La facture électronique arrive: la Belgique veut aller plus vite que l’Europe

La Belgique agit en élève modèle de la facturation électronique au sein de l’UE, ce qui engendre de nombreux défis pour les différents acteurs concernés. © Getty Images

À partir du 1er janvier 2026, toutes les entreprises belges devront émettre leurs factures via le réseau européen Peppol. Une révolution administrative et culturelle qui place la Belgique en tête de la digitalisation européenne, mais qui met sous tension comptables et entrepreneurs.

Dès le 1er janvier 2026, en Belgique, les transactions entre entités assujetties à la TVA devront obligatoirement passer via le réseau européen Peppol (Pan-European Public Procurement On-Line). Toutes les entreprises belges, TPE, PME ou GE, sont concernées. Si la dynamique est européenne, la Belgique agit en élève modèle : au sein de l’UE, l’obligation n’entrera en vigueur qu’à partir de 2030.

Emmanuel Degrève, président de l’Ordre des experts-comptables et comptables brevetés de Belgique (OECCBB), ose le terme : “Pour beaucoup d’entrepreneurs, c’est un choc culturel”. Mais le choc n’est pas ressenti que de ce côté du spectre. Entre l’État et les entreprises, les comptables jouent un rôle de facilitateur. “Leur mission dépasse désormais la comptabilité : ils accompagnent les entreprises, testent les flux Peppol, forment les équipes…”, développe ainsi Emmanuel Degrève. Virginie Arcq est comptable au sein de la fiduciaire Bufiscom, basée dans le Brabant wallon. Pour pouvoir passer par le réseau Peppol, les opérations de ses clients devront être encodées dans des logiciels compatibles. Et chaque opérateur a ses complexités, ses tarifs. “On a dû prospecter les différents intervenants sur le marché et proposer la meilleure solution à nos clients, alors qu’à la base, ce n’est pas vraiment dans notre cahier des charges.”

Une tâche qui s’ajoute à celles déjà assumées par les comptables et qui a mis sous pression la profession durant l’année. “On a essayé de s’y prendre dès le début 2025, pour éviter que tout se fasse sur le dernier trimestre, confie Virginie Arcq. Il y a eu beaucoup d’échanges, pour accompagner au maximum. La plupart de nos clients travaillent avec des tableurs Excel et des fichiers PDF, certains depuis plus de 30 ans. Ça peut surprendre, faire peur aussi.”

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Défi logistique et financier

Les sentiments varient du côté des entrepreneurs, observe Emmanuel Degrève. “Pour la majorité des TPE, le passage à la facture électronique reste un défi logistique et financier. Chez celles qui étaient déjà digitalisées, la transition est perçue comme une évolution naturelle et souvent bénéfique à moyen terme.” Xavier Delcorps appartient plutôt à cette seconde catégorie. Il dirige une entreprise de consultance dans les technologies médicales, basée à Ottignies. Et il est passé à la digitalisation dès juin, “pour prendre l’habitude”. Il ne voit pas la nouvelle réglementation d’un mauvais œil. “Premièrement, on n’a pas le choix. Mais je pense aussi que la digitalisation était de toute façon en cours. Cela facilitera l’administration des factures. On aura aussi plus de paix au niveau des audits fiscaux.”

Cela ne l’empêche pas d’observer les désagréments identifiés. “La mauvaise surprise, c’est qu’on pensait gagner du temps et de l’argent, mais ça prend autant de temps et ça coûte plus cher.” La plupart des logiciels compatibles avec Peppol impliquent en effet des coûts d’utilisation. “On a estimé le coût mensuel à 38 euros avec mon comptable.” Auquel il faut évidemment ajouter les honoraires dudit comptable. La mensualité devrait toutefois baisser dans l’année. La fiduciaire à laquelle Xavier Delcorps se rattache va essayer de regrouper ses clients autour de la même solution et bénéficier d’un tarif de groupe.

“La mauvaise surprise, c’est qu’on pensait gagner du temps et de l’argent, mais ça prend autant de temps et ça coûte plus cher.” – Xavier Delcorps (Exxensis)

La méthode “big bang”

Selon les dernières estimations du SPF Finances (17 octobre), un peu plus de 447.000 entreprises sur 1,2 million assujetties à la TVA sont actuellement enregistrées via le service Peppol, soit un peu moins de 40%. “Notre priorité n’est pas de savoir qui est prêt maintenant, mais de veiller à ce que tout le monde le soit d’ici le 1er janvier”, assure le SPF Finances. “La Belgique veut être un élève modèle de l’Europe numérique, mais elle confond parfois vitesse et précipitation”, pointe Emmanuel Degrève. L’autorité fédérale a annoncé au début du mois d’octobre prévoir une courte période de tolérance. “Il ne s’agit pas d’un report”, prévient d’emblée le SPF Finances. La tolérance sera ainsi accordée à ceux qui sont déjà dans un processus de transformation, mais qui rencontrent des difficultés à mettre en œuvre la digitalisation.

Le SPF espère en réalité convertir le plus d’entreprises possibles au 1er janvier. Cette approche, de type “big bang”, repose sur trois observations. D’abord, plus le nombre d’entreprises rattachées au système est grand, plus les bénéfices collectifs sont importants. “Une approche uniforme permet d’éviter la coexistence de multiples canaux de facturation”. Ensuite, la transition pour les petites entreprises serait moins complexe, assure-t-on, en raison du nombre réduit de factures produites. “L’adoption est très simple et ne prend que quelques heures.” Enfin, une date unique pour tout le monde équivaut à une seule campagne de sensibilisation pour tous et facilite la communication.

“Un investissement d’avenir”

La Belgique justifie sa connexion au réseau Peppol de trois façons. Son argument principal est la lutte contre la fraude à la TVA : les factures encodées permettent un contrôle plus automatisé, plus efficace. Ensuite, qui dit digitalisation, dit moins d’encodages manuels, donc moins d’erreurs et de coquilles. Enfin, en poussant les entrepreneurs vers Peppol, l’État fédéral espère faire un grand pas en avant dans la digitalisation du tissu économique belge. “La réforme offre des perspectives positives, admet volontiers le président de l’OECCBB. C’est un investissement d’avenir, à condition que la mise en œuvre soit progressive et soutenue.”

Virginie Arcq reste sur ses gardes : “On attend de voir. Ça demande encore des réorganisations qui vont prendre du temps.” De son expérience, les gains ne seront pas visibles à court terme. “Pour le moment, on a plus de travail qu’autre chose.” Les quelque 250 clients que compte la fiduciaire Bufiscom sont tous déjà passés sur le nouveau système digital. “Il faut maintenant qu’ils s’approprient la plateforme., conclut Virginie Arcq. Ce n’est pas évident pour tout le monde.”

Pol Lecointe

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