La métamorphose de Cameleon se poursuit grâce au digital
Après avoir terminé de panser les plaies de Cameleon, Bruno Pfalzgraf s’est attelé à revoir le fonctionnement de l’enseigne de vêtements, à la digitaliser, et à investir dans le marketing. Avec un pari pour 2019 : un retour à la croissance.
Les allées du magasin Cameleon à Woluwe-Saint-Lambert sont désertes en ce lundi de fermeture. Nous parcourons les différents rayons en compagnie de Bruno Pfalzgraf, CEO de la société : shorts de bain, chemises slims , robes, habits pour enfants, et autres vêtements de marques. Ce week-end, il semblerait qu’un éléphant soit passé par le magasin et se soit arrêté pour essayer des chaussures. Boîtes grandes ouvertes, paires éparpillées : les séquelles d’une bonne promotion. Un peu plus loin, des étagères sur roulettes remplies de nouvelles collections barrent le passage. Tout devra être à nouveau prêt et rangé pour l’ouverture, mercredi matin.
Il y a trois ans, les magasins Cameleon auraient cependant pu fermer définitivement leurs portes. A cette époque, la société est en plein redressement judiciaire. L’entreprise s’était lancée, quelques années plus tôt, dans l’e-commerce. ” Ce business était en pleine croissance, mais nécessitait des gros appels de cash “, explique Bruno Pfalzgraf. Des moyens financiers nécessaires pour acheter les stocks à l’avance, alors que certains acteurs de l’e-commerce les vendent avant de les avoir achetés. Sans compter toute la logistique pour assurer ce nouveau service. Les bénéfices tirés de cette nouvelle activité ne permettent pas de rembourser rapidement les investissements consentis. L’entreprise est au bord du dépôt de bilan. Au début de ce plan de redressement judiciaire, Cameleon fait d’abord appel à Pascal Leurquin, devenu un spécialiste de la gestion d’entreprises en difficulté après avoir repris l’imprimerie Casterman. ” Une des premières missions de ce cost killer fut de libérer du cash en réduisant les stocks, en fermant un entrepôt, etc., pour que l’entreprise puisse redémarrer. ” Cameleon devra cependant renoncer à l’e-commerce et se concentrer sur ses deux magasins physiques, à Woluwe et à Genval.
Ce n’est pas parce nous n’avons pas de site d’e-commerce que nous ne faisons pas du digital.
A l’arrivée de Bruno Pfalzgraf, durant l’été 2016, Cameleon n’est pas encore tout à fait tirée d’affaire. ” Nous sentions que nous étions encore un peu dans l’ornière “, se souvient-il. En optant pour ce Français, le conseil d’administration fait le choix d’un CEO plus opérationnel. Objectif : terminer le plan de redressement judiciaire et aller de l’avant. Bruno Pfalzgraf a effet une solide expérience dans le secteur textile. Il a notamment travaillé pour les marques Bellerose, Façonnable, ou encore pour Levi Strauss, qui souhaitait lancer une marque de jeans en grande distribution en 2002. Il a aussi évolué au sein de VF Corporation dans les années 1990, un groupe américain qui possède aujourd’hui des marques comme Eastpak, The North Face ou Kipling. Pour Cameleon, Bruno Pfalzgraf reprendra le mode de gestion de la grande distribution.
Huit sprints par an
A son arrivée, l’entreprise se sépare d’une petite trentaine de personnes, sur les 140 employés que comptait le groupe à l’époque (contre une bonne centaine aujourd’hui). Fin 2016, l’entreprise est tirée d’affaire. ” Malgré tout, les besoins de financement restaient importants et j’avais toujours ces contraintes de cash “, poursuit-il. Le CEO cherche donc à améliorer la rentabilité de Cameleon.
Il s’attelle d’abord à augmenter la rotation des stocks. Traditionnellement, l’arrivée de nouvelles collections dans un magasin est rythmée par les saisons printemps-été, et automne-hiver. ” Nous n’avons plus découpé l’année en deux saisons, mais en huit sprints “, explique Bruno Pfalzgraf. Nous avons des cycles de vente de six à huit semaines et nous étalons donc nos livraisons.” Des actions promotionnelles permettent de booster la vente des stocks. Grâce à cette rotation plus rapide, il n’est plus nécessaire d’investir autant d’argent en même temps dans un stock qui va mettre plusieurs mois pour être vendu. L’argent investi est ainsi plus rapidement récupéré pour financer les stocks suivants.
L’année est ainsi découpée en plusieurs ” événements “. ” Multiplier les raisons de venir nous a aussi permis d’augmenter la fréquence de visites de nos clients “, poursuit-il. Avec le développement de l’e-commerce, augmenter le ” trafic ” des visiteurs dans ” ces magasins en briques ” reste un des principaux challenges des retailers, dans le textile comme dans d’autres secteurs tels que la grande distribution.
Chaque visiteur vient ainsi en moyenne quatre fois par an chez Cameleon. ” Nous avons retrouvé l’esprit du fondateur, Jean-Cédric van der Belen. Au départ, il y a près de 31 ans, il vendait des collections dans son kot d’étudiant. Il a ensuite fait des ventes événementielles qui étaient réservées à une communauté de membres. Il fallait être parrainé. Elles duraient trois ou 10 jours, par exemple, puis elles s’arrêtaient. ” Derrière la marque Cameleon, nous retrouvons en effet la société Famous Clothes, détenue par Jean-Cédric van der Belen, le fonds d’investissement E-Capital, finance. brussels et, de manière minoritaire, par Geoffroy Bauer et Augustin Wigny.
Six mois après son arrivée, Bruno Pfalzgraf a installé un CRM, un logiciel de gestion de la relation client. Grâce à la carte de fidélité, l’entreprise récolte des données sur ses visiteurs. De précieuses données pour l’équipe marketing qui peut ainsi affiner les profils des clients afin de leur envoyer des messages publicitaires qui seraient plus susceptibles de les toucher. Objectif : les fidéliser.
Renouer avec la croissance
Le chiffre d’affaires de Cameleon est resté stable entre 2016 et 2018, tournant aux alentours de 25 millions d’euros. Cette année, Bruno Pfalzgraf fait le pari de retrouver le chemin de la croissance. Au-delà de la stabilisation de la société, de l’augmentation du trafic dans ses magasins et de la fidélisation de ses ‘membres’, le CEO a pour objectif d’étendre sa communauté de clients. Une offensive engagée dès septembre dernier. Selon une étude en cours, dans la zone de chalandise directe de Cameleon, une personne sur deux ne connaît pas l’enseigne. Bruno Pfalzgraf a donc renforcé son pôle marketing afin d’augmenter la notoriété de ses deux magasins. Une offensive qui passe notamment par les réseaux sociaux. Un développement très récent. ” Cela fait un mois que nous commençons sérieusement à faire du média social “, poursuit-il. Essentiellement sur Instagram et Facebook. Objectif : convaincre les 25 à 35 ans de passer au magasin. CRM, affinage du marketing, développement sur les réseaux sociaux, une stratégie qui semble porter ses fruits selon Bruno Pfalzgraf. ” Nous avons commencé à augmenter notre clientèle comme jamais, lance-t-il. Aujourd’hui, plus de 10% de notre chiffre d’affaires est déjà réalisé grâce à nos nouveaux clients. ”
Cependant, le marché sur lequel évolue Cameleon reste très concurrentiel. La société s’est en effet spécialisée dans l’ offprice (ou outlet) : elle rachète les stocks invendus de grandes marques et les revend à prix cassés. Sur ce segment, nous retrouvons des pure players comme Veepee, qui vendent uniquement sur le Web ; les Villages de marques ; voire certains discounteurs. D’autres acteurs de l’e-commerce, comme Zalando ou Amazon, font également ce type de vente. Sans compter la concurrence des shopping centers situés à proximité, comme le Woluwe Shopping ou Docks Bruxsel, et les différentes enseignes qu’ils hébergent. Même si les publics ciblés sont bien différents. ” Nous sommes sur un segment porteur “, assure Bruno Pfalzgraf. Néanmoins, l’entreprise s’est également diversifiée en proposant des montres, de la joaillerie, des parfums et des objets pour décorer sa maison.
Une boîte digitale
Profil, membre, communauté, trafic, événements, etc. : des mots qui nous renvoient sans cesse au Web. ” Ce n’est pas parce nous n’avons pas de site d’e-commerce que nous ne faisons pas du digital “, lance Bruno Pfalzgraf. Ce choix d’abandonner l’e-commerce, même si la survie de la société en dépendait, va cependant à contre-courant de la tendance actuelle. Dans tous les secteurs de la vente, on ne parle que d’achats en ligne, voire de livraison par drone ou par véhicule autonome. Dans cette perspective, les réseaux sociaux jouent un rôle prépondérant en augmentant le trafic sur ces sites de vente en ligne. Cameleon se lancera-t-il donc une nouvelle fois dans ce créneau ? ” Nous n’allons pas vendre à nouveau tous nos stocks en ligne, répond le CEO. Le propre de notre business model, c’est de vous faire venir ici. Nous allons vous proposer un parcours dans le magasin qui va vous donner l’envie d’acheter plein d’autres choses. ” Néanmoins, certains produits pourraient être vendus en ligne à l’avenir. ” Nous ne sommes pas encore équipés pour le faire mais, à terme, une partie des lots pourraient aussi être proposés en ligne. ” Pour écouler un stock de valises dans les magasins physiques et en même temps sur le Web, par exemple.
Bruno Pfalzgraf compte également poursuivre ses investissements dans le digital, notamment dans l’intelligence artificielle. ” Nous vendons plus d’un million de pièces par an et j’ai près de 80.000 à 90.000 positions de stock sur l’année. Une position, c’est votre chemise, dans une couleur, dans une taille. ” Le CEO de Cameleon rêve donc d’une intelligence artificielle qui serait capable de lui dire : ” Ce produit-là, tu le vends depuis trois semaines à 20 euros. Il ne part pas. Descends-le à 15 euros. ” Ou encore : ” Tu n’as plus que des chemises XXL. J’ai regardé tes données depuis trois ans. Si tu ne les mets pas à -50%, tu ne les vendras pas “. L’intelligence artificielle devrait donc permettre d’améliorer la gestion et la vente des stocks.
Si Bruno Pfalzgraf réussit cette année son pari de la croissance, il pourrait convaincre ses actionnaires d’ouvrir prochainement un troisième magasin. ” Il faut trouver l’emplacement, le récupérer ou le construire. Il faut y penser maintenant, lance le CEO. C’est ce que je dis à mes actionnaires. ”
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