La guerre n’aura pas raison de la percée de l’e-commerce: “Tout ce qui peut voler vole”
La pandémie fait les beaux jours du transport aérien. L’an dernier, Zaventem a enregistré une croissance record du volume de fret. Et 2022 paraissait tout aussi prometteur jusqu’à ce que la guerre éclate en Ukraine. Si Brussels Airport n’en attend pas de gros impact sur les volumes, les tarifs devraient augmenter.
Quel est l’impact de guerre sur le fret aérien? “Une augmentation du prix du kérosène, explique d’entrée Geert Aerts, directeur cargo & logistics à Brussels Airport. Voler coûtera donc plus cher.” Le client le remarquera aussi, par le biais de tarifs plus élevés. “En temps de guerre, les entreprises veulent avant tout constituer des stocks pour éviter de subir les conséquences d’éventuels goulets d’étranglement logistiques, y compris via le transport aérien, poursuit Geert Aerts. L’augmentation de la demande de fret va provoquer une hausse des tarifs. C’est un effet pervers, mais cela favorise la rentabilité des vols cargo.”
Les sanctions internationales vont faire mal à l’économie russe, mais elles n’auront pas d’impact sur les volumes de fret à Brussels Airport: peu de vols cargo prennent la direction de la Russie à partir de Zaventem. Mais les principales routes de fret vers l’Asie passent au-dessus de ce pays, ce qui ne va pas sans poser un problème. “Une éventuelle interdiction de survol du territoire russe serait lourde de conséquences”, reconnaissait déjà Geert Aerts avant que la Russie n’interdise effectivement son survol aux compagnies occidentales. Son contournement allonge les routes et augmente par conséquent les coûts. Le décompte final de 2022 dépendra également des indicateurs macroéconomiques. “Quelle croissance aurons-nous cette année? Jusqu’où l’inflation va-t-elle monter? Les volumes de fret aérien sont très sensibles à ce type de variables, rappelle Geert Aerts. J’espère surtout que la guerre sera courte.”
Spécialisé, donc plus rentable
La guerre n’aura cependant pas raison de l’héritage de la pandémie par excellence: la percée de l’e-commerce. “Même mes parents commandent désormais en ligne. On ne reviendra pas en arrière”, estime Geert Aerts. Notamment grâce à la présence du spécialiste du fret express DHL, filiale de Deutsche Post, l’e-commerce a accru le volume de colis de plus de 20% à Brussels Airport. Le fret aérien classique a fait encore mieux avec un bond de plus de 40%. Et la croissance des marchandises transportées dans la soute des avions de passagers est à nouveau encore plus élevée, comme celle du fret aérien en provenance d’autres aéroports. Brussels Airport a traité 843.000 tonnes au total l’an dernier, en hausse de 30,4% par rapport à 2020.
“C’est la plus forte croissance de notre histoire. Et ce, sans embouteillages à l’aéroport, se réjouit Geert Aerts. Cette performance s’explique notamment par la collaboration avec les sociétés actives sur le site, les investissements réalisés dans les entrepôts et la numérisation. Cette dernière rend les interactions au sol plus efficaces.” Pourtant, le volume n’est pas la priorité de Brussels Airport: l’aéroport privilégie le transport spécialisé, de médicaments par exemple. Avec 35.000 m2 d’entrepôts réfrigérés, Zaventem est le plus grand hub pharmaceutique d’Europe. On y a par exemple traité plus de 900 millions de vaccins contre le coronavirus depuis le début de la pandémie. Une autre niche est le transport d’animaux vivants, notamment grâce au centre de soins et d’inspection spécialisé aménagé à l’aéroport. “Il n’accueille pas uniquement les chiens et chats qui voyagent avec les passagers, mais aussi des lamas, ours et pandas destinés aux parcs zoologiques”, explique Geert Aerts. Brussels Airport s’est également spécialisé dans le traitement de denrées périssables comme les fruits, les légumes et les fleurs. “Ici, la Saint-Valentin est toujours un grand jour, sourit Geert Aerts. Les fleurs arrivent de loin, d’Ethiopie par exemple.”
Cette spécialisation doit protéger Brussels Airport des caprices de la demande de fret. C’est aussi plus rentable, même si Geert Aerts ne veut pas divulguer les bénéfices réalisés par sa division fret. “Nos clients sont prêts à payer pour notre expertise. Mais cela nécessite des investissements. N’oubliez pas: c’est toujours le marché qui fixe les prix.”
Les entreprises de transport aérien n’ont toutefois aucune raison de se plaindre. Depuis la pandémie, les affaires tournent comme jamais. Et s’il n’est pas encore question de pénurie d’avions, la situation est très tendue. “Tout ce qui peut voler vole, note Geert Aerts. On rapatrie des avions de leurs parkings dans le désert. L’objectif est également de compenser la perte de capacité dans les soutes des avions de passagers. Les restrictions imposées aux voyages ont en effet réduit le nombre de vols de ligne.”
“Le marché fait son oeuvre”
Le boom du fret aérien entraîne aussi une brutale hausse des prix. “Par exemple, les tarifs de transport aérien vers les régions de production en Asie ont triplé, voire quadruplé, note Geert Aerts. C’est beaucoup, mais moins spectaculaire que les pics enregistrés dans le transport maritime.” Les deux vont de pair. La pénurie de capacités maritimes accroît la demande de transport aérien, ce qui donne lieu à des scènes inédites. “Des produits qui étaient transportés par bateau le sont maintenant par avion, explique Geert Aerts. Nous transportons actuellement des éléments vers une usine d’assemblage pour camions en Amérique latine. Même si le constructeur de camions trouvait un bateau, celui-ci n’arriverait jamais à temps en Amérique latine, et la ligne d’assemblage s’arrêterait. Cela démontre la plus-value du fret aérien. Il est flexible et fiable.” Mais aussi très cher, non? “Comme je l’ai déjà dit, le marché fait son oeuvre. Un tel transport d’urgence ne se justifie que pour les produits à très grande valeur ajoutée, comme des pièces pour camions. On ne transportera jamais de bois par avion.”
Brussels Airport opère dans une zone densément peuplée, ce qui engendre des nuisances sonores. Cependant, il subsiste du potentiel de croissance, affirme Geert Aerts. “Nous connaissons et reconnaissons les limites. C’est pourquoi nous ne misons pas sur les volumes, mais sur des transports de niche. Et dans ce domaine, nous n’avons pas encore atteint notre plafond, loin de là, du moins si nous parvenons à trouver la main-d’oeuvre nécessaire. Nous voulons offrir l’environnement de travail le plus agréable possible. Les tensions sur le marché du travail ne limitent pas encore notre croissance. Mais c’est une menace.”
Les passagers, vraie vache à lait
L’impact du boom du fret aérien n’a pas concerné que Zaventem. A Liège aussi, le volume a atteint des sommets. 2020 a été une nouvelle année record avec 1,1 million de tonnes de fret traitées et transportées, soit presque 25% de plus qu’en 2019. Et le cru 2021 a été encore meilleur, avec 1,4 million de tonnes.
Ces volumes s’accompagnent de subventions. Au cours des quatre exercices de 2017-2020, Liege Airport SA a reçu 111 millions d’euros au total, pour les services publics, les pompiers et la sécurité. Sans ces montants, l’exploitant essuierait une perte. En 2020 par exemple, il a enregistré un chiffre d’affaires de 51 millions d’euros, alors que les charges s’élevaient à 66 millions d’euros.
L’exploitant de l’aéroport de Zaventem ne reçoit pas de tels subsides. En 2020, il a donc essuyé une lourde perte. En raison de la crise sanitaire, le nombre de passagers a baissé de trois quarts, à 6,7 millions. Or, ces derniers sont la vraie vache à lait de Brussels Airport. Chaque voyageur au départ paie une taxe de 29,105 euros. Pour un passager en transit, c’est 19,08 euros. Des montants auxquels il faut ajouter les revenus connexes, par exemple via les parkings ou la consommation aux terminaux. Comme la pandémie a asséché une grande partie de ces revenus, Brussels Airport a subi une perte d’exploitation de 111 millions d’euros.
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