La chasse au carbone se passe aussi sur les tarmacs
Les aéroports peuvent-ils être durables? Ceux de Zaventem, Liège et Charleroi multiplient les annonces. Mais ce sont surtout les vols qui produisent des émissions.
Nicolas Thisquen, CEO de la Sowaer, aime parler des plantes et des animaux qui peuplent les environs des pistes de Liege Airport, comme la jasione des montagnes ou le criquet à ailes bleues. “Nous développons une technique de fauche tardive qui favorise le milieu, avec une biodiversité extraordinaire. C’est méconnu”, détaille le patron de la société publique wallonne qui possède les aéroports de Liège et Charleroi, exploités respectivement par Liege Airport S.A. et Brussels South Charleroi Airport S.A.
A quelques centaines de mètres des hangars et du tarmac liégeois, la Sowaer développe par ailleurs un corridor écologique de 18 hectares qui entourera le périmètre des installations aéroportuaires et les zones économiques attachées, hormis la zone bordant l’autoroute E42, au sud.
“On ne nous croit pas”
Ces projets figurent parmi le catalogue des mesures prises pour rendre les aéroports plus durables. Les annonces se multiplient à Zaventem, Liège, Charleroi. Aéroports et compagnies aériennes se sont engagés à devenir zéro carbone pour 2050. Ils cherchent aussi à se rendre plus acceptables pour les riverains.
Les termes “aéroport” et “durable” semblent néanmoins contradictoires. Nicolas Thisquen en est conscient. Quand il parle de projets de biodiversité et de couloir écologique autour des pistes, il dit lui-même: “On ne nous croit pas”.
En effet, “ce genre de projet reste anecdotique par rapport au bilan global”, rétorque Olivier Bierin, député wallon Ecolo. Celui-ci convient que les aéroports, en tant que tels, peuvent devenir zéro carbone: “Beaucoup le sont en partie à travers des compensations carbone, par la participation à des projets de reforestation. Mais cela reste négligeable par rapport aux émissions des avions, qui représentent 99% des émissions du transport aérien”. L’élu cite une étude réalisée par Pierre Ozer, professeur à l’ULiège, qui a calculé que tenir compte des émissions des vols au départ de Liège ruine effectivement en partie les efforts de réduction des émissions de toute la Wallonie.
“En Wallonie, pour chaque euro investi dans les aéroports, un autre l’est dans l’environnement.” – Nicolas Thisquen, CEO de la Sowaer
Biocarburant à Zaventem
Brussels Airport a fait une annonce qui essaie de répondre à cette remarque. L’opérateur a lancé un projet européen, Startgate, soutenu par la Commission européenne dans le cadre du Green Deal. Il dirige un consortium comportant notamment des aéroports (Athènes, Toulouse-Blagnac, Budapest), des compagnies aériennes (Brussels Airlines, TUI, DHL Aviation notamment) et des universités (Hasselt, Rotterdam). La Commission versera 24,8 millions d’euros, les partenaires (surtout Brussels Airport), une dizaine de millions.
L’élément le plus visible de Stargate est un projet d’usine pour produire du carburant moins émetteur, un mélange de kérosène et de biocarburant qui sera consommé à Zaventem par les compagnies membres du consortium. “Si les résultats sont bons, ce type d’installation pourrait être étendu aux aéroports partenaires, puis à d’autres, explique Arnaud Feist, CEO de Brussels Airport. Nous serons sans doute les premiers à disposer de notre propre usine sur le site.” Ce genre de carburant est encore rare dans les avions, faute d’approvisionnement. Mais aussi à cause de son prix, élevé. La Commission européenne réfléchit pourtant à obliger les transporteurs à utiliser une proportion de carburants durables pour l’aviation ( sustainable aviation fuels en anglais, SAF), soit un biocarburant soit des électrofuels.
L’espoir des carburants verts
L’aéroport n’est pas l’élément le plus lourd du bilan carbone d’un voyage en avion. C’est le vol lui-même. Mais il est possible de diminuer les émissions par passager de 10% avec les appareils de dernière génération. Il y a aussi l’utilisation de carburants renouvelables, ou sustainable aviation fuels (SAF), constitués de biocarburant ou d’électrofuel (carburant produit au départ d’électricité renouvelable, éolienne ou panneaux solaires). Beaucoup de réacteurs modernes peuvent accepter un mélange avec 50% de carburant SFA qui permet, selon Eurocontrol, un gain jusqu’à 80% d’émissions de CO2. Pour le moment, les carburants SAF ne représentent que 1% du total de la consommation des avions en Europe. L’hydrogène serait plus propre mais Airbus ne voit pas ce carburant faire voler des avions moyens-courriers avant 2050.
Le projet Stargate comprend d’autres éléments, comme l’utilisation de véhicules électriques sur le tarmac par DHL, ou l’étude de la réduction du bruit des essais de réacteurs à l’aéroport de Zaventem. “Lorsqu’ils sont réparés, il faut les essayer, c’est bruyant”, poursuit Arnaud Feist, qui ajoute: “Nous sommes un aéroport zéro carbone, en partie à travers des compensations, mais nous espérons le devenir sans compensation”.
L’éternelle question du bruit
Il est difficile de parler de durabilité sans parler du bruit, qui incommode les riverains. Pour le diminuer, certains voisins préféreraient que l’activité soit limitée, plafonnée. Or, c’est l’option inverse qui prévaut. Les aéroports de Zaventem, Charleroi et Liège suivent tous une stratégie de croissance. Chez les deux premiers, cette croissance a certes été cassée par la pandémie, mais elle reste un objectif à long terme. Et à Liège, surtout orienté vers le fret, le covid a dopé le trafic.
Arnaud Feist conteste que cette croissance soit nocive. “Les nouveaux avions comme le Boeing 737 Max ou l’Airbus A320 Neo consomment nettement moins que leurs prédécesseurs. Et avant la crise covid, nous avions enregistré depuis 10 ans 45% de passagers en plus alors que le nombre de mouvements d’appareils restait stable. Les nuisances ont reculé pour les riverains.” Brussels Airport fait par ailleurs payer aux avions les plus bruyants des redevances trois fois plus élevées que la normale, et compte passer à 20 fois à partir de 2023.
Nicolas Thisquen rappelle qu’en Wallonie, le développement des aéroports est, lui, accompagné de mesures environnementales. “C’est le choix qui a été posé dès le début: pour chaque euro investi dans les aéroports, un autre l’est pour l’environnement.”. Et ce essentiellement afin d’aider les riverains touchés par le bruit. Les autorités calment notamment les riverains avec un Plan d’exposition au bruit (PEB) qui définit, selon le niveau relevé, les zones les plus touchées. Les habitants concernés peuvent alors se faire racheter leur logement ou bénéficier d’une isolation phonique.
Le prix de la croissance
“Les zones couvertes sont revues tous les trois ans, en fonction des mesures de bruit. Il n’y a pas eu de changement pour les premières révisions, il y en aura sans doute pour la cinquième, en cours”, ajoute le CEO de la Sowaer. Ces dépenses concernent surtout les environs de l’aéroport de Liège, ouvert la nuit (Charleroi est fermé de 23 h à 6h30). Un réseau de capteurs a par ailleurs été ajouté récemment pour mesurer la qualité de l’air. “Le résultat n’est ni meilleur ni moins bon que celui d’une ville, assure Nicolas Thisquen. Un avion ne pollue pas plus que des automobiles dans une agglomération.”
“Les nuisances ont reculé pour les riverains.” – Arnaud Feist, CEO de Brussels Airport
Mais les réactions des riverains ne faiblissent pas. “Cette année, nous dépassons les 1.000 plaintes à Liege Airport”, admet Nicolas Thisquen. Une poussée qu’il attribue à des changements plus fréquents du sens du vent, qui modifie le trajet des avions. Des habitants situés hors des zones couvertes par le PEB sont alors incommodés. “Mais nous avons bien moins de plaintes qu’à Zaventem”, se console le CEO.
Si elles créent des frictions politiques locales, ces plaintes ne remettent pas en cause la stratégie de développement. Depuis deux décennies, les partis des majorités successives au pouvoir à la Région ont toujours soutenu les aéroports, considérés comme des pôles économiques. Ceux-ci génèrent beaucoup d’emplois: plus de 14.000 actuellement, sans doute davantage à l’avenir. Et si Ecolo renâcle, il n’en fait pas un casus belli au sein de l’exécutif actuel auquel il participe. “Tous les ans, 80 à 100 millions de subsides sont versés par la Région aux aéroports, sans quoi ils seraient en perte nette”, tacle toutefois Olivier Bierin. Le député vert juge la politique environnementale “chère et peu efficace”, regrettant que les sanctions pour dépassement des plafonds sonores soient faiblement sanctionnés, et que les avions bruyants ne paient pas une redevance plus chère, comme à Zaventem.
Les atterrissages verts
Le secteur a pourtant connu certaines avancées. Notamment avec la pratique des “atterrissages verts”, où l’appareil reste plus longtemps en altitude et descend de manière continue, au lieu d’effectuer cette manoeuvre en paliers et en remettant de temps en temps les gaz. La consommation, les émissions et le bruit en sont réduits. En 2020, 77,7% des atterrissages à Brussels Airport suivaient cette procédure, 71,4% à Liège Airport, et 51,3% à Brussels South Charleroi Airport.
Notons que ce dernier se montre actuellement plus discret sur ses projets “durables”. L’opérateur se débat dans la crise provoquée par la pandémie, attendant le feu vert de la Commission européenne pour son renflouement. Il vient toutefois d’annoncer la création d’une instance de coordination entre les acteurs de l’aéroport (compagnies, entreprises sur le site comme la Sabca, Skyes, Sowaer) pour atteindre une série d’objectifs environnementaux. Ce type d’instance existe depuis quelques années à Zaventem et Liège.
Plus de trains, moins de voitures
En matière de durabilité, un des points à améliorer dans les trajets en avion, c’est l’accès à l’aéroport. A Zaventem, 80% des voyageurs arrivent encore par la route, alors qu’une gare dessert le site et que les liaisons se sont améliorées. “Pas moins de 80 localités sont désormais reliées à l’aéroport”, argumente Arnaud Feist, CEO de Brussels Airport, qui réfléchit aux moyens de mieux faire connaître les alternatives à la voiture. “On pourrait trouver une manière de combiner ticket d’avion et ticket de train”. Le CEO rêve aussi de voir le Thalys rejoindre l’aéroport. Le Paris-Bruxelles-Amsterdam fait bien escale à Schiphol, ne pourrait-il pas s’arrêter de temps en temps à Zaventem? C’est techniquement possible, même si le léger détour ferait sans doute perdre une dizaine de minutes. Pour les aéroports de Liège et de Charleroi, c’est plus simple: il n’y a pas de gare. Brussels South Charleroi Airport devrait toutefois être relié par bus rapide à la gare de Fleurus, distante de 8 km.
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