La Maison Degand fête ses 50 ans
Fondée par Pierre Degand qui fête son demi-siècle de couture, la maison de mode bruxelloise est aujourd’hui cornaquée par le CEO Fabrice Duchêne. Ensemble, les deux hommes entendent pérenniser la marque de prestige tout en développant un écosystème où vêtements, art de vivre et gastronomie sont désormais unis.
Sans trop forcer, on se voit immédiatement propulsé dans un poème de Charles Baudelaire…
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Tirés du recueil Les Fleurs du mal, ces vers pourraient habiller sans rougir une autre œuvre fictive: Les Fleurs du mâle, signée cette fois par la Maison Degand. Dans cette demeure bruxelloise de l’avenue Louise, les cinq termes baudelairiens trouvent en effet leur cohérence réciproque. L’espace est majestueux. L’élégance, silencieuse. Le raffinement, palpable.
Maître des lieux depuis 40 ans et couturier adroit depuis un demi-siècle déjà, Pierre Degand y affiche fièrement sa marque de fabrique (l’excellence et le sur-mesure) dans un décor à la hauteur de ses ambitions: un hôtel de maître centenaire, ponctué d’art contemporain, où s’affairent une trentaine de collaborateurs dont 10 artisans exclusivement dédiés à l’architecture du vêtement.
Débuts balnéaires
Le contraste avec sa toute première boutique, plantée à la côte belge, est saisissant. “Un kot à brosses!”, lance Pierre Degand avec le sourire quand il se remémore ses toutes premières années de mode. Nous sommes en 1973 – il y a tout juste 50 ans – et le jeune homme gère un minuscule espace commercial à Knokke “avec les moyens du bord” (sic) et le soutien de sa maman chérie. Il y vend des jeans, des chemises à fleurs et des pulls en shetland dans une station balnéaire qui, à l’époque, n’est pas trop fréquentée. Mais son sens du détail et son aiguille experte font mouche auprès d’une clientèle huppée, notamment anversoise. Quelques diamantaires fidèles invitent Pierre Degand à placer davantage de “labels de qualité” dans sa vitrine (il n’aime pas le mot marque), le couturier s’exécute et le bouche à oreille s’installe. “C’est ma force, précise-t-il. J’écoute, je retiens, je cherche. Je suis un assidu!”
Lentement mais sûrement, l’homme se construit une réputation stylistique dans la sphère bourgeoise et aristocratique, jusqu’à ce coup de théâtre en 1983. Après 10 années de mode balnéaire, le tailleur de costume revient à Bruxelles, sa ville natale, “pour une histoire de cœur”, confie-t-il. Il cherche un nouvel emplacement pour y déménager son activité professionnelle de la mer du Nord et cette fois, il vise haut. Ce sera cet hôtel de maître sur l’avenue Louise acheté pour “6 millions de francs belges” (150.000 euros actuels) qu’il emprunte alors à la Banque du Commerce.
Un îlot de luxe
Le chantier est gigantesque. Quelques années plus tôt, le bâtiment a été transformé en un atelier de réparation pour la marque d’électronique Pioneer, avec des cloisons à répétition et des centaines de mètres de “balatum” collé au sol. Pierre Degand prendra son temps, en agençant progressivement l’espace au fil de son parcours, pour terminer cette rénovation en beauté, il y a cinq ans à peine, avec un toit surélevé qui abrite désormais ses ateliers de couture.
Aujourd’hui, la Maison Degand est un petit bijou artistique dont le contenant reflète parfaitement le contenu: une architecture et une décoration raffinées au service d’une mode masculine haut de gamme où le sens du détail prévaut en toutes circonstances. Bref, un îlot de luxe perdu dans un paysage de mode globalisé où les notions d’espace et de temps se font de plus en plus rares. “Ma démarche est à l’inverse de tout ce que l’on peut observer aujourd’hui, constate Pierre Degand. En général, on tire vers la médiocrité. Moi, je veux continuer à tendre vers l’excellence. Mes clients veulent avant tout un conseil, un service sur mesure et les plus belles matières. Et c’est ce que je leur fournis car je suis toujours resté attaché à la qualité et à ces valeurs d’excellence.”
Un nouveau CEO
A 70 ans, le couturier n’a pas encore déposé le dé à coudre mais il s’est toutefois entouré de précieux alliés pour assurer la pérennité de son entreprise. Il y a son épouse Michèle et sa fille Emily, bien sûr, qui le secondent au quotidien depuis quelques années déjà, mais il y a surtout un “nouveau venu” qui a endossé le costume de CEO de la Maison Degand il y a tout juste six mois: Fabrice Duchêne, ancien directeur général des marques de mode Mer du Nord et Chine fondées par son père Luc Duchêne.
“J’hérite d’une absence de structure, sourit le nouveau CEO, et je commence seulement à y voir clair. La Maison Degand est un nom et une institution mais il faut assainir la société pour qu’elle soit performante et pérenne, surtout après des années difficiles liées à la crise sanitaire, sans parler de cette année 2023 qui est placée sous le signe de l’imprévisibilité. Au-delà de la gestion quotidienne, mon rôle consiste aujourd’hui à structurer et à développer la Maison Degand pour la guider vers des lendemains enchanteurs, avec ce défi: faire venir une nouvelle génération vers cette maison réputée.”
“Quiet luxury”
Le covid, il est vrai, a quelque peu sapé le moral des troupes et les finances de l’entreprise. “Tout s’est arrêté mais la reprise a été incroyable, s’enthousiasme Pierre Degand. Les gens ont repris du plaisir à sortir, à aller au restaurant, à boire du bon vin, à bien s’habiller, à se marier… On a retrouvé le sourire!”
Si les comptes sont effectivement revenus à l’équilibre en 2022, l’incertitude liée à la guerre en Ukraine plane toujours au-dessus de la maison. Mais le duo reste toutefois confiant, convaincu que sa stratégie du “quiet luxury” (le luxe discret) épouse parfaitement la tendance actuelle.
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“Il y a aujourd’hui dans l’ultra-luxe ce côté bling-bling avec des célébrités qui affichent des logos démesurés, constate Fabrice Duchêne. Or, ce côté ostentatoire ne nous parle pas car nous touchons précisément, chez Degand, une clientèle qui n’a pas d’attrait pour ce type de luxe tape-à-l’œil. Elle recherche une autre expression de l’excellence, davantage centrée sur l’élégance, l’authenticité, la rigueur technique et la qualité. Ce qu’on vend d’abord, ici, c’est un état d’esprit.”
Un écosystème inédit
Cet état d’esprit dépasse l’art du costume au masculin. Désireuse de garder à l’avenir sa clientèle dans une espèce d’écosystème dédié au luxe discret, la Maison Degand veut aujourd’hui élargir son offre en ajoutant le lifestyle et la gastronomie au vêtement raffiné. Parmi les quatre immeubles que possède le couturier dans le même pâté de maisons ixellois, il en est un qui s’est déjà ouvert jadis à l’art culinaire et qui s’apprête bientôt à renaître. A la fin de ce mois, le restaurant Emily (anciennement Villa Emily) rouvrira en effet ses portes rue de l’Abbaye, à quelques enjambées de la Maison Degand.
Il s’agit bien d’une renaissance puisque cet établissement, d’abord inauguré sous le nom Emily Ristorante en 2014, avait été confié un an plus tard à la famille Litvine, propriétaire des célèbres restaurants La Villa Lorraine, Odette en Ville et Villa in the Sky à Bruxelles. Rebaptisée Villa Emily, cette adresse bruxelloise avait ensuite décroché une précieuse étoile au Guide Michelin en 2016. Mais cette année, Pierre Degand a décidé de reprendre en main l’exploitation de ce bien qui lui appartient, en y ajoutant toutefois sa touche personnelle avec la complicité de son CEO Fabrice Duchêne. Dans quelques semaines, le nouvel Emily (actuellement en phase de légère rénovation) reprendra du service avec un nouveau chef aux fourneaux, Luca Gaviglio, du restaurant Un Altro Mondo à Wavre.
Doublé culinaire
Cette nouvelle aventure gastronomique n’est pas la seule au menu du tandem Degand-Duchêne. A quelques mètres à peine du restaurant Emily qui comptera 25 à 30 couverts par service, un autre établissement verra le jour dans un an, dans une version un peu moins huppée et connu aujourd’hui sous le nom de code John (le prénom du deuxième enfant de Pierre Degand).
“Ce sera un endroit de journée qui comptera beaucoup plus de couverts et qui sera probablement ouvert de 8 h à 18h30, précise Fabrice Duchêne. L’idée est vraiment d’accompagner notre client du matin au soir en lui proposant un petit-déjeuner, un lunch, un thé et, pourquoi pas, un restaurant gastronomique le soir juste à côté. Ces lieux sont aussi une porte d’entrée pour découvrir tout l’univers de la Maison Degand. Nous sommes attentifs à ce que les gens passent de bons moments et, quelque part, on élargit la marque avec une certaine cohérence puisque l’idée est de se faire plaisir et de faire plaisir avec des cadeaux, des vêtements, des mets, des objets de décoration et même de l’art puisque l’on va bientôt vendre une lampe exclusive que Pierre a lui-même développée.”
Le CEO de la Maison Degand le confirme: l’ambition est donc d’élargir l’offre actuelle et de la dynamiser, en partant du costume qui relève de l’intemporel pour aller vers d’autres formes plus temporelles ancrées dans la gastronomie, l’art et le lifestyle.
L’ambassadeur Stromae
Cette nouvelle dynamique surfe d’ailleurs sur la notoriété, acquise et “rafraîchie”, du couturier bruxellois. Fournisseur breveté de la Cour de Belgique, la Maison Degand habille non seulement le roi Philippe dans de nombreux déplacements, mais elle a aussi créé le buzz au début de l’année dernière lorsque le chanteur Stromae est apparu en costume-cravate sur le plateau du journal de TF1 pour y présenter son dernier album Multitude. Ce soir-là, l’artiste avait non seulement bluffé son audience en répondant en chanson à une question de la présentatrice, mais il avait aussi détonné en arborant un look en rupture totale avec ses précédentes apparitions. Fini le bermuda façon petit garçon et les motifs bariolés qui ont patiemment construit son personnage: Stromae arborait cette fois un costume très classe signé Pierre Degand qui lui donnait presque une allure politique à l’heure du JT.
Une demi-surprise toutefois puisque la Maison Degand avait aussi confectionné la tenue que porte le chanteur “démultiplié” sur la pochette de son dernier album: un costume à carreaux bleutés, recouvert d’une mini-cape, confectionné sur mesure et destiné à rester une pièce unique pour Stromae. On l’aura compris: aucun logo Degand à l’horizon. L’artiste avait capté avant tout le monde la montée en puissance du “quiet luxury” qui sied si bien à la maison bruxelloise.
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