Breguet, la marque horlogère suisse, fête ses 250 ans cette année. Pour l’occasion, la marque a élaboré un nouvel alliage et commercialise de nouveaux modèles. Entretien avec son CEO, Gregory Kissling, qui a pour objectif de moderniser l’image de la marque. Celui-ci surveille également les tensions géopolitiques qui affectent le secteur.
“Nous sommes sûrement la marque d’horlogerie suisse la plus française“, explique Gregory Kissling, à l’occasion du lancement des 250 ans de Breguet dans sa boutique de Paris. Pour fêter cet anniversaire, la marque helvétique a déployé une stratégie un peu particulière : elle a décidé de marquer le coup non pas une fois, mais toute l’année à travers des événements qui auront lieu dans les plus grandes villes du monde. “Cette tournée mondiale sera cadencée par le lancement de nouveaux produits, et notamment notre collection anniversaire qui sera déclinée sur nos collections courantes”, poursuit le CEO.

Gregory Kissling, à l’origine de toute la stratégie de la marque, est arrivé à la tête de Breguet en octobre 2024. Ingénieur microtechnique de formation, il exerce depuis plus de 25 ans dans le secteur de l’horlogerie. D’abord du côté technique, en œuvrant dans la construction de mouvements. Puis, après deux masters en management du luxe et en gestion, il se tourne vers le côté produit et intègre Omega en 2004 en qualité de product manager. Il devient responsable du product management en 2008, avant d’intégrer la direction en 2014. En 2022, il est nommé vice-président de la maison biennoise, responsable du développement produit. Il prend finalement la tête de Breguet deux ans plus tard.
Si elles ont des positionnements assez distincts, les marques Omega et Breguet font partie du portefeuille de produits du groupe Swatch.
“Swatch Group, ce n’est pas uniquement un portefeuille de marques, mais c’est aussi énormément de manufacture, de recherche et développement, note le responsable. Repousser les limites de l’horlogerie, les limites de la micromécanique, l’introduction de nouveaux matériaux ou encore la recherche de nouveaux matériaux sont autant de choses qui sont finalement communes à ces deux marques emblématiques”, poursuit le CEO, qui se plait à rappeler un peu d’histoire via Georges Daniels, un des grands horlogers du 20e siècle et l’inventeur de l’échappement coaxial qui a été finalement intégré dans l’ensemble de la collection Omega.
“Georges Daniels était aussi un fervent admirateur de Breguet. Il a d’ailleurs écrit un des magnifiques livres sur Breguet, The Art of Breguet, qui a décortiqué des centaines de montres”, rappelle-t-il.
En prenant ses fonctions, l’une des missions du nouveau CEO a été de moderniser l’image de la maison Breguet à l’instar du fondateur, Abraham-Louis Breguet, avec l’horlogerie. “On cite Breguet comme étant le père de l’horlogerie moderne. Pourtant, il n’a pas inventé l’horlogerie, mais il l’a modernisée, que ce soit à travers des inventions techniques ou à travers un style bien à lui.”
Gregory Kissling fait également part de son ambition de conquérir de nouveaux clients. “C’est un vrai challenge que d’aller chercher une nouvelle clientèle avec des produits, du conseil et des histoires”, précise-t-il.
De nouvelles boutiques
Et pour aller chercher cette nouvelle clientèle, Breguet mise notamment sur la rénovation de ses boutiques. “Nous avons transformé nos boutiques avec ce qu’on appelle aujourd’hui des ‘pop in’, c’est-à-dire que l’on a gardé nos murs extérieurs, mais à l’intérieur, nous avons complètement rénové nos points de vente”, précise Gregory Kissling, qui a voulu mettre davantage en évidence l’univers Breguet et les différentes inventions de la marque. “Le produit est central dans une maison comme la nôtre. Il faut le mettre en avant, tout comme il faut mettre en avant le côté humain. Nous sommes une vraie manufacture dont la touche humaine est extrêmement importante.
La marque compte aujourd’hui 40 boutiques à travers le monde dans les différentes régions d’Europe, des États-Unis, du Moyen-Orient et d’Asie. “Notre volonté est d’augmenter le nombre de boutiques en propre”, poursuit le CEO, qui n’exclut pas une présence en Belgique. “Pour implanter une nouvelle boutique, l’endroit est vraiment capital. Il faut à la fois que la taille du lieu soit appropriée, mais également qu’il soit à proximité d’un public averti, sans oublier la question du staff qui doit être qualifié.” Pour le responsable, le marché belge est un marché suffisamment mature.
“Le public belge est connaisseur et sensible à la belle horlogerie”, assure-t-il. À côté de ses boutiques en propre, la marque peut compter sur un réseau important de détaillants multimarques qui proposent également ses produits. “Nous avons aussi ce qu’on appelle des boutiques Tourbillon, qui revendent au visiteur les marques les plus prestigieuses de Swatch Group : Breguet, Blancpain, Glashütte Original, Jaquet Droz, Omega, ainsi que des garde-temps Harry Winston.”
“Le public belge est connaisseur et sensible à la belle horlogerie.” – Gregory Kissling
Aujourd’hui, la marque suisse cible les trentenaires “passionnés et amoureux de l’horlogerie.” “Cette génération est friande d’authenticité et Breguet coche toutes les cases d’une marque traditionnelle qui sait à la fois mélanger tradition et modernité.” Le responsable estime que son produit, bien que fêtant ses 250 ans, répond aux tendances actuelles. “Aujourd’hui, il y a un retour au classicisme, c’est une tendance dans laquelle nous n’avons aucun mal à nous couler.”
Une autre tendance qui s’affirme et sur laquelle la marque suisse veut se positionner est celle du “quiet luxury“. “Il n’y a pas dans nos modèles de côté ostentatoire, c’est un produit de connaisseur”, pointe-t-il. Pour le CEO, les 250 ans de Breguet ne sont pas un frein à son développement, mais au contraire, un avantage. “Les codes esthétiques mis en place en 1775 se retrouvent encore aujourd’hui. Il n’y a aucune marque de haute horlogerie aujourd’hui qui a conservé le lien entre sa production d’origine et sa production courante.”

Un nouvel alliage
Côté innovation, la marque a dévoilé l’or Breguet, un nouvel alliage composé par un subtil dosage d’or, d’argent, de cuivre et de palladium. “L’or jaune revient en force depuis quelques années, à travers cet alliage nous avons voulu le réinterpréter à notre manière et le réintroduire chez Breguet, explique Gregory Kissling. L’or Breguet illustre notre volonté d’être différents, exclusifs, innovants et s’inspire de l’or utilisé par Breguet au 18e siècle.”
L’or Breguet n’est pas seulement un alliage exclusif au niveau de sa couleur : il possède également des propriétés physico-chimiques qui lui sont propres. “Aujourd’hui, on sait que l’or a une fâcheuse tendance à décolorer : il s’oxyde plus facilement notamment à cause des pluies acides que l’on peut trouver en Asie, mais aussi la transpiration, qui le pousse à se ternir avec le temps, analyse le responsable. Faire un alliage, c’est comme une recette : tout le monde sait cuisiner, mais même avec les mêmes ingrédients à disposition, le résultat n’est pas le même en fonction du cuisinier.”
Le développement de cet alliage a été réalisé en interne, avec le soutien du groupe via un réseau de métallurgiste et l’accès à la fonderie. “C’est la force du groupe qui nous a permis d’être aussi efficaces.” En termes de recherche et développement, Breguet a pu s’appuyer sur les équipes au niveau du groupe qui sont mises à disposition des marques qui ont chacune leur lot de brevets – plus de 300 pour Breguet. “L’objectif, c’est que la marque soit toujours dans ce qu’on appelle le ‘driver seat’, c’est elle qui va utiliser ses ressources pour introduire une technologie ou une autre dans ses produits.”
Les États-Unis, pas encore matures
Faire partie d’un groupe n’est pas seulement un avantage au niveau de la recherche et du développement : cela permet aussi à la marque de souffrir “un peu moins” en période de tensions géopolitiques. “Nous sommes dans une période beaucoup plus challenging qu’il y a quelques années”, concède Gregory Kissling, qui fait référence à la période post-crise sanitaire. Dans l’ensemble, le marché des montres de luxe s’est contracté en 2024, après trois années de rebond post-covid, indique le rapport de Morgan Stanley sur les montres de luxe.
Les exportations de montres suisses ont diminué de 3% en 2024, ce qui pourrait être perçu comme une consolidation après des années record en 2022 et 2023, ou le début d’une récession pour l’ensemble du secteur. Ce ralentissement des ventes pour 2024 s’explique entre autres en raison des difficultés macroéconomiques et géopolitiques, ainsi que des incertitudes liées à la demande aux États-Unis, en Europe et principalement en Chine. “Notre chance est d’être une marque internationale globalisée. Aujourd’hui, tous les acteurs souffrent de la situation en Chine particulièrement, mais aussi dans le reste du monde, puisque aujourd’hui, les clients voyagent moins ou s’ils voyagent, ils consomment moins à l’extérieur.” La fédération horlogère lui donne raison : elle indique dans un récent rapport que les marchés asiatiques sont en net repli, diminuant de 30,5% vers la Chine et de 22,8% vers Hong Kong.
Plus récemment, et en réaction à l’annonce des droits de douane du président des États-Unis et son souhait de taxer l’industrie à 31% avant de les suspendre, les exportations de montres suisses ont connu un bond spectaculaire en avril, avec une hausse de 149,2%. Ce marché clé est devenu la première destination d’exportation devant la Chine et Hong Kong. Sans ces envois massifs vers les États-Unis, les exportations horlogères s’inscriraient d’ailleurs en “repli de 6,4%” en avril, a souligné la fédération horlogère.
“Le marché américain est un marché très important avec encore une fois un fort potentiel de croissance”, ajoute Gregory Kissling, qui admet, sans donner plus de précisions, qu’en réaction, le secteur et Breguet augmenteront leurs prix. “Je pense qu’il ne faut pas surréagir et se projeter à moyen et long terme. Les États-Unis restent un marché important. Un marché qui, sous l’angle de la connaissance de l’horlogerie, n’est pas mature. C’est un marché en progression qu’il serait dommage d’ignorer.