La boîte bleue qui pourrait détrôner Media Markt
Le néerlandais Coolblue s’impose dans la vente d’électronique grand public sur le Net. Il grignote le marché belge avec une arme marketing redoutable: la livraison dans la journée dans tout le pays. L’enseigne pourrait faire mieux encore si elle décidait de faire traduire son site en français.
L’e-commerce est un défi pour les chaînes de magasins d’électronique et d’électroménager comme Media Markt ou Vanden Borre. Pour elles, le concurrent le plus inquiétant est sans doute le néerlandais Coolblue, actif en Belgique depuis 2003. Les francophones ne le connaissent guère ; Coolblue n’est disponible que dans la langue de Vondel. Mais certains d’entre eux y recourent cependant volontiers, car l’entreprise livre partout en Belgique. A une vitesse étonnante. L’iPhone ou le PC commandé le soir jusqu’à 23 h 59 est livré le lendemain, gratuitement, même le dimanche. Pour les plus pressés, la livraison dans la journée est possible : commande avant 15 h, livraison entre 18 h et 22 h. L’enseigne possède tout de même quelques magasins “physiques”, histoire de rassurer le consommateur, à Wilrijk (Anvers) et Lochristi (Gand), il ouvrira bientôt aussi à Hasselt notamment.
Un chiffre d’affaires de 1 milliard d’euros prévu en 2018
“Les délais courts de livraison de Coolblue mettent la pression sur le marché de l’e-commerce en Belgique”, affirme Jean-Pol Boone, entrepreneur et administrateur de l’UCM, spécialiste en e-commerce. Même Amazon, référence mondiale du secteur, n’arrive pas à cette vitesse de service en Belgique, faute de disposer d’un dépôt dans le Benelux. Le résultat est de plus en plus visible dans les chiffres : le groupe Coolblue annonçait en 2014 des ventes de 360,8 millions d’euros, en hausse de 43 %, et prévoit 500 millions pour 2015. Ces trois dernières années, il a dépassé chaque fois les 40 % de croissance. La filiale belge suit la même évolution, avec 136,8 millions d’euros (+36 %) en 2014, soit près de la moitié des ventes de Vanden Borre (395,7 millions d’euros, +5,4 %) ou encore un gros tiers de Krëfel (418 millions d’euros, +3 %), mais avec une croissance nettement plus forte. Le groupe Coolblue vise le milliard d’euros de ventes pour 2018. Il pourrait alors s’imposer comme un des premiers acteurs du marché belge, à condition toutefois de proposer un site en français.
La livraison étant un élément crucial, la concurrence n’est pas en reste. Vanden Borre, Krëfel et Media Markt, qui, tous, vendent en ligne, proposent une livraison gratuite le lendemain, à condition de passer commande avant 22 h 30 (avant 18 h chez Media Markt). Vanden Borre frappe fort pour la livraison ultra rapide, en proposant d’amener le colis dans les deux heures dans certaines zones. Moyennant tout de même 19 euros de frais (du lundi au vendredi entre 10 h et 17h).
Coolblue vs Hot Orange
Né en 1999, Coolblue a été fondé par trois étudiants de la Rotterdam school of Management, soit Paul de Jong, Bart Kuijpers et Pieter Zwart, trois amateurs de gadgets électroniques qui ont lancé un premier site, MP3man.nl, pour vendre des baladeurs. Les premiers clients viennent chercher les commandes au kot de Pieter Zwart. La formule marche si bien que la start-up ouvre d’autres rayons sous la forme d’e-boutiques séparées, avec des adresses spécifiques : www.pdashop.nl pour les personal digital assistants (ou PDA), www.printershop.nl pour les imprimantes. Ils développent alors aussi des e-shops pour le marché belge. Les sites sont réunis sous l’enseigne Coolblue. L’origine du nom est un clin d’oeil à un concurrent des premières années, Hot Orange. Actuellement Coolblue, qui occupe plus de 1.200 salariés (dont 125 en Belgique), réunit plus de 300 webshops spécialisés dans différents domaines, des frigos aux tondeuses à gazon. Le dernier en date est un rayon éclairage (www.verlichtingcenter.be).
Des magasins malgré tout
L’entreprise avait fait parler d’elle en ouvrant quelques magasins : cinq aux Pays-Bas, deux en Belgique. Cela pouvait paraître singulier pour une enseigne de commerce électronique née pure player. Cette approche a en fait rassuré les clients qui n’étaient pas tout à fait à l’aise avec le commerce électronique. Ils savent où ils peuvent venir en cas de souci avec un achat. Malgré les livraisons rapides, certains préfèrent encore venir chercher leurs commandes, en particulier à Noël, où des queues se forment dans les magasins. L’entreprise a observé, après chaque ouverture, une hausse des ventes du site dans les environs de ses magasins.
Il ne s’agit pas de magasins dédiés purement à la vente en rayon, comme ce que fait la concurrence. Les magasins Coolblue se distinguent notamment par le petit nombre d’articles présentés et l’espace dégagé qui s’ouvre aux clients : tout au plus des téléviseurs, des ordinateurs, des caméras et de petits accessoires. Mais pas d’électroménager. Il serait tout simplement impossible de montrer tous les articles à vendre (40.000 environ). Le but est surtout de mettre en avant le comptoir de l’après-vente et ceux des conseillers.
Les emplacements choisis ne sont pas ceux des chaînes concurrentes non plus. Pas de centres commerciaux ni de rues fréquentées, mais des localisations proches des grands axes et des transports en commun, où il y a moyen de se garer aisément. Le magasin de Wilrijk, le siège belge, est ainsi placé le long de la route reliant Boom à Bruxelles.
Pas de guerre des prix
Le positionnement de Coolblue n’est pas le prix. L’enseigne ne cherche pas à grandir en cassant les tarifs. “Nous restons dans les prix du marché”, affirme Jeroen Van Camp, manager chez Coolblue. Notre argument est le choix, la vitesse de livraison, le service. Chaque article est doté d’une fiche où un rédacteur de Coolblue écrit les avantages et inconvénients du produit. Il ne faut toutefois pas s’attendre à des critiques agressives. Pour une imprimante HP, le site indique ainsi comme point négatif qu’il faut changer toute la cartouche couleur lorsqu’une seule est épuisée. Pour l’iPhone 5s, il note par exemple que la vitre de l’écran est salissante… avant de recommander l’achat d’une protection, disponible chez Coolblue bien sûr. Les conseils servent surtout à voir si le produit conviendra à l’usage que le client souhaite en faire. Le site diffuse aussi des vidéos sur certains produits, toujours dans le souci de faciliter la vie du consommateur.
Un Coolblue en français ?
Y aura-t-il bientôt un Coolblue en français ? “Il y a encore tant de marchés à conquérir que nous n’envisageons pas de version en français pour l’instant, explique Jeroen Van Camp, avant d’ajouter qu’il ne faut cependant “jamais dire jamais.” Coolblue n’est pas financé par du venture capital, avec un gros financement et une pression à la croissance, qui pousserait l’enseigne à ouvrir dans de nombreux pays, comme un Zalando ou encore un Amazon, qui grandissent souvent au détriment des bénéfices. L’entreprise est donc rentable depuis bien longtemps, même si la marge n’est pas énorme : 6,55 millions d’euros de bénéfice net en 2014. Coolblue s’en tient donc au néerlandais et ne propose pas non plus de version en anglais. Même si l’entreprise chouchoute tout le monde : elle a ainsi recruté quelques agents bilingues pour son call center.
La riposte
La force de Coolblue est celle des acteurs de l’e-commerce : la connaissance des clients et de leurs habitudes de consommation. Ces dernières sont data driven (gérées par des données). Cela permet de faire évoluer les rayons pour booster le chiffre d’affaires, ainsi que de mieux déterminer les zones optimales pour installer de nouveaux magasins. Un acteur comme Media Markt possède moins d’informations sur ses clients. Il cherche à améliorer ce déficit en proposant depuis peu aux clients d’encoder leur carte d’identité aux caisses pour faciliter l’enregistrement de leur garantie.
Face aux pure players du Web, les chaînes de magasins développent leurs boutiques ou encore se lancent dans la course aux conditions de livraison. Elles cherchent aussi les moyens de faire circuler plus de monde dans les magasins. Media Markt a ainsi lancé une opération Maison en Folie, avec des articles aussi divers que des voitures en leasing (LeasePlan) ou des vélos électriques pour attirer plus de monde et espérer de nouveaux achats. Coolblue, de son côté, continue à étendre ses rayons virtuels, car, jusqu’à présent, plus l’offre augmente, plus les ventes croissent, et plus le nombre de colis bleus transportés par bpost et Dynalogic augmente.
Les recettes de la livraison rapide
Pour livrer si vite les commandes, Coolblue recourt à deux éléments : des plateformes logistiques placées à un point central pour livrer à la fois les Pays-Bas et la Belgique. Les petits appareils électroniques (smartphones, tablettes) sont livrés depuis Capelle aan den IJsel (Rotterdam), les plus gros (aspirateurs, machines à laver) partent de Tilburg, où Coolblue vient d’ouvrir un entrepôt de 20.000 m2. Soit assez grande pour héberger 12.000 machines à laver. Pour une commande passée avant 23 h 59, la livraison standard est gratuite, le colis prêt en moins de deux heures et acheminé par bpost vers le client en Belgique le lendemain, après un passage au centre de tri d’Anvers. Les commandes passées avant 15 h peuvent même être livrées le jour même, une première en Belgique, via le service Coolblue VandaagNog. Celui-ci a été introduit en 2012, avec la société de transport Dynalogic, un spécialiste de la logistique de l’e-commerce, qui travaille également pour Nespresso et Telenet. Dynalogic assure aussi toutes les livraisons pour l’électroménager blanc
(machine à laver, frigo, etc.), que bpost ne prend pas en charge. Les livraisons peuvent aussi intervenir le week-end, sauf le dimanche matin. En août 2014, Coolblue a même introduit la livraison gratuite le dimanche, entre 12 h et 18 h, pour tout article commandé la veille jusqu’à 23 h 59, avec PostNL, qui a été relayée par bpost, laquelle a ouvert ce service dominical pour rester compétitif dans l’e-commerce.
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