L’art de trouver un nom qui fait mouche: pourquoi il ne faut pas bâcler l’étape du (re)naming
Quand on lance une boîte, on a des centaines de choses à penser. Parmi elles, il y a le nom qu’elle portera. Souvent négligée ou précipitée, c’est pourtant une étape importante qui mérite la plus haute attention. Exemples à l’appui.
Connaissez-vous BlackRub ? Non ? Pourtant vous ” BlackRubbez ” plusieurs fois par jour. Un indice ? C’est le nom que Larry Page et Serge Brin ont choisi pour leur bébé en 1996 avant de le rebaptiser en 1998, en partant d’un jeu de mots autour du terme mathématique ” gogol “, qui désigne le chiffre 1 suivi de 100 zéros. BlackRub, c’est évidemment Google. A l’instar du géant du Web, bien des marques ont été amenées à revoir leur appellation en cours de route. Ainsi, ebay s’est appelé AuctionWeb, Brad’s Drink était le nom initial de Pepsi et BlaBlaCar se dénommait Covoiturage.fr. Sans oublier, côté belge, les Dexia et Belgacom devenus Belfius et Proximus, par exemple.
Bien entendu, quand on choisit le nom de son entreprise, on préfère ne pas se tromper et faire mouche dès le début. Cependant, dans certains cas le changement de nom est inévitable et ce pour plusieurs raisons. ” D’abord, il y a l’obligation de changer, suite à une fusion ou acquisition (GB/Carrefour, Fortis/BNP Paribas Fortis, etc.), explique Isabelle Schuiling, professeur de marketing à l’UCLouvain. Ensuite, le changement de nom peut être nécessaire quand une marque locale veut devenir internationale. Enfin, un nom de marque qui provoque de mauvaises associations peut poser des problèmes d’ordre légal. ” Sans compter les mauvais choix, tout simplement…
Prudence !
En fonction des raisons qui poussent à changer, les stratégies à adopter sont différentes. Et là, on ne conseillera jamais assez d’être d’une prudence de Sioux. ” C’est une démarche complexe et risquée : ce n’est pas uniquement changer de nom, mais c’est carrément changer de marque, prévient Isabelle Schuiling. On prend avec soi les valeurs de la marque et son identité ; c’est plus complexe que ce qu’on imagine. En changeant de nom, on peut aussi perdre des consommateurs. Une personne connaît en moyenne 5.000 marques ; il faut être sûr de rester dans la mémoire des gens. ”
En fonction des raisons qui poussent à changer d’appellation, les stratégies à adopter sont différentes.
L’accompagnement des entreprises dans le choix de leur nouveau nom, c’est, entre autres, le métier de l’agence de brand design Minale Design Strategy. Et trouver un bon nom de marque, c’est tout un processus. ” Les marques font souvent appel à nous quand elles ont un sentiment d’inconfort ou quand elles ont l’impression d’avoir atteint un ‘plafond de verre’ ; d’être coincées dans leur nom. Avant de démarrer, nous mettons toujours en garde : on ne change pas de nom par hasard, prévient Gwenaël Hanquet, directeur de Minale Design Strategy Belgique. Il faut qu’à la fin, le nouveau nom délivre quelque chose de supplémentaire par rapport au nom précédent, sinon ça ne vaut vraiment pas la peine de changer.
“Quant à la méthode, tout d’abord, nous faisons une analyse stratégique pour identifier les raisons objectives d’un changement de nom. Parfois, on en vient à la conclusion que l’entreprise n’a pas besoin de changer de nom, assure Gwenaël Hanquet. Quand on lance un processus, on commence par brosser une photo complète de la marque et de ses valeurs : c’est ce qu’on appelle la plateforme de marque. Toute réflexion part de là. ”
Partir de ses valeurs
Des exemples de changement de nom, Gwenaël Hanquet en livre à la pelle. Il y a notamment celui de Circus Group, l’entreprise liégeoise spécialisée dans les casinos et les jeux en ligne qui avait démarré son activité autour du gaming et qui a élargi peu à peu son activité, notamment dans l’immobilier. Dans ce secteur, le nom ne passait pas très bien. “Il fallait créer une marque de groupe, qui puisse porter des valeurs de déploiement économique de la région liégeoise. On a repositionné Circus comme entité de jeux de loisirs, avec un travail sur l’image, et on a rebaptisé la structure faîtière en Ardent Group (pour Cité ardente). Immédiatement, la marque a rayonné. Il n’y avait plus cette confusion avec le côté divertissement pour les partenaires, les collaborateurs étaient fiers de venir travailler.”
Il y a aussi le cas du rachat de Centea à KBC par Crédit Agricole. “Le nom Crédit Agricole était trop connoté ‘France’ ; il fallait en changer. Nous avons contracté Crédit Agricole et Landbouwkrediet en Crelan. C’est une marque cohérente des deux côtés de la frontière linguistique ; il faut être attentif à cela en Belgique.”
Plus récemment, il y a le cas du Spiroudome rebaptisé en Dôme, tout simplement, et l’autre cas, né de la réforme des allocations familiales. Désormais, les allocs ne seront en effet plus gérées par les secrétariats sociaux des employeurs mais ce sera aux familles de faire leur choix. Les caisses d’allocations familiales doivent donc passer dans une logique B to C et attirer le chaland ; c’est le défi rencontré par l’Union des classes moyennes. “On leur a proposé le nom Camille (caisse d’allocations + famille), explique Gwenaël Hanquet. Cela paraît très simple, mais ce nom, qui est un prénom, personnifie les valeurs d’accompagnement des familles, de la naissance des enfants à l’âge où ils quittent le nid. C’est quand même plus sympa et rassembleur qu’un acronyme.”
Et Gwenaël Hanquet de citer un dernier exemple, celui de Meusinvest qui, étant devenu plus qu’un invest, troquera prochainement son nom en Noshaq : “C’est le nom d’un sommet de la chaîne de l’Himalaya, mais ce n’est pas l’Everest, il est plus facilement franchissable. Nous voulions faire passer l’idée de ‘provocateur de possibles'”.
Porté par son enthousiasme, le manager de Minale Design Strategy pourrait citer des exemples toute la journée. Mais il se contente de donner encore quelques derniers conseils pour la route, comme ne pas négliger l’étape de vérification juridique (sans pour autant “se laisser bouffer” par les contraintes juridiques et oser), et ne pas oublier de développer une bonne identité visuelle qui va porter le nom. “Un nom en Arial sur un fond blanc, ça ne sert à rien, il doit être soutenu par une baseline, une identité visuelle, le storytelling. Tout cet écosystème doit être consistant”, conclut Gwenaël Hanquet.
Si, malgré ces conseils, on manque toujours d’inspiration, on peut toujours se rabattre sur les générateurs de noms sur Internet, avec des résultats très aléatoires. Nous avons fait le test et nous hésitons encore entre “Texte Exam” et “Presse bricolage” pour notre activité journalistique. Comment dire…
Les conseils d’Isabelle Schuiling, professeur de marketing à l’UCLouvain.
Partir de l’identité de la marque, de ses valeurs, de son ambition : est-elle sérieuse, dynamique, proche des gens ? Toujours garder cela à l’oeil.
Choisir un nom simple, court, facile à mémoriser.
Eviter d’être trop descriptif ou lié à une seule activité : on ne sait jamais comment les choses peuvent évoluer.
Choisir un nom qui peut être tout de suite international et faire attention aux différentes interprétations linguistiques.
Eviter un nom lié à une époque ; il risque d’être vite démodé.
Se méfier des modes ; par exemple les noms précédés du préfixe e- pour jouer sur le côté digital.
Ne pas susciter la confusion avec une autre marque.
Choisir une identité visuelle qui sera facilement transférable en logo d’appli mobile.
Faire tester son nom : il existe des tests d’association, de mémorisation, de préférence.
S’assurer que le nom choisi n’est pas encore pris en consultant le Registre des marques de l’Office Benelux de la propriété intellectuelle.
Protéger son nom de marque au niveau du Benelux, de l’Union européenne, ou à l’international. Attention : un nom peut être protégé seulement dans sa propre catégorie de produit.
LCB Bakery est une enseigne peu connue du grand public, et pourtant c’est la boulangerie qui fournit une grande partie des collectivités et de nombreux supermarchés. “Nous avons choisi notre nom quand nous avons fusionné deux boulangeries, Pains Beck et Le Cygne, en mars 2017. Par facilité, et parce que nous voulions marquer la liaison entre les deux entités en conservant une trace de chacune d’elles, nous avons choisi LCB Bakery, pour ‘Le Cygne Beck Bakery’. Nous avons agi dans la précipitation”, admet Olivier de Cartier, gérant. “D’abord parce qu’un acronyme ce n’est pas très séduisant commercialement et ensuite parce que ‘bakery’, mot anglais censé être neutre, ne passe pas aussi bien des deux côtés de la frontière linguistique. C’est une appellation peut-être trop B to B, peu porteuse commercialement. Et en plus, les deux marques initiales ont perdu en visibilité. Je dois reconnaître que nous sommes assez déçus et que nous cherchons un nouveau nom.”
La société a deux activités principales. D’une part, l’approvisionnement aux collectivités, assurées par LCB. “Pour cette activité B to B, le nom LCB convient. Par contre, nous avons une autre activité, orientée vers le consommateur, et qui s’articule autour de trois axes. Le premier, c’est la marque Pains Beck, que nous avons rebaptisée Maison Beck, avec laquelle nous distribuons chaque jour 2.500 pains de qualité dans la grande distribution (Delhaize, Carrefour, Mestdagh). Le second, c’est celui des partenariats commerciaux : nous produisons des pains avec l’Abbaye de Floreffe, Bayard ou encore St-Feuillien. Et, enfin, le troisième axe, c’est notre activité de boulangerie générique à travers laquelle nous fournissons des distributeurs comme Mestdagh, Carrefour et Delitraiteur, notamment en clean label. ”
“Pour notre activité qui comporte trois axes bien différents, nous avons besoin d’un nom de marque évocateur de qualité, de local, de tradition ; un nom qui soit déclinable dans les deux langues et plus ‘sexy’ que LCB. C’est très compliqué de faire passer un message sur les deux marchés belges. Nous cherchons un nom qui refléterait notre activité et qui nous permettrait de faire passer un message : un acteur wallon de qualité qui travaille différemment de l’industrie. Nous nous faisons aider par une agence en partant de nos valeurs de simplicité et de collaboration. Cette fois-ci, nous voulons prendre le temps de trouver un nom avec lequel nous serons à l’aise. Nous ne voulons pas refaire la même erreur que dans le passé”, conclut Olivier de Cartier.
Odoo, c’est le contre-exemple des théories et des brainstormings fumeux pour le choix d’un nom. “Au commencement, en 2005, on s’appelait Tiny ERP, simplement parce que c’était ce qu’on faisait : un logiciel ERP, se souvient Fabien Pinckaers, CEO d’Odoo. Mais au fur et à mesure qu’on grandissait, on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas approcher une clientèle de plus en plus large en s’appelant tiny (minuscule), ça clochait pour beaucoup de monde. En 2008, on a décidé de changer pour Open ERP. Pourquoi ? Simplement car notre logiciel était open source. Mais en réalité, l’ open source est perçu de manière assez ambiguë. De plus, nous ne faisons plus uniquement cela et nous nous sommes vite sentis à l’étroit dans ce nom. Or, nous nous étions déjà plantés deux fois et nous ne voulions plus nous louper. En 2014, nous avons donc choisi un nom qui ne voulait rien dire.” Ce changement de nom devait surtout permettre à l’entreprise d’élargir l’offre de ses services. “Quand nous avons changé de nom, nous avons donné une justification marrante à notre choix : si vous classez les 20 plus grosses sociétés internet en fonction du nombre de O qu’elles contiennent dans leur nom, les valorisations moyennes explosent, se souvient l’entrepreneur. Prenez Google, Microsoft, Facebook, Amazon, etc. Nous nous sommes dit : ‘Prenons trois O, comme ça on sera devant tout le monde’. Voilà comment Odoo est né. ”
“Comme notre entreprise était déjà assez connue, ce changement de nom a pris du temps et a été plus compliqué. Les gens ont mis du temps avant de cesser de nous appeler Open ERP. Après deux ans, c’était bon. Alors oui, le changement de nom a un coût marketing important, mais on ne le regrette pas, on adore notre nom Odoo.”
Ici, on se passe aussi des services d’une agence pour le choix du logo : “J’ai lu qu’il n’y avait aucune corrélation entre le montant investi en agence et la réussite d’un logo, raconte Fabien Pinckaers. Donc on a décidé de le faire seuls en allant sur 99Designs ( une sorte de ‘marketplace’ du design graphique, Ndlr). Cela nous a coûté 250 euros. Et pour la couleur mauve qui domine chez nous, on a choisi le ” Pantone of the year 2014 ” pour ne pas perdre du temps à brainstormer.” Voilà qui est diablement efficace, à l’image de l’entreprise et de son patron emblématique.
“Nous avions lancé notre start-up depuis six mois. Un jour, nous avons reçu un courrier d’un bureau néerlandais de propriété intellectuelle qui travaillait pour le compte d’Airbnb ; l’entreprise américaine était dérangée par notre nom, trop proche du sien à son goût”, se souvient James Cogels, cofondateur de l’application de baby-sitting.
“En lançant Bsit, nous étions conscients du clin d’oeil à Airbnb, certes, mais pas seulement. La société mère de Bsit, qui développe des applications, s’appelle TogetAir et notre mission était de ‘donner de l’air au parents’. Bref, nous savions que ça ressemblait un peu mais nous étions de bonne foi ! Ce qui a coincé pour eux, ce n’est pas l’usage du mot Air, qui évidemment n’appartient à personne, mais c’était l’articulation de Air suivi de B. D’un point de vue juridique, nous aurions pu défendre notre cas, mais nous n’en avions pas les moyens ni le temps. Et puis nous n’avions pas envie qu’on nous soupçonne de profiter indûment d’une notoriété. Nous avons dû faire preuve d’humilité ; autant consacrer notre énergie et notre temps au lancement de notre entreprise. Honnêtement, en tant qu’ex-avocat, je pense qu’on aurait pu tenter des démarches juridiques, mais ça nous aurait coûté cher et nous avions autre chose à faire. Et puis les démarches juridiques ça ne rend personne heureux”, conclut James Cogels.
La start-up a laissé tomber le Air pour devenir Bsit. “Tout s’est fait très facilement, on a pu garder nos éléments figuratifs et notre charte graphique, précise le cofondateur, qui ne garde pas du tout un goût amer de l’expérience. On a communiqué dessus de manière transparente et sans dramatiser. Nos clients ont tout de suite suivi. On s’est même dit ” Eh, mais si Airbnb nous repère, c’est qu’on existe ! ” Et ça, c’est un bon boost quand on démarre.”
On peut dire que Bobone a rencontré quelques péripéties. La marque de cosmétiques naturels et artisanaux confectionnée à Our, au coeur de la forêt d’Ardenne, s’était d’abord choisi un autre nom. “Je lui avais simplement donné mon deuxième prénom, raconte Charlotte Renard, fondatrice de la marque. J’ai tout fait moi-même, même le dépôt du nom. Mais le dernier jour du délai légal de réclamation de trois mois, j’ai reçu un courrier d’une grande marque de cosmétique française qui me sommait de ne plus utiliser le nom que j’avais choisi, trop proche du sien. La terminaison du nom était effectivement la même. Même si j’avais tout fait de très bonne foi, ils avaient raison et il fallait que je change. Et puis je n’avais pas de temps à perdre.
J’ai obtempéré. Retour à la case départ. J’ai alors choisi Bobone pour avoir un nom carrément kitsch et décalé que personne ne pourrait me reprocher. Pour moi, c’est un nom qui évoque la chaleur de la cuisine d’une grand-mère, loin de la froideur des labos cliniques que l’on associe aux produits cosmétiques. On l’aime, notre Bobone !” Mais le 30 avril dernier, Bobone s’est retrouvée dans la tourmente : des centaines de com-mentaires outrés ont fleuri sous un simple post Facebook : “Dénigrant”, “Et pourquoi pas Conchita”, “Bobone ne fait pas vintage, ça fait sexiste”… Et oui, alors qu’en Belgique, la Bobone c’est la mamy, en France “bobonne” est un mot péjoratif qui désigne “une femme uniquement soucieuse des soins du ménage et de ses enfants”. “J’étais affolée !, raconte Charlotte Renard. J’ai appelé une amie coach en communication qui m’a dit ‘c’est génial, on parle de toi ! ‘. Elle m’a dit de répondre de manière transparente et positive. C’est ce que j’ai fait et les retours ont été extrêmement positifs. Donc longue vie à Bobone”, rit Charlotte Renard.
“La genèse du nom Cowboy remonte à une discussion entre notre CEO, Adrien Roose (cofondateur de feu Take it Easy, la plateforme de livraison de repas à vélo) et son grand-père. Ce dernier, ancien pilote de ligne, venait d’acheter un vélo électrique et trouvait cela absolument fantastique. Au fil de leur discussion, Adrien s’est demandé pourquoi l’image du vélo électrique était tellement ringarde, synonyme de paresse ou de vélo pour personnes âgées, alors qu’un vélo électrique, c’est plutôt cool ! Il y avait quelque chose à faire ici : proposer un vélo électrique à la fois design et abordable et casser cette image négative”, raconte Maxime Van Santen, responsable de la communication chez Cowboy. Quand les cofondateurs de Cowboy ont lancé la production de leur vélo, leur mission était donc de rajeunir le vélo électrique, de le rendre cool, beau, en insistant sur la notion de liberté qu’on ressent en l’enfourchant. “A priori, choisir un nom de marque, c’est excitant. Mais, en réalité, c’est à prendre très au sérieux, assure Maxime Van Santen. C’est la soeur d’Adrien, Chloé, qui a lancé l’idée du cowboy qui traverse la ville, indépendant, autonome et audacieux. Et puis un cowboy, c’est tellement iconique, et ce partout dans le monde ! Le mot n’était pas déposé, alors on a sauté sur l’occasion. Côté graphique, il y a aussi moyen de s’amuser. Et pour éviter l’image de bad boy du ‘cowboy Marlboro’, on a choisi un contexte graphique rose, décalé, surtout pas agressif. Chez nous, le nom cowboy désigne le conducteur du vélo, pas le vélo en lui-même.”
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