L’appel de fonds facilité pour les entreprises
Les entreprises belges peuvent désormais lever des sommes plus importantes auprès des investisseurs sans devoir rédiger un coûteux prospectus. Pour certains spécialistes, elles devraient ainsi pouvoir récolter deux fois plus d’argent par le biais du “crowdfunding”.
La Belgique accuse un certain retard par rapport aux pays voisins dans le recours au crowdfunding comme source de financement des entreprises, mais il y a du changement dans l’air. Auparavant, il existait deux freins à ce type de financement : la limite sur le montant qu’une entreprise pouvait lever via le crowdfunding et, dans une moindre mesure, le montant maximum qu’un investisseur pouvait apporter à un projet. Chez nos voisins, ces plafonds étaient plus élevés et cette forme alternative de financement y a pris une plus grande ampleur.
En 2017, le gouvernement a déjà voulu stimuler le crowdfunding avec le tax shelter pour les participations dans des sociétés en démarrage ayant au maximum quatre ans d’existence. Les investisseurs qui achètent de nouvelles actions de ces jeunes entreprises peuvent, sous certaines conditions, récupérer de 30 à 45 % de leur investissement sous forme de réduction d’impôts.
Bolero Crowdfunding, Spreds (anciennement MyMicroInvest) et LITA.co, par exemple, sont des plateformes qui peuvent émettre des attestations fiscales à cet effet. En 2018, le tax shelter a été étendu aux entreprises en croissance qui existent depuis quatre à dix ans. Dans ce cas, les investisseurs peuvent récupérer jusqu’à 25 % par le biais de la déclaration fiscale. ” Le tax shelter pour les start-up est une incitation fiscale permettant de mobiliser l’épargne qui dort et de réduire le risque d’investissement. La mesure a certainement stimulé le crowdfunding en Belgique. Les montants levés progressent chaque année “, note Marie Cruysmans de Spreds.
” Evidemment, cette réduction d’impôt ne fait pas tout, prévient Ellen Lemaire, responsable de Bolero Crowdfunding. Si l’investisseur n’a pas bien étudié le dossier et que l’entreprise fait faillite, il risque de ne rien obtenir en retour des 75, 70 ou 55 % restants de sa mise.”
Dans la pratique, le tax shelter ne s’applique pas à une grande partie des investissements via les plateformes de crowdfunding. “Les investisseurs préfèrent accorder des prêts, parce qu’ils en maîtrisent les échéances de remboursement. Si tout va bien avec l’entreprise, les investisseurs savent exactement quand ils recevront les intérêts et quand le capital sera remboursé. Alors que les investisseurs qui contribuent au capital d’une entreprise ne savent pas quand ils pourront se désengager. Ils ne peuvent pas vendre ces actions à moins que quelqu’un ne propose de les acheter. Il n’y a pas de marché secondaire sur lequel ces actions sont négociées”, explique Johan De Somere, directeur régional chez Look & Fin. Look & Fin joue le rôle d’intermédiaire pour les PME qui ont besoin de crédit et les investisseurs disposés à prêter de l’argent. La plateforme ne fait que du crowdlending.
Montant par entreprise
Depuis le 21 juillet dernier, on ne doit plus établir de prospectus pour les campagnes de crowdfunding jusqu’à 5 millions d’euros. Jusque-là, le plafond en Belgique était fixé à 300.000 euros. La France, par exemple, l’avait précédemment relevé à 2,5 millions d’euros.
“Au-delà de 500.000 euros, il faut néanmoins une note d’information dans laquelle la société doit présenter au moins deux comptes annuels déposés”, précise Ellen Lemaire. Un prospectus contient souvent des centaines de pages d’information sur les activités d’une société et les risques associés à ces activités. Alors qu’une note d’information a un maximum de 15 pages.
Le ‘tax shelter’ a certainement stimulé le ‘crowdfunding’ en Belgique. Les montants obtenus progressent chaque année.” – Marie Cruysmans, “head of investors” chez Spreds
“Le prospectus implique des frais assez lourds, poursuit Ellen Lemaire. Pour une entreprise qui ne cherche à lever que quelques millions, le coût s’avère prohibitif. La nouvelle législation en matière de prospectus élargit sensiblement les possibilités pour les entreprises.”
Les entreprises qui souhaitent se financer via la Bourse doivent en tout état de cause établir un prospectus. Elles sont en outre tenues, plusieurs fois par an, d’informer les actionnaires sur leur situation. Dans le cas du crowdfunding, il n’y a aucune obligation légale d’informer les investisseurs une fois l’argent collecté. ” En fait, nous encourageons les entreprises à maintenir une communication avec les investisseurs, mais la loi ne les y oblige pas “, précise Ellen Lemaire. Johan De Somere évoque l’intérêt que présente le relèvement du plafond. “Nous sommes leader du marché en Belgique pour les prêts de particuliers aux PME, avec un total de 36 millions d’euros de prêts à 160 PME environ. Avec un plafond porté à 5 millions d’euros, nous pensons pouvoir doubler ce volume à relativement court terme.” “Il arrive souvent que des investisseurs se montrent intéressés alors que la campagne est clôturée, ajoute Ellen Lemaire. Un montant de 100.000 ou 300.000 euros n’est pas si élevé quand on sait que Bolero Crowdfunding compte plus de 29.000 membres. Et il y a aussi énormément d’intérêt du côté des clients de Bolero, ce qui fait que nous touchons jusqu’à 100.000 investisseurs potentiels.” Le nombre de membres donne une indication de l’intérêt que suscite le crowdfunding, mais tous les membres n’investissent pas concrètement. Marie Cruysmans en donne la proportion chez Spreds : ” Dans notre répertoire de 39.416 membres, nous en avons environ 10.000 qui ont investi dans 109 entreprises.” Pour des raisons de concurrence, Bolero Crowdfunding et Look & Fin ne souhaitent pas dévoiler le nombre d’investisseurs actifs parmi leurs membres.
“Tant de la part des entreprises que des investisseurs, il y a une forte demande de crowdlending. Le marché belge reste à cet égard relativement sous-développé par rapport aux pays voisins, estime Johan De Somere. C’est une formule encore méconnue chez les PME. Du côté des investisseurs, la demande dépasse l’offre. Les dossiers proposés sont financés en très peu de temps. Généralement, de quelques dizaines de secondes à un maximum de deux heures.”
Un mot d’ordre : répartir
Concernant les investissements par le biais d’une des plateformes reconnues, la limite pour lever des fonds sans prospectus dans notre pays s’élevait, jusqu’au 21 juillet, à 5.000 euros par investisseur et par projet. Dans le cas d’une plateforme non agréée, le maximum légal était de 1.000 euros. Les Pays-Bas, par exemple, pratiquaient un plafond largement supérieur. Nos voisins du Nord pouvaient investir via le crowdfunding jusqu’à 40.000 euros dans le capital d’une entreprise ou jusqu’à 80.000 euros sous forme de prêt à une entreprise. ” Désormais, il n’y a plus de limite par investisseur pour les dossiers accompagnés d’une note d’information “, souligne Ellen Lemaire. Look & Fin établit dans tous les cas une note d’information de façon à éviter la limite de 5.000 euros.
Du côté des investisseurs, il ne semble pas qu’il y ait une telle demande de montant plus élevé par dossier. Il n’est jamais mauvais de mettre ses oeufs dans plusieurs paniers, car il y aura toujours des déconvenues avec le crowdfunding. ” Il est normal que, sur 160 dossiers, il s’en trouve l’un ou l’autre où les investisseurs ne récupèrent pas la totalité de leur mise. Mais je ne peux vous dire combien d’entreprises ont fait faillite “, commente Johan De Somere. Il révèle néanmoins le rendement historique : 7,6 % brut. Autrement dit, un investisseur qui a investi 160.000 euros – 1.000 euros dans chacun des 160 dossiers de Look & Fin – aurait un rendement net annuel d’environ 5 %. Et celui qui n’a misé que sur les mauvais chevaux a perdu son investissement.
” L’investisseur moyen chez nous place 3.000 euros dans un dossier et répartit ses risques sur une dizaine de dossiers “, observe Johan De Somere. Cette moyenne est bien en dessous du maximum légal pour les campagnes sans note d’information. ” Il y a 265 milliards d’euros qui dorment sur les comptes d’épargne en Belgique, souligne Ellen Lemaire. Grâce à cette forme de placement alternative, ils peuvent être investis directement dans des PME et des entreprises belges en croissance. Il faut cependant que les investisseurs soient conscients des risques. Quand on peut obtenir un taux d’intérêt moyen de 7,5 %, la prudence s’impose. Une répartition bien réfléchie est toujours recommandée. ”
L’autorité de régulation des marchés financiers, la FSMA, délivre depuis 2017 des agréments pour les plateformes de crowdfunding. Selon le site web de la FSMA, il n’y a que cinq plateformes agréées chez nous. ” Il se peut qu’un plus grand nombre de plateformes étrangères viennent maintenant s’installer en Belgique. Il y avait de fortes différences entre les Etats membres de l’Union européenne. La Belgique avait adopté une approche protectrice, très anti-risque”, déclare Ellen Lemaire, responsable du Bolero Crowdfunding, qui ne figure d’ailleurs pas sur la liste des plateformes avec agrément.
” Nous n’étions pas obligés de demander une licence séparée pour le crowdfunding parce que nous appartenons au groupe KBC, qui possède déjà une licence bancaire “, précise-t-elle.
Ilse De Witte
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