artiste Lucas Dragone n’a pas seulement voulu mettre à l’honneur un club de foot, une ville et ses habitants à travers un show étincelant. Il a aussi rendu, à sa manière, un hommage vibrant à son père Franco qui a fortement marqué, de son empreinte, une région devenue soudainement “mondiale” par la grâce d’une certaine Céline Dion. C’était en 2002, la superstar québécoise et le scénographe italo-belge étaient alors au sommet de leur art, et contre toute attente, la chanteuse avait accepté de poser ses valises à La Louvière pour répéter longuement son spectacle A New Day qu’elle allait jouer plus de 700 fois, durant quatre ans, à Las Vegas.

Lucas Dragone ©Schrodinger.be © Schrodinger.be

Aujourd’hui, Franco Dragone n’est plus, mais son œuvre et sa marque demeurent. Si ses deux fils ont pris le relais entrepreneurial à sa mort inopinée en 2022, c’est surtout Lucas, 43 ans, qui est désormais à la manœuvre artistique en Belgique, tandis que son demi-frère Julien suit les affaires de loin, dans son Allemagne natale. Pour avoir accompagné son père durant de nombreuses années, Lucas connaît très bien l’enseigne Dragone, mais il s’est toutefois entouré de deux pointures pour affronter cette nouvelle aventure professionnelle : le Nippo-Américain James Tanabe, CEO de la société Dragone Show Creations dédiée à la production de spectacles à travers le monde, et le Louviérois Kaïs Raddaoui, managing director de l’entité Créations du Dragon, nom du family office qui assure la gestion du patrimoine des deux frères et de l’héritage artistique du père.

L’entreprise ne repose plus sur la tête d’une seule personne, confirme Lucas Dragone. Je n’ai pas le génie de mon père. Je n’ai pas repris ses fonctions. Aujourd’hui, c’est un travail d’équipe et même si nous devons, mon frère et moi, donner notre feu vert pour tout projet qui se dessine, c’est un quatuor qui préside désormais à la destinée de Dragone.”

Une nouvelle ère

À La Louvière, les bureaux qui accueillent l’activité de l’entreprise de spectacles ont fondu comme neige au soleil avec la crise sanitaire. Il y a 15 ans, la société comptait encore une centaine de salariés en Belgique et possédait son propre atelier de costumes jalousé dans le monde entier. La marque Dragone était alors portée par ses shows spectaculaires comme Le Rêve à l’hôtel Wynn Las Vegas ou The House of Dancing Waters à Macao.

Aujourd’hui, l’entreprise louviéroise accueille cinq employés à peine pour mener à bien ses différents projets, évidemment renforcés par des équipes d’artistes et de collaborateurs locaux lorsqu’un nouveau spectacle se monte en Asie ou au Moyen-Orient. Mais l’esprit reste bien vivace dans la pérennité du business model mis en place par le scénographe disparu.

Post-covid

“Avec le covid, l’industrie du spectacle a changé, témoigne Lucas Dragone. Des projets ont été annulés, les investisseurs se montrent plus frileux et nous devons sans cesse nous réinventer. Bien sûr, il y aura encore des méga-shows sur certains marchés émergents, mais la tendance actuelle est aux spectacles plus petits, plus intimes, avec une expérience immersive qui mélange les genres et où le spectateur est parfois invité à se déplacer.”

Preuve en est avec Souk Wonders, une production multisensorielle signée Dragone en terre saoudienne. Implantée à Riyad en février dernier, cette expérience immersive propulsait le visiteur dans un souk bouillonnant durant deux heures, entre théâtre, danse, haute gastronomie, cirque et interactions diverses. “C’est un modèle artistique innovant qui est adaptable à tous les pays et à toutes les cultures, note Lucas Dragone. Il démontre que l’on peut imaginer et réaliser de nouvelles expériences, même si nous reprendrons aussi le spectacle Terhal le mois prochain à Riyad, qui est un show plus classique où les gens sont assis dans une salle de 3.000 places.”

“Avec le covid, l’industrie du spectacle a changé. Des projets ont été annulés, les investisseurs se montrent plus frileux et nous devons sans cesse nous réinventer.” – Lucas Dragone
Cérémonie d’inauguration du nouveau stade de la Louvière © BELGA

Viser les marchés émergents

Inaugurée en mars 2023, cette création de Dragone pour le ministère saoudien de la Culture incarne bien le changement de cap stratégique pris, ces dernières années, par l’entreprise de spectacles sur la carte du monde. Même si l’Europe reste un terrain de jeu pour certaines productions léchées (comme, par exemple, Le Rêve du gladiateur qui sera joué du 8 au 15 août dans les arènes de Nîmes avec le metteur en scène Arthur Cadre), les marchés émergents sont aujourd’hui la priorité de Dragone pour décrocher de nouveaux contrats, tant au Moyen-Orient qu’en Asie de l’Est.

“L’Arabie saoudite vit une vraie révolution culturelle, détaille Kaïs Raddaoui, managing director des Créations du Dragon. Les spectacles se multiplient et il y a un marché à prendre car le pays s’apprête à accueillir aussi deux événements de dimension internationale, l’Exposition universelle à Riyad en 2030 et la Coupe du monde de football en 2034, avec pour chacun d’entre eux leur lot de spectacles et d’animations. Nous avons clairement un rôle à jouer dans ce pays et dans la région, d’autant plus que les marchés traditionnels comme l’Europe et les États-Unis ne sont plus en croissance. Nous devons donc trouver d’autres marchés, mais réfléchir aussi à de nouveaux moyens technologiques pour amener nos spectacles dans le salon des jeunes générations.”

Reconquérir l’Asie

Si, au Moyen-Orient, la marque Dragone se positionne aussi pour le futur parc à thèmes Land of Legends qui devrait voir le jour au Qatar à l’horizon 2028 (avec 3 milliards d’investissements à la clé), elle a également profité de l’actuelle Exposition universelle d’Osaka pour partir à la reconquête de l’Asie. Il y a quelques mois, l’entreprise de spectacles a installé une filiale au Japon pour attaquer le marché nippon et a même assuré, en mai dernier, le spectacle d’ouverture de la Semaine Wallonie-Bruxelles devant le pavillon belge de l’Expo Osaka 2025.

“Il y a de vraies opportunités de business à saisir dans le secteur de l’entertainment car l’offre est en train de changer au Japon en termes de loisirs, explique Lucas Dragone. Là-bas, le gouvernement a approuvé la construction d’un premier casino dans le pays qui devrait ouvrir ses portes en 2028 et les jeunes se montrent davantage réceptifs à de nouvelles formes de spectacles autres que le théâtre nô.”

Lucas Dragone est un photographe reconnu, notamment pour son travail d’artiste “anthropologue” entamé il y a 15 ans et immortalisant les différentes formes de théâtre. ©Lucas Dragone © Lucas Dragone

Un photographe primé

Le fils de Franco Dragone sait de quoi il parle. L’Italo-Belge est aussi un photographe reconnu qui a parcouru le monde pour son projet baptisé Documentary Performing Arts, un travail d’artiste “anthropologue” entamé il y a 15 ans pour immortaliser les différentes formes de théâtre, dont certaines en voie de disparition. Ses photos lui ont valu plusieurs récompenses (dont un Silver au prestigieux Prix de la Photographie de Paris, catégorie Press, pour son cliché Gotipua en Inde), mais aussi un accrochage temporaire au Musée du Louvre et plusieurs expositions à l’international. Les œuvres de Lucas Dragone seront d’ailleurs visibles en septembre prochain au Théâtre San Carlo de Naples, avec cette même volonté tenace de transmettre par l’image cet art de la scène, parfois en perdition, à travers le monde.

Immanquablement, la transmission reste le fil conducteur de l’héritier Dragone. Dans son entreprise de spectacles réputée à l’international comme dans ses clichés dédiés aux multiples traditions théâtrales, le jeune quadra s’efforce de perpétuer une mémoire universelle, à la fois scénique et visuelle. Mais au-delà de l’œuvre en elle-même, c’est aussi le blason du père que Lucas Dragone entend redorer. “Ce mec était un pur et simple génie, s’enthousiasme le fils de Franco. C’était un visionnaire qui a changé la face du théâtre et du spectacle dans les années 1990 et qui n’a pas été reconnu à sa juste valeur. Il a été très blessé durant des années par toutes les accusations qui ont été portées contre lui et pour lesquelles il a été finalement blanchi après sa mort. J’ai l’impression que ça va mieux aujourd’hui, mais il a fallu qu’on le perde pour que les choses se calment un peu.”

Laver son honneur

Cité en 2016 parmi d’autres personnalités dans l’affaire des Panama Papers, Franco Dragone bénéficiera en effet d’un non-lieu en janvier 2023, soit quelques mois après sa mort – l’action publique étant éteinte à la suite de son décès – mais avec cette précision importante de la magistrate en charge du dossier, à savoir que les pièces soumises par le ministère public n’apportaient aucun indice permettant de penser que Franco Dragone et les 41 autres inculpés avaient participé à une fraude fiscale ou à du blanchiment d’argent. Dont acte.
“Il a été victime d’une chasse aux sorcières pendant 10 ans, s’indigne Kaïs Raddaoui, pour être au final complètement blanchi. Mais au-delà de cet acharnement dont il a réellement souffert, je trouve dommage que, d’une façon générale, la Belgique ne soit pas assez fière de ses entrepreneurs à l’international. Lorsque Franco Dragone est mort, son portrait a été affiché en grand pendant une semaine sur le Strip de Las Vegas. On ne peut pas en dire autant chez nous.”

Voilà pourquoi son fils Lucas et le managing director des Créations du Dragon mettent un point d’honneur à saluer la mémoire du scénographe dès qu’ils le peuvent, notamment en s’associant aux festivités du nouveau stade de la RAAL La Louvière. Son président Salvatore Curaba et Franco Dragone étaient d’ailleurs amis et pour respecter la volonté de l’artiste, l’entreprise de spectacles est entrée discrètement au capital du club hainuyer. Une façon de rappeler l’attachement sincère de Franco Dragone à La Louvière, une ville à laquelle il est toujours resté fidèle, contre vents et marées. 

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