La voiture de société sera verte ou ne sera pas
L’accord de majorité prévoit que toutes les voitures de société neuves seront “neutres en carbone” en 2026. Le ministre des Finances a donc récemment lancé une proposition destinée à décarboner le parc de véhicules. Nous en avons profité pour nous projeter dans le futur de la voiture de société tout en jetant un petit coup d’oeil dans le rétroviseur.
Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) a récemment dévoilé son plan de décarbonation du parc de véhicules. Celui-ci prévoit de rendre les voitures de société zéro émission fiscalement plus attrayantes que celles disposant d’un moteur thermique. Il envisage en outre d’autoriser des réductions d’impôts pour l’installation de bornes de recharge au domicile des particuliers et compte donner un coup de pouce supplémentaire au budget mobilité. Selon plusieurs experts, ce projet de loi pourrait donner lieu à de belles passes d’armes au sein du gouvernement.
2023
Date à laquelle les premiers effets du plan fédéral de décarbonation du parc de véhicules de société devraient se faire sentir, s’il est adopté tel quel.
Le principe selon lequel tout véhicule de société neuf devra être neutre en carbone en 2026 figure pourtant dans l’accord de gouvernement rédigé fin septembre 2020. Cet accord va même plus loin. Il y est également question d’une “suppression progressive de la vente de voitures qui ne répondent pas à la norme zéro émission” – en concertation avec les entités fédérées, et à condition qu’il y ait suffisamment de modèles à coût abordable sur le marché et que des analyses sur leur cycle de vie soient disponibles.
Budget mobilité simplifié
En fait, la proposition déposée par le ministre des Finances sur la table du conseil des ministres porte surtout sur la déductibilité des frais automobiles et de carburant à l’impôt des sociétés. “Aujourd’hui, le pourcentage de déduction est compris entre 40% pour les voitures les plus polluantes (celles dont les émissions de CO2 dépassent 200 g/km) et 100% pour les voitures zéro émission”, explique Veerle Michiels, conseillère juridique SD Worx. Autrement dit, Vincent Van Peteghem ne souhaite pas octroyer d’avantages financiers supplémentaires pour les véhicules électriques ; il préfère priver de leur intérêt fiscal ceux à carburant fossile. “Le ministre veut par ailleurs déployer ces mesures graduellement pour ne pas interférer dans les contrats en cours, poursuit la conseillère. Sa proposition ne fera donc sentir ses effets qu’à partir du 1er janvier 2023. Mais pour les voitures neuves qui roulent totalement ou en partie au carburant fossile, il n’y aura plus du tout de déductibilité à partir du 1er janvier 2026.” Entre ces deux dates, un scénario de sortie progressive est prévu, qui verra la déductibilité des voitures de société polluantes diminuer année après année, pour disparaître ensuite totalement. Veerle Michiels s’attend évidemment à ce que les employeurs procèdent à une analyse critique des offres de voiture de société et tiennent compte du coût croissant des véhicules polluants. “Les travailleurs auront donc le choix entre des modèles et des versions différents de ce à quoi ils ont été habitués jusqu’à présent”, prévient-elle.
Dans la proposition, aucune modification n’est apportée à l’avantage de toute nature.
Vient ensuite le volet consacré au budget mobilité. “Actuellement, les employeurs ont déjà l’occasion d’adopter le budget mobilité fédéral, rappelle la conseillère. Celui-ci détermine le prix de revient total de la voiture auquel a droit le travailleur. Pour l’employeur, l’opération est neutre. Mais le salarié peut décider lui-même de l’affectation de son budget. Parmi ses options: une voiture de société plus respectueuse de l’environnement, des modes de transport durables et des frais de logement entièrement exonérés d’impôts et des cotisations sociales. “Le salarié reçoit ensuite le montant résiduel en cash, après prélèvement d’une cotisation sociale spéciale de 38,07%.” Ce budget mobilité, le ministre des Finances veut le simplifier et le rendre accessible à tous les salariés. “Nous avons également l’intention de rendre plus de choses possibles avec ce budget, comme le financement des abonnements des membres de la famille vivant sous le même toit”, a ainsi déclaré Vincent Van Peteghem dans un communiqué de presse.
“On se souviendra que les employeurs peuvent également utiliser la voiture de société pour créer un budget dans le cadre de systèmes de rémunération variable”, note Veerle Michiels. Il s’agit des fameux plans cafétérias qui permettent aux travailleurs de choisir divers avantages à la carte. Des plans qui ont poussé comme des champignons ces dernières années, afin de réduire l’impôt sur le salaire ordinaire et éviter les cotisations sociales.
Gare aux frais réels
Dans la proposition du ministre, on constate qu’aucune modification n’est apportée à l’avantage de toute nature (le montant sur lequel est calculé l’impôt que paient les travailleurs pour l’utilisation privée de la voiture de société). Partner au cabinet d’avocats Tiberghien, Koen Van Duyse explique pourquoi. Selon lui, la décarbonation du parc de véhicules est déjà en cours, et davantage du côté de véhicules de société que du côté des voitures particulières. “La limitation de la déduction va encore amplifier ce phénomène.” Il n’était donc sans doute effectivement pas nécessaire de toucher à l’avantage de tout nature.
Le ministre a promis aux entreprises que l’installation d’infrastructure de recharge serait déductible à plus de 100%, moyennant plusieurs conditions.
Veerle Michiels affirme en outre que des interventions, qui augmentent le coût des voitures polluantes pour le travailleur, ont déjà été opérées. Les émissions de CO2 sont en effet un des facteurs utilisés dans le calcul de l’avantage de toute nature, avec la valeur catalogue et l’âge la voiture. Comment cela fonctionne-t-il? Des émissions de référence sont calculées chaque année. Les voitures dont les émissions sont égales à celles de référence se voient attribuer un coefficient CO2 de 5,5%. Si elles émettent plus, ce coefficient augmente. Si elles en émettent moins, il diminue. Après avoir augmenté deux ans d’affilée, il a été décidé en 2021 que les émissions de référence ne pourraient plus que rester stables ou baisser. En d’autres termes, à l’avenir, l’impôt sur l’avantage de toute nature constitué par les voitures qui émettent du CO2 ne pourra plus diminuer.
En outre, depuis la découverte du dieselgate chez Volkswagen, les normes d’émission ont été durcies dans toute l’Europe. “Comme les valeurs d’émission et de consommation sont nettement plus élevées quand elles sont calculées selon la nouvelle norme WLTP qu’avec l’ancienne méthode de mesure, la NEDC, les constructeurs automobiles ont eu jusque fin 2020 pour convertir toutes leurs valeurs en une valeur NEDC 2.0, remarque Veerle Michiels. Ils devaient le faire pour atténuer quelque peu l’impact fiscal. A partir de 2021, cette conversion ne sera plus obligatoire pour la plupart des voitures. L’Europe souhaite que l’on utilise cette norme WLTP dans la fiscalité automobile. On ne sait pas encore comment le gouvernement belge va procéder dans la pratique.” Mais si le protocole WLTP devient la norme, on sait déjà que les travailleurs devront payer davantage d’impôts sur les voitures plus polluantes.
La limitation de la déduction va amplifier la décarbonation du parc de véhicules.
Koen Van Duyse (Tiberghien)
Comme l’explique Veerle Michiels, la disparition de la déduction des voitures polluantes dans l’impôt des sociétés aura aussi un impact négatif pour les travailleurs qui déclarent leurs frais réels à l’impôt des personnes physiques. A partir du 1er janvier 2026, la déduction des frais ne sera plus autorisée que pour ceux liés à une voiture de société qui n’émet pas de CO2. “Ceux qui déclarent leurs frais professionnels réels peuvent bénéficier d’une déduction forfaitaire de 0,15 euro par kilomètre pour les frais liés aux déplacements domicile-lieu de travail.” Mais dans le cas d’une voiture à combustible fossile, cette déduction des frais réels disparaîtra complètement.
Impôts ou cotisations sociales
“Pour l’instant, les modifications ne portent que sur le statut fiscal de la voiture de société, constate Veerle Michiels. On ne connaît pas encore la position que prendra l’ONSS.” Si le projet de loi passe, sa décision ne sera pas anodine. De très nombreuses entreprises offrent en effet une voiture salaire au lieu d’une augmentation en bonne et due forme aux salariés qui bénéficient d’une promotion. Et pas pour une question d’impôt: “un salarié qui perçoit un revenu médian est déjà soumis au taux progressif le plus élevé de 50% d’impôt”, explique Koen Van Duyse. Non, selon lui, la voiture de société doit surtout sa popularité au fait que l’avantage imposable est totalement dissocié de l’usage réel ( lire l’encadré en page 44). “Une autre explication tient au fait que les cotisations sociales sur le salaire ne sont pas plafonnées”, estime-t-il. Or, aux yeux de l’ONSS, l’avantage que représente l’utilisation privée d’une voiture de société ne constitue pas un salaire. Un tel véhicule n’est donc pas soumis aux cotisations sociales ordinaires. Les employeurs doivent certes verser une cotisation de solidarité CO2, mais celle-ci est nettement plus basse que les cotisations patronales d’environ 25%. Les travailleurs paient 13,07% de cotisations sociales sur leur salaire.
Les modifications ne portent que sur le statut fiscal de la voiture de société. On ne connaît pas encore la position que prendra l’ONSS.
Veerle Michiels (SD Worx)
Mais comme le mentionne Koen Van Duyse, il existe des alternatives fiscalement avantageuses à la voiture de société. Et l’avocat de citer notamment le bonus salarial, les plans de warrants et les frais propres à l’employeur via le travail à domicile.
Bornes semi-publiques
Enfin, rappelons la problématique des bornes de recharge, élément indispensable dans la stratégie de décarbonation du secteur. Pas de voiture électrique sans ces bornes de recharge, affirme légitimement Vincent Van Peteghem. C’est pourquoi le ministre a promis aux entreprises que l’installation d’infrastructure de recharge serait déductible à plus de 100%. Une nuance, toutefois: cet avantage fiscal sera réduit année après année et assorti de plusieurs conditions. Les bornes de recharge devront notamment être installées dans un lieu semi-public, comme un parking d’entreprise, et ainsi mises à la disposition des personnes vivant à proximité en dehors des heures de bureau, contre paiement bien entendu. Pour ceux qui installent une borne de recharge à domicile, le ministre propose une réduction d’impôt de 45%. Mais cette réduction d’impôt aussi est conditionnée: la borne de recharge devra être alimentée en énergie verte et contrôlée par des logiciels intelligents afin que la recharge ait lieu au meilleur moment possible.
Limiter l’usage privé?
L’usage privé de la voiture de société s’est imposé il y a bien longtemps, plongeant ses racines dans des habitudes encore plus anciennes.. “Les rémunérations en nature étaient courantes au 19e siècle, rappelle Koen Van Duyse, partner au cabinet d’avocats Tiberghien. Le père Daens s’est même révolté contre les paiements en bière des ouvriers des brasseries. La mise à disposition d’une voiture est naturellement venue s’ajouter à ce type de rémunération. Initialement, il s’agissait d’un usage mixte: une partie professionnelle et une partie privée. L’usage privé était évalué au kilomètre – c’était l’avantage dit de toute nature.”
Selon Koen Van Duyse, les contrôles restaient laxistes et les kilométrages déclarés pour l’usage privé étaient bas. Ce qui n’était pas sans provoquer quelques frictions lors des contrôles fiscaux. “Pour les éviter, le législateur a introduit un minimum de 5.000 km pour l’usage privé – n’oublions pas que les déplacements domicile-lieu de travail relèvent des déplacements privés…. Le contrôleur fiscal pouvait ensuite démontrer que le travailleur avait parcouru plus de 5.000 km à titre privé, ces kilomètres constituant l’avantage de toute nature. C’était un système assez stable, lié à l’utilisation effective.”
A la fin des années 1990, l’administration fiscale a introduit un nouveau régime qui plafonnait le kilométrage parcouru à titre privé à 5.000 km par an pour les travailleurs qui habitaient à moins de 10 km de leur lieu de travail, et à 7.500 km pour ceux qui habitaient plus loin. “L’introduction de ce plafond a constitué la première rupture avec l’usage réel.”
Dans sa proposition, le ministre des Finances ne parle pas de dissuader l’usage “privé” des voitures de société. Pourtant, une telle idée pourrait se défendre dans le cadre de la lutte contre les embouteillages par exemple. “Le lien avec les émissions est déjà une façon de décourager l’usage privé, y compris pour les déplacements domicile-lieu de travail”, répond Koen Van Duyse.
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