Ces dernières années, la philosophe Griet Vandermassen fait entendre une voix discordante dans le débat féministe. Son leitmotiv: une tentative de réconciliation entre le discours féministe et la biologie.
“J’ai remarqué que la biologie n’entre pas suffisamment en ligne de compte dans les textes féministes. On suppose généralement que les différences hommes-femmes sont principalement des constructions sociales. Je pense que nous devons nous débarrasser de cette idée. Nous pourrons alors élaborer un agenda féministe plus réaliste, qui tiendra compte des différences individuelles et biologiques entre les genres”, affirme Griet Vandermassen.
À notre époque, la recherche d’une plus grande égalité devient la norme. Les autorités encouragent par exemple les étudiantes à s’orienter davantage vers les filières scientifiques. Est-ce une erreur ?
GRIET VANDERMASSEN: “Même si l’effet de ces campagnes de promotion est plutôt limité, il est utile d’attirer l’attention sur la possibilité pour les filles de pouvoir choisir de telles études. La proportion d’étudiantes dans les disciplines dites STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) varie entre 10 et 15%. C’est légèrement plus que par le passé, mais nous ne devons pas trop attendre de ces campagnes. Les recherches ont montré de manière convaincante que les intérêts des garçons et des filles sont très différents. Ces campagnes peuvent supprimer les barrières artificielles, dans la mesure où elles existent encore, mais il n’y a pas de raison de rêver qu’il y aura à l’avenir 50% de filles dans les facultés d’ingénieurs.”
“Depuis le début du 20e siècle, des études ont montré invariablement que les garçons sont davantage attirés par les objets techniques, tandis que les filles s’orientent plus spontanément vers le social. On constate un tel écart aussi bien dans les pays où les rôles des hommes et des femmes sont définis de manière traditionnelle que dans les sociétés émancipées comme la nôtre.”
“La différence entre les sexes s’accroît avec la liberté de choix accordée aux filles. Plus les pays obtiennent un score élevé en matière d’égalité des sexes, plus le nombre de filles qui choisissent les orientations STEM est faible. Cela va à l’encontre de l’attente générale selon laquelle le choix des études est largement déterminé par les attentes culturelles et la pression sociale.”
Quelle est la cause de ce paradoxe ?
“Dans les pays pauvres, il faut choisir une formation technique pour trouver un emploi. Dans les pays libres et prospères, les filles peuvent étudier ce qui les intéresse vraiment. D’après la biologie de l’évolution, on peut s’attendre à ce que les femmes se concentrent plus que les hommes sur le social et les soins de santé. Elles donnent naissance à des enfants et leur investissement biologique dans la procréation est considérable.”
“Leurs plus grandes préoccupations sociales s’expliquent peut-être par le fait que nous sommes une espèce dite patrilocale. Cela signifie qu’après leur mariage, les filles quittent leur groupe d’origine, alors que les garçons restent près de leurs proches. Ce schéma remonte à la préhistoire. Nos ancêtres féminines se sont retrouvées dans des groupes où elles et leurs enfants devaient être socialement acceptés. Les autres femmes les considéraient comme des concurrentes. Il en résulte une psychologie féminine moins hiérarchisée que celle des hommes, et plus axée sur la coopération et la création de liens sociaux.”

D’un point de vue sociologique, la position des deux sexes semble néanmoins en mutation. Prenez l’exemple de l’attention croissante pour l’équilibre entre travail et vie de famille.
“Nous avons fait de gros progrès. Dans les années 50, l’homme ramenait l’argent et la femme restait à la maison. Hommes et femmes étaient tenus d’endosser des rôles rigides. On avançait des arguments biologiques liés à la nature des femmes pour les garder à la maison. C’est pourquoi des penseurs féministes, à commencer par Simone de Beauvoir, se sont fortement opposés à l’idée des différences biologiques entre les sexes. Cette résistance est encore bien présente. Un groupe important de la population active, à savoir les femmes, est trop peu pris en compte.”
“Les organisations de femmes continuent à faire pression pour l’égalité sur une base masculine. L’accent est principalement mis sur le désir de faire travailler les femmes à temps plein, de les rendre plus ambitieuses et de leur permettre d’accéder aux sommets. Je pense que c’est une façon de penser essentiellement dictée par l’économie. L’argent et le pouvoir semblent être les valeurs les plus importantes. La bienveillance devrait être davantage valorisée.”
“On pourrait penser que les femmes sont les grandes perdantes. Ce n’est pas le cas. Celles qui passent à temps partiel après la naissance d’un enfant y perdent financièrement, certes, mais elles gagnent en qualité de vie. Des enquêtes menées auprès de celles-ci montrent qu’elles estiment combiner le meilleur des deux mondes.”
Ces dernières semaines, les médias ont une fois de plus fait grand cas de l’écart de rémunération entre les sexes. Dans votre livre, vous le balayez d’un revers de main.
“Cela dépend de la façon dont on définit cet écart. On dit parfois qu’une femme ne gagne que les trois quarts de la rémunération d’un homme. Cette affirmation n’est vraie que si l’on compare la masse salariale totale des hommes et des femmes. Ce tableau est nuancé lorsqu’on observe la situation par secteur et par nombre d’heures de travail. Les femmes prestent souvent moins d’heures et dans des secteurs moins bien payés. C’est ainsi que s’explique en grande partie l’écart de rémunération.”
“La petite différence qui subsiste est principalement due au fait que les femmes négocient moins leur salaire et leur promotion. En effet, elles ont moins le goût du risque et agissent souvent en fonction de valeurs professionnelles différentes de celles des hommes. Ces derniers se concentrent habituellement sur le salaire et le statut. Les femmes, quant à elles, veulent se sentir utiles sur le plan social. Bien entendu, cela n’empêche pas la discrimination dans certaines entreprises.”
Le plafond de verre est-il un mythe ?
“Plus on monte dans l’échelle hiérarchique, plus l’environnement est compétitif. Les femmes ont plus peur que les hommes. Nous le savons, par exemple, grâce à des expériences au cours desquelles les sujets doivent accomplir une tâche dans des conditions de plus en plus compétitives. Les femmes renoncent plus rapidement car cela génère du stress chez elles. A contrario, les hommes ont tendance à se montrer plus performants.”
“Dans le même ordre d’idées, on constate que les femmes choisissent plus souvent le statut d’indépendant comme activité complémentaire que les hommes, dont c’est la plupart du temps la profession principale. Ceux-ci voient généralement plus grand et envisagent plus rapidement à développer leur entreprise. L’aversion au risque des femmes et l’assurance des hommes sont bien documentées.”
C’est une question d’hormones ?
“Le comportement au risque, oui. On le voit chez les adolescents, par exemple. Dès que les garçons entrent dans la puberté, ils deviennent plus téméraires. Cela est lié à l’augmentation de la testostérone”
Le plafond de verre est donc un choix ?
“Les postes de direction sont souvent assez rigides et offrent peu de flexibilité. Il faut prester beaucoup d’heures et être disponible à tout moment, ce qui est difficile à combiner avec une famille. Beaucoup de femmes se retirent d’un environnement compétitif lorsqu’elles ont un enfant. Ces recherches ont été menées, entre autres, par l’économiste belge Marianne Bertrand de l’université de Chicago. Elle a suivi un groupe de 10.000 étudiants en MBA de 1990 à 2006. Il s’est avéré qu’un an après l’obtention de leur diplôme, hommes et femmes gagnaient à peu près la même chose. Au bout de neuf ans, les hommes empochaient 60% de plus que les femmes. L’arrivée des enfants est sans aucun doute le facteur déterminant lorsqu’on tente d’expliquer cette différence. Plus le nombre d’enfants est élevé, plus l’écart se creuse, car les femmes se mettent alors à prester de moins en moins d’heures.”
“Comme principale source de motivation, ces femmes ont indiqué qu’elles estimaient que leur famille était plus importante et qu’elles pouvaient se le permettre parce que leur partenaire gagnait suffisamment. C’est dommage que leur potentiel intellectuel ne soit pas suffisamment exploité, mais elles n’en souffrent pas.”
Les quotas mis en place pour qu’il y ait plus de femmes dans les comités exécutifs sont-ils absurdes ?
“En matière de décision politique et éthique, je suis en faveur des quotas. Quand on sait que les femmes ont généralement des expériences de vie et des priorités différentes, il n’est pas juste selon moi que leurs intérêts soient principalement défendus par des hommes.”
“En revanche, dans le monde des entreprises et des universités, les quotas présentent surtout des inconvénients à mes yeux. C’est comme si les femmes étaient contraintes d’avancer avec un stigmate. Les recherches montrent que la discrimination positive sape la confiance en soi des travailleurs, car une employée n’a jamais la certitude d’avoir été engagée sur la base de ses qualités. En outre, les quotas sont discriminatoires à l’égard des hommes qualifiés et motivés.”
“Les quotas augmentent en effet le nombre de modèles féminins, mais il me semble que les inconvénients l’emportent sur les avantages dans le monde des affaires. De plus, leur effet est limité. En Norvège, par exemple, depuis 2006, il est obligatoire d’attirer 40% de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées en Bourse, mais il s’avère que ces modèles ont peu d’impact sur les échelons inférieurs et que les femmes n’accèdent pas plus fréquemment aux postes de direction.”
Traduction : virginie·dupont·sprl