Le conflit entre Colruyt et Nestlé par le prisme de la communication de crise
PepsiCo fin de l’année dernière, puis Nestlé. Coup sur coup, les deux géants de l’agroalimentaire ont vu certains de leurs produits déréférencés par le leader belge de la grande distribution, Colruyt. Une stratégie jusqu’au-boutiste visant à mettre la pression sur les marques pour les forcer à diminuer leurs prix – ou en tout cas à ne pas les augmenter.
PepsiCo fin de l’année dernière, puis Nestlé. Coup sur coup, les deux géants de l’agroalimentaire ont vu certains de leurs produits déréférencés par le leader belge de la grande distribution, Colruyt. Une stratégie jusqu’au-boutiste visant à mettre la pression sur les marques pour les forcer à diminuer leurs prix – ou en tout cas à ne pas les augmenter. Comment communiquer vers les consommateurs dans ce genre de situation ? Les deux parties ont-elles intérêt à ce que leur conflit soit porté sur la place publique ?
” Dans une situation perdant-perdant comme c’est le cas ici, aucune des deux parties n’a intérêt à ce que l’information sorte “, affirme Nathalie van Ypersele, partner de l’agence Akkanto, spécialisée notamment dans la communication de crise. Stéphane Genicot, lui, se veut moins tranché. Pour cet ancien directeur des achats chez Delhaize, le fabricant pourrait trouver un intérêt à faire fuiter l’info. ” Il n’est pas impossible que Nestlé se soit plaint auprès des autres distributeurs qui, eux, ont tout intérêt à ce que le conflit soit rendu public, avance-t-il. Ils vont peut-être même renforcer leur communication (et les promotions ? ) sur les produits Nestlé pour accaparer les fidèles de la marque et montrer aux consommateurs qu’ils ne sont pas nécessairement plus chers. ” D’après notre interlocuteur, le distributeur n’aurait de son côté aucun intérêt à ébruiter le conflit. ” Cela reviendrait à affirmer haut et fort que son assortiment n’est plus complet, dit-il. Le risque est grand de perdre un certain nombre de clients qui iront acheter leur marque favorite ailleurs. ”
Communiquer pour cadrer le débat
Si l’information en vient à être relayée par les médias, il est toutefois important de souligner que cela n’est pas forcément la conséquence d’une quelconque fuite. Pour des marques aussi connues, l’info fait très rapidement le tour des réseaux sociaux, des clients mécontents se plaignant de ne pas trouver leur en-cas préféré dans leur supermarché. A partir du moment où l’information est dans les journaux, les deux parties doivent mettre en place une stratégie de communication – ou de non-communication. Lors du conflit Colruyt/PepsiCo, la filiale belge de la multinationale américaine n’avait pas du tout communiqué. Une stratégie que comprend Nathalie van Ypersele, sans toutefois la conseiller. ” PepsiCo n’a pas souhaité alimenter la discussion, au risque de laisser un boulevard à Colruyt pour poser le débat, dit-elle. Une fois que le sujet est sur la table, je trouve qu’il est important de communiquer. L’idée n’est pas d’entrer dans une surenchère, mais de communiquer légèrement pour cadrer le débat. Il faut être réactif, pas proactif. Il ne s’agit pas d’aller vers les médias pour communiquer, mais de répondre aux questions des journalistes. ”
Dans cette bataille commerciale, Colruyt sait bien que c’est lui qui a le plus à perdre.
Lors du conflit avec PepsiCo, Colruyt avait ainsi reconnu ” un débat sur le prix d’achat “. Dans les rayons, les espaces occupés par les articles déréférencés avaient été volontairement laissés vides, avec cette inscription : ” Temporairement indisponible. Veuillez nous en excuser “. Sur Twitter, le groupe de distribution expliquait à ses clients inquiets ” être momentanément en discussion avec notre fournisseur “. Dans le bras de fer en cours avec Nestlé, la firme de Hal explique être persuadée que ” les deux parties trouveront rapidement un accord, et que de cette manière nos clients pourront retrouver leurs produits préférés dans nos rayons, au prix les plus bas du marché “. Colruyt refuse de donner des détails sur les références concernées. ” On peut confirmer qu’il s’agit d’un nombre limité de références qui ne sont plus commandées temporairement “, déclare le groupe.
Cohérence et crédibilité
Le plus important, dans ce genre de communication, est d’être cohérent et crédible. Les deux parties doivent par ailleurs se montrer rassurantes et constructives. ” Je trouve que Colruyt, dans sa communication, est cohérent par rapport à sa politique de prix les plus bas, explique Nathalie van Ypersele. Le groupe se veut par ailleurs rassurant en expliquant être persuadé qu’un accord sera trouvé rapidement. ” Il faut dire que dans cette bataille commerciale, Colruyt sait bien que c’est lui qui a le plus à perdre. ” Le distributeur doit trouver le bon équilibre entre le fait de communiquer qu’il s’agit d’une cause juste (” Nous nous battons pour nos clients “) et le fait de ne pas trop communiquer “, explique la partner d’Akkanto. Car si on peut imaginer que les clients fidèles de l’enseigne puissent être séduits par ce genre de discours, on sait aussi que la loyauté à la marque est souvent plus forte que la loyauté à l’enseigne.
Nestlé l’a bien compris. Contrairement à PepsiCo, le groupe a décidé de prendre la parole dans les médias. ” Cette réaction est excessive, les négociations étant toujours en cours, a expliqué sa porte-parole pour la Belgique, Florence Maniquet. Nous avons reçu des appels de consommateurs inquiets, notamment de parents craignant de ne plus trouver le lait en poudre de leur bébé. Nous les rassurons : nos produits sont toujours disponibles dans les autres chaînes de supermarchés et en pharmacie. ” ” En parlant de ‘réaction excessive’, le groupe choisi une stratégie de communication qui aura un impact sur les négociations, explique Nathalie van Ypersele. Il noircit quelque peu l’image de Colruyt et renforce sa position dans la négociation. Ensuite, en évoquant son lait infantile, Nestlé joue la carte de l’émotion, la communication émotionnelle étant souvent très efficace. Enfin, le groupe fait bien de signaler que le conflit ne concerne que Colruyt. Il pourrait maintenant demander à Delhaize et Carrefour de faire des promos sur ses articles. ”
Faire passer des messages sur sa marque
La spécialiste en communication relève toutefois deux ” erreurs ” dans la communication de Nestlé. ” Lorsque l’entreprise explique espérer pouvoir résoudre rapidement la discussion ‘en toute amitié’, ce n’est pas très crédible, sourit-elle. Par ailleurs, le groupe pourrait profiter de sa présence dans les médias pour faire passer des messages sur sa marque et sur ses valeurs. Colruyt en profite pour parler du prix, Nestlé pourrait très bien jouer sur la qualité. ” Contactée par nos soins, la responsable communication de Nestlé Belgilux précise : ” Il était important pour nous de communiquer auprès de nos consommateurs que nous regrettions cette situation car nous savons nos clients très attachés à nos produits, et que nous estimions que les mesures prises par AgeCore étaient disproportionnées. Notre priorité est de permettre à nos consommateurs d’avoir accès à des produits sains, abordables, de grande qualité et cela de la manière la plus aisée possible. Délister des produits afin d’obtenir de meilleures conditions commerciales durant une négociation affecte nos consommateurs et c’est tout à fait regrettable. ”
Privilégier la modération
” Le fabricant va toujours dire que les discussions sont toujours en cours, c’est le jeu, analyse Stéphane Genicot. Probablement que Colruyt voit les choses autrement. Le déréférencement n’est pas un moyen de négocier. Il y avait sans doute un point de non-retour. ” Celui qui est aujourd’hui directeur marketing de Delfood (groupe Louis Delhaize) n’est pas certain que la communication déployée par Nestlé soit vraiment bénéfique. ” Il y a deux postures possibles pour le fabricant dans ce cas de figure, explique-t-il. Soit il fait profil bas, soit il communique de manière plus agressive. C’est un choix stratégique de la part de Nestlé qui pense ainsi pouvoir gagner au sein des autres enseignes le chiffre d’affaires perdu chez Colruyt. Le groupe montre aussi aux autres retailers qu’il ne faut pas agir de la sorte avec lui. Mais ce faisant, l’entreprise prend le risque que le conflit s’enlise, voire se propage. D’autres distributeurs pourraient se dire que Colruyt a raison et réclamer à leur tour des baisses de prix. Par ailleurs, si Nestlé communique alors que Colruyt ne souhaite pas donner trop de publicité à l’affaire, le distributeur pourrait devenir plus rude et supprimer davantage de produits. ”
Bref, dans un jeu où les deux parties auront in fine toujours besoin l’une de l’autre, en matière de communication, il vaut mieux jouer la modération.
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