La Belgique à l’assaut de l’intelligence artificielle

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Stijn Fockedey Stijn Fockedey est rédacteur de Trends

L’intelligence artificielle ne cesse de progresser, offrant de nombreuses opportunités. Il est grand temps que nos entreprises belges se saisissent de cette technologie, ont affirmé à l’unanimité les invités de la septième Trends Summer University.

L’intelligence artificielle (IA) s’impose de plus en plus : les voitures autonomes se glissent dans le trafic, les robots-juristes lisent voire établissent des contrats et, dans l’industrie, les automates se voient confier un nombre croissant de tâches. Autant de raisons, pour les participants de la septième Trends Summer University, organisée à Knokke les 8 et 9 juin derniers, de se pencher sur le sujet.

” L’intelligence artificielle suscite aujourd’hui énormément d’intérêt, mais il s’agit d’une technologie bien plus ancienne qu’on le croit, résumait l’expert français Olivier Ezratty, lors de son allocution d’ouverture. Le terme ” intelligence artificielle ” a en effet vu le jour au Massachusetts Institute of Technology dès les années 1950. A l’époque, les chercheurs s’étaient montrés bien trop optimistes : ils avaient par exemple estimé pouvoir imiter le cerveau humain dès 1966. Plus de 50 ans plus tard, nous n’y sommes toujours pas, même si nous avons beaucoup progressé, en particulier en termes d’imagerie. Mais à présent que les investissements dans l’intelligence artificielle se sont considérablement accélérés, surtout du côté des entreprises, les choses vont pouvoir passer à la vitesse supérieure. ”

Il existe de nombreux secteurs où la puissance de calcul brute de l’IA peut faire des ravages.” Jonathan Berte, CEO de Robovision

L’intelligence artificielle et les robots vont prendre de plus en plus de place. La méfiance que ceux-ci suscitent est compréhensible, mais provient surtout, estime Olivier Ezratty, de la méconnaissance que l’on en a. ” L’expérience montre que les craintes s’amenuisent dès que l’individu en sait plus sur l’intelligence artificielle et sur la manière de l’utiliser. L’humain aura toujours plusieurs longueurs d’avance sur la technologie, grâce notamment à sa capacité de réflexion générale. Le cerveau est redoutablement efficace. Il fonctionne à une puissance de 20 watts. Or, rien que pour pouvoir imiter notre vocabulaire, la plateforme d’intelligence artificielle Watson d’IBM a besoin d’un large multiple de cette valeur (estimé à 20.000 watts, Ndlr). Nous oublions trop souvent que nous parlons de machines, dont les capacités sont limitées à une puissance de calcul brute et à la gestion d’énormes quantités de données. C’est, du reste, la raison pour laquelle les applications les plus avancées se situent dans les domaines de la lutte contre la fraude et du marketing automatisé : il s’agit de tâches relativement simples, qui exigent de traiter des masses de données. La robotique reste un domaine complexe. Même si des montants élevés sont désormais investis dans la recherche, il n’est pas impossible d’avoir à attendre 20 ans pour qu’une technique particulière soit suffisamment mature pour être utilisée dans la vie quotidienne. ”

JONATHAN BERTE avec MURIEL DE LATHOUWER, DIDIER ONGENA et Olivier Ezratty.
JONATHAN BERTE avec MURIEL DE LATHOUWER, DIDIER ONGENA et Olivier Ezratty. ” L’Europe regorge de talents.”© DaNN

Reportages sportifs

Cette lenteur n’est toutefois pas généralisée : tel était le fil rouge du débat qui a suivi l’exposé d’Olivier Ezratty. Jonathan Berthe, CEO de Robovision, société belge spécialisée dans l’intelligence artificielle, signale que l’impact de l’IA peut d’ores et déjà, dans certains cas spécifiques, être extrêmement marqué. ” Nous avons développé des robots pour l’agriculture : partout dans le monde, ils plantent des salades et même, du cannabis. Notre équipe de 30 spécialistes a suffi à faire passer 10.000 postes à la trappe. L’intelligence artificielle n’est peut-être pas encore employée partout, mais le nombre d’applications commercialisables ne cesse de croître. Ceci dit, l’incidence dépend du contexte. Les infirmières n’ont encore rien à craindre, mais il existe de nombreux secteurs où la puissance de calcul brute de l’intelligence artificielle peut faire des ravages. ”

S’il ne faut pas minimiser les retombées de l’IA, il faut également savoir qu’elle offre de nombreuses opportunités, souligne Muriel De Lathouwer, CEO d’EVS, spécialiste belge de la fabrication de serveurs vidéo destinés à l’enregistrement d’images professionnelles. ” Nous améliorons progressivement la régie des compétitions sportives avec l’aide de l’intelligence artificielle, explique-t-elle. Nous permettons par exemple de mieux visualiser les coups de coin et autres situations classiques. Mais nous pouvons aller beaucoup plus loin encore. On nous réclame désormais souvent des synthèses rapides des points forts, destinées aux réseaux sociaux. Actuellement, le nombre de caméras qui filment les matches de football peut aller jusqu’à 46. Nous envisageons donc de permettre aux amateurs de suivre un joueur en particulier sur leur tablette, tout en regardant l’ensemble du match à la télévision. A terme, l’intelligence artificielle permettra aussi de diffuser davantage de reportages sur des disciplines moins populaires. ”

Règlement général sur la protection des données

” L’IA se démocratise, enchaîne Didier Ongena, country director de Microsoft Belgique et Luxembourg. Elle se cantonnait auparavant aux grandes entreprises, seules capables de s’offrir ces ordinateurs centraux si onéreux. En plus de la diminution des prix, l’émergence du cloud en a, elle aussi, amélioré l’accès. Où que l’on soit, il suffit désormais d’une carte de crédit pour acquérir un service faisant appel à l’intelligence artificielle. Nos clients belges utilisent d’ores et déjà abondamment l’IA : 68 % d’entre eux ont recours à l’apprentissage automatique, aux assistants virtuels ( chatbots) et à d’autres techniques encore. Ce pourcentage va continuer de croître, car le potentiel est loin d’être épuisé et les données disponibles se multiplient. On estime que plus de 9 milliards d’appareils seront connectés à Internet ces prochaines années. Aucune entreprise, aussi petite soit-elle, ne peut se permettre de rater le train de cette évolution. ”

Aucune entreprise, aussi petite soit-elle, ne peut se permettre de rater le train de cette évolution.” Didier Ongena, “country director” de Microsoft Belgique et Luxembourg

Reste la question délicate des données… A présent que l’infrastructure est plus ou moins accessible à tous, il est essentiel de disposer de données de qualité, et en nombre suffisant. ” Y compris pour pouvoir automatiser les processus, précise Muriel De Lathouwer. Pour que les caméras puissent mieux suivre le ballon pendant un match, il est important de connaître la météo à l’avance – la balle a une autre couleur s’il neige, par exemple. ”

” Cette demande en données crée des tensions, constate Jonathan Berthe. L’on peut comprendre que les données relatives au comportement au volant ou à la santé sont extrêmement précieuses pour les assureurs, mais le sujet relève de l’éthique. Le Règlement général sur la protection des données oblige les entreprises actives en Europe à mieux protéger la vie privée et les données à caractère personnel du citoyen. Selon moi, les choses ne vont pas s’arrêter là. L’approche à choisir va faire débat pendant des années encore. En tout état de cause, les entreprises doivent se doter d’une politique de gestion des données responsable avant de se risquer à utiliser des applications faisant appel à l’intelligence artificielle. ”

Olivier Ezratty
Olivier Ezratty ” La méfiance à l’égard de l’IA provient surtout de sa méconnaissance. “© DaNN

Talents européens

Le Règlement va-t-il contraindre l’Europe à évoluer en queue de peloton ? Sur leurs immenses marchés américain et chinois, Google, Facebook, Amazon, Alibaba et autres Tencent sont beaucoup plus libres de récolter de précieuses données. ” Les spécialistes qui évoluent sur ces marchés en savent effectivement nettement plus, mais ils doivent aussi faire en sorte de gagner la confiance des citoyens et des entreprises, avertit Didier Ongena . Consommateurs et professionnels doivent avoir la certitude que leurs données seront correctement gérées. La question restera délicate. Je suis convaincu de la capacité de la Belgique à donner le ton et à devenir extrêmement concurrentielle, pour autant qu’elle dispose d’une politique pertinente. Mais pour cela, elle doit oser prendre sans tarder cette technologie à bras-le-corps, comme elle l’a fait au 19e siècle pour l’industrie : c’est en étant un pionnier dans le domaine des réseaux ferroviaires qu’elle est devenue une grande puissance industrielle. ”

” L’Europe regorge de talents, conclut Jonathan Berthe. Plusieurs équipes de recherche européennes spécialisées dans l’intelligence artificielle comptent parmi les plus éminentes au monde. DeepMind (Google) et les meilleures universités américaines viennent faire leur marché sur le Vieux Continent. En outre, de grandes entreprises collaborent de plus en plus avec des acteurs européens, comme Robovision. Cela permet de soigner le cadre, pour faciliter le développement d’applications et une utilisation responsable des données et, simultanément, d’accélérer l’innovation. “

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