Avec entre autres “Dag Allemaal”, “De Morgen”, “Het Laatste Nieuws”, RTL et VTM, l’empire médiatique de la famille Van Thillo rythme les journées de millions de Belges. Pourtant, l’une des familles les plus riches du nord de la Campine anversoise préfère rester loin des projecteurs.
Fin juin, les autorités néerlandaises de la concurrence ont approuvé l’acquisition de RTL Nederland par DPG Media Group. Avec ce rachat pour 1,1 milliard d’euros, l’entreprise et son dirigeant Christian Van Thillo renforcent leur position de leader du marché en Belgique et aux Pays-Bas.
“Christian est une personne agitée, qui ose prendre de très grandes décisions, témoigne un proche du dirigeant du groupe média. Il place tout dans la perspective de son grand-père Bill. Celui-ci a eu une énorme influence sur lui. Avec le rachat de RTL Nederland, Christian voulait probablement prouver qu’il pouvait faire encore mieux que son grand-père.”
Le groupe possède des canaux d’information dominants en Belgique, comme Dag Allemaal, De Morgen, Het Laatste Nieuws, RTL et VTM. Aux Pays-Bas, il dispose de Algemeen Dagblad, RTL Nederland et De Volkskrant. Mais la famille elle-même préfère ne pas trop apparaître dans les médias. Amateur de sport, Christian Van Thillo fait certes du vélo entre sa propriété de Kalmthout et le siège anversois de la Mediaplein, mais il souhaite vivre aussi anonymement que possible. Il n’a pas non plus voulu parler à Trends de la fortune familiale.
Bill “tire sur tout”
Cette discrétion est typique de la famille. Le grand-père de Christian, Bill – Cyriel étant son prénom officiel –, était la discrétion incarnée. Le fils du patriarche Frans a été bercé dès l’enfance dans l’épargne et les affaires. Frans Van Thillo était intendant sur un domaine de la famille noble Chastel de la Howardries à Wuustwezel. Les enfants ont reçu une éducation stricte, catholique et flamande. Bill a été actif dans le secteur bancaire et les affaires coloniales, avec l’exploitation au Congo belge de plantations d’hévéas, de caféiers et de palmiers. Ce n’est qu’en 1948 qu’il investit dans les médias, avec le rachat de l’imprimerie anversoise Patria.

Bill était une légende pour son instinct entrepreneurial. “Tout ce que Bill touche se transforme en or”, écrivait De Roets, un média qui dresse le portrait de personnalités marquantes du Benelux. Sa discrétion était tout aussi légendaire, ce qui n’est pas un hasard dans le secteur bancaire. Cyriel Van Thillo apparaissait rarement comme administrateur dans les entreprises qu’il dirigeait ou contrôlait. Selon De Roets, il n’existe qu’une seule photo où Bill “apparaîtrait” : on le voit au milieu d’un groupe de chasseurs. Sa résidence secondaire à Putse Moer, à Kalmthout, regorgeait de trophées. “Je tire sur tout. Des pigeons aux éléphants”, aurait-il déclaré.
Spaarkrediet comme fondement
La résidence Putse Moer, partagée entre la Belgique et les Pays-Bas, appartient toujours à la famille. Une grande partie du domaine est inscrite dans la SA Finimvest, une société dont le total de bilan s’élève à 16 millions d’euros. En 2013, environ 250 hectares y ont été transférés, auparavant détenus par la filiale SA De Grote Heide. Il s’agit de “forêts, terres incultes, marais, eau, terrains à bâtir et prairies, chemins” de la Putse Moer, indique l’acte de la société concernant l’apport. Ce document révèle également que la branche familiale autour de Christian détenait presque la moitié des actions de Finimvest, à côté d’autres branches familiales.
Finimvest offre également un aperçu du patrimoine historique de la famille, tout comme la SA Finimco, créée en 1993 et liquidée quelques mois plus tard. À l’époque, 200 millions de francs belges ont été apportés à Finimvest (environ 10 millions d’euros actuels). Finimco était beaucoup plus importante, avec un total de bilan de 7,79 milliards de francs belges (environ 393 millions d’euros actuels). L’actif principal était une participation dans l’institution financière Spaarkrediet, évaluée par le commissaire à 3,87 milliards de francs (environ 160 millions d’euros aujourd’hui). Spaarkrediet était l’héritage principal de Cyriel Van Thillo, qui avait rejoint à la fin des années 1920 l’ancêtre de l’actuelle Algemene Hypotheek- en Kredietkas. En 1995, Spaarkrediet a été vendue au groupe KBC.
Bill avait deux frères et une sœur (voir arbre généalogique). Les documents officiels ne permettent pas de savoir comment le patrimoine a été réparti. Mais l’empire médiatique serait entièrement entre les mains de Christian, de son frère et de ses deux sœurs. Le holding consolidant est la SA Epifin, établie jusqu’au début de 2004 au Luxembourg. Epifin est elle-même liée à une stichting administratiekantoor du même nom aux Pays-Bas.
Jeune talent
Depuis les années 1990, la famille Van Thillo est surtout associée aux médias. Le démarrage fut quelque peu laborieux. En 1978, la famille acquiert la moitié des actions de l’éditeur J. Hoste, propriétaire du journal Het Laatste Nieuws. Ludo Van Thillo, fils de Cyriel et père de Christian, dirigeait la branche médias.
Mais le véritable élan n’est venu qu’à partir de 1989, lorsque Christian, alors âgé de seulement 27 ans, devient CEO du groupe média. Étudiant, il avait déjà travaillé pendant l’été dans l’entreprise familiale. Il était présent à l’imprimerie avec les autres ouvriers. Il circulait dans la rédaction de Joepie, où il attrape le virus du journalisme.
“Le talent a sauté une génération”, affirment plusieurs observateurs. Un ancien collaborateur, qui a travaillé plusieurs décennies avec Christian, dit : “Il a l’audace et l’esprit d’entreprise de son grand-père.Christian a toujours structuré l’organisation très rapidement et de manière stricte, même après des rachats. Il a remplacé assez vite tout le comité de direction. De plus, il a donné à de jeunes talents des opportunités énormes, presque de manière téméraire. Mais quand le talent ne produisait plus, il était impitoyable. Dans une autre vie, il aurait été l’un des meilleurs rédacteurs en chef. Christian est aussi un formidable conteur. Parfois, on avait les larmes aux yeux et mal au ventre de rire en l’écoutant.”
Yves Desmet, ancien rédacteur en chef du journal De Morgen, confirme le talent : “Christian Van Thillo est un super-éditeur et il peut lancer une discussion de fond aussi bien dans la rédaction de Dag Allemaal que dans celle du Morgen. Il a une compréhension très fine et profonde de la manière de créer des magazines pour des publics divers. Il pouvait aussi l’illustrer avec des exemples de publications étrangères.”
“Je suis un anxieux”

Le parcours du dirigeant montre que le monde des médias n’est pas forcément en crise. La SA Epifin affiche des résultats très solides (voir tableau). En tant qu’ancien élève du collège Saint-Joseph de Turnhout, Christian Van Thillo ne se repose jamais sur ses lauriers. “Depuis 30 ans, j’ai peur qu’il se passe soudain quelque chose chez un concurrent que je n’aurais pas vu venir”, a-t-il confié dans une interview à Humo, également un média du groupe. “De ce point de vue-là, je suis un anxieux. Quand je vois qu’un nouveau concurrent arrive ou que de grands changements sont en cours, je veux être dans les parages. Si tu n’es pas là aux moments cruciaux, quand le seras-tu ?”
“Cela fait 30 ans que j’ai peur qu’il se passe soudain quelque chose chez un concurrent que je n’aurais pas vu venir.” – Christian Van Thillo, dans “Humo”
En 2020, après plus de trois décennies, le groupe média a nommé un dirigeant non familial, le Néerlandais Erik Roddenhof, au poste de CEO. Christian Van Thillo est devenu président exécutif. Erik Roddenhof assure la gestion quotidienne de l’entreprise. Christian se penche chaque semaine, avec le CEO et le CFO Piet Vroman, sur la stratégie de l’entreprise, les produits de DPG Media, la politique d’acquisition et les finances générales.
Savoir s’entourer
“Christian sait très bien s’entourer, déclare un ancien cadre ayant travaillé des décennies avec lui. Piet Vroman est un brillant financier. Et il ne faut surtout pas oublier le rôle du beau-frère Christophe Convent, l’ancien secrétaire général. Christian est le type passionné. Christophe est l’homme d’affaires pragmatique, qui gardait Christian les pieds sur terre. L’homme des détails dans les coulisses. Lors des acquisitions, Christophe obtenait les meilleures conditions.”
Christophe Convent n’est plus actif opérationnellement. Il est administrateur de la SA DPG Media Group, tout comme Christian et ses autres beaux-frères Jan Van Dun et Emmanuel Van Thillo. La famille fournit donc quatre des neuf administrateurs. Tous les membres familiaux ont un engagement à long terme. Si quelqu’un veut vendre, les autres actionnaires ont un droit de préemption, les actions étant rachetées à leur valeur comptable. Ce n’est qu’à l’unanimité complète, et sous de nombreuses conditions, que l’entreprise peut être vendue à un tiers.
Philanthropie
Personne de la cinquième génération ne siège encore au conseil d’administration. Le comité de direction est entièrement composé de personnes non issues de la famille. Une charte familiale stipule sous quelles conditions les membres peuvent travailler dans l’entreprise. Pour le choix du CEO, c’est le professionnalisme qui prime, et non l’aspect familial de l’actionnariat. Lors d’un conseil familial, la nouvelle génération est informée une fois par an du fonctionnement du groupe et de ses projets.
Quatre membres de la cinquième génération sont administrateurs de la DPG Family Foundation, créée début 2024 : June Van Thillo, Morgane Van Marcke, Bill Van Thillo et Laurent Convent. Cette fondation d’utilité publique mène des actions philanthropiques, axées sur la santé et la prévention des maladies chez les jeunes.
Portraits de la cinquième génération
June Van Thillo, fille de Christian, a étudié le journalisme à la Columbia University à New York. Il y a un peu plus de deux ans, elle a fondé sa propre entreprise, The TwentyFour Six. Le nom fait allusion à sa date de naissance, le 24 décembre, et à son prénom June (le sixième mois). L’entreprise propose à la vente, sur une plateforme en ligne, des objets d’art créés exclusivement en édition limitée. L’aventure a débuté avec un pendentif en bronze de l’antiquaire Axel Vervoordt. Pour l’exercice 2024, The TwentyFour Six affiche une marge brute négative et un report à nouveau déficitaire de 79.000 euros.
Lire aussi| The TwentyFour Six par June Van Thillo

Morgane Van Marcke, fille de Caroline Van Thillo, a étudié à la London School of Economics et tient un blog, principalement sur la cuisine végétarienne et “l’art de recevoir”. Une journaliste du magazine Feeling a partagé un repas avec elle à l’automne 2021. “Lors des dîners, elle sort le grand jeu. On en salive rien qu’en voyant la table !”, écrit l’article. Morgane a aussi écrit des livres sur la cuisine végétarienne et conçu une collection de linge de table.
Dans l’entreprise familiale
Bill Van Thillo, fils d’Emmanuel Van Thillo, travaille dans l’entreprise familiale au service publicité. Il est aussi administrateur et investisseur dans la société anversoise Moonbird. Sur son site, l’entreprise fait la promotion de son produit éponyme, “le coach respiratoire portable numéro un au monde”. L’appareil promet de soulager le stress, de réduire l’anxiété et d’améliorer le sommeil. Moonbird a clôturé l’exercice 2024 sur une perte, avec un report à nouveau déficitaire de plus de 2,5 millions d’euros.
Laurent Convent, fils de Christophe Convent et d’Anna Van Thillo, est senior economist chez KBC. Lui aussi a été en partie contaminé par le virus des médias, puisqu’il commente des sujets macroéconomiques comme l’impact des droits d’importation de Donald Trump sur l’économie belge.
Suivez Trends-Tendances sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Bluesky pour rester informé(e) des dernières tendances économiques, financières et entrepreneuriales.