Kathleen Van den Berghe, première femme belge Master of Wine

Kathleen Van den Berghe. "Tenir un domaine, c’est pouvoir gérer une série impressionnante de tâches." © PG

En février, Kathleen Van den Berghe a décroché le diplôme le plus prestigieux du monde viticole : Master of Wine. Seules 425 personnes dans le monde ont réussi cet exploit en 70 ans. Première femme belge primée, notre compatriote épate par son parcours professionnel qui l’a vu passer par la construction et la consultance mondiale de haut vol pour McKinsey.

En février, Kathleen Van den Berghe (52 ans) est devenue Master of Wine. C’est peut-être un détail pour vous, mais dans le monde viticole, cela veut dire beaucoup. Depuis la création du programme Master of Wine en 1953, seuls 425 professionnels du monde du vin, dont 151 femmes, ont été primés. S’ils sont si peu nombreux, c’est que le graal est réservé à une élite. Cette certification, créée à la base pour professionnaliser davantage les Britanniques dans le business du vin, suppose, en effet, des connaissances très approfondies sur l’ensemble de la filière viticole : de la culture à la commercialisation en passant par la vinification et la dégustation technique.

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Kathleen Van den Berghe est la troisième Belge à accoler les initiales MW à son nom après le très discret Jan De Clercq, un importateur/caviste de Maldegem en 1998, et Christophe Heynen, le patron liégeois de Gustoworld, une entreprise spécialisée dans l’importation et la distribution de vins du monde, en 2020. Certes, depuis son mariage avec Jacques Thienpont en 1997 (Thienpont Wines à Audenarde et quelques propriétés bordelaises dont le Château Le Pin), Fiona Morrison a la double nationalité, mais elle était Britannique quand elle a décroché le titre en 1994. Kathleen Van den Berghe est donc la première femme belge à réussir cet exploit. Pourtant, rien dans son passé ne la prédestinait à devenir une professionnelle du monde du vin.

“Je suis une fille de la campagne flamande, sourit-elle. Mon papa, qui avait une cave à vin incroyable, était entrepreneur. Il traitait les déchets animaliers qui sortaient des abattoirs. Moi, depuis toute petite, je me passionnais pour les ponts et les ouvrages d’art. Je voulais en construire. Logiquement, je suis devenue ingénieur civil à l’UGent et j’ai complété ma formation par un certificat en génie civil à ULiège. Les ponts, en fin de compte, j’en ai vu très peu. Pendant mes quatre années chez Van Laere (un des géants belges de la construction basé à Anvers, ndlr), j’ai un peu participé aux ouvrages d’art de Beersel et de Lot dans le cadre de la construction de la ligne ferroviaire à grande vitesse vers la France. Mais un pont, c’est trop long à construire et la patience n’a jamais été une de mes qualités premières. Par contre, j’ai dirigé le projet de nouveau siège de la KBC à Bruxelles et celui des murs des quais de Zeebrugge.”

Neuf ans chez McKinsey

Parallèlement à son travail chez Van Laere, Kathleen Van den Berghe a obtenu un MBA international à la Vlerick. Forte de cette corde supplémentaire à son arc, elle a rejoint le cabinet de conseil McKinsey où elle est devenue associée principale.

“Pendant neuf ans, j’ai voyagé à travers le monde, se souvient-elle. Pour conseiller mes clients du secteur acier et ciment en termes de stratégie et d’organisation. J’ai peu travaillé en Belgique sauf pour ArcelorMittal à Gand du temps de l’intégration Arbed-Usinor. Chez McKinsey, j’ai rencontré mon mari, Sigurd Mareels. Il était consultant dans le domaine des mines. Nous nous sommes mariés et avons eu Sofie, notre premier enfant (Simon viendra trois années plus tard, ndlr). Je me suis alors rendu compte de deux choses. D’une part, que je devais changer de vie car être tout le temps par monts et par vaux n’est pas compatible avec un enfant. D’autre part, qu’accéder comme mon mari au statut de partner chez McKinsey n’était pas fait pour moi. Sigurd est un vrai consultant qui recommande des actions et des stratégies. Moi, j’ai besoin de mettre les mains dans le cambouis. Je suis donc retournée pendant quasi deux ans chez Matexi et j’en ai profité pour entreprendre un post-graduat en gestion immobilière à la KULeuven. J’adorais l’entreprise et Gaëtan Hannecart, son CEO, mais le travail de bureau, ce n’était pas pour moi.”

Un château dans la Loire

À l’hiver 2009, la famille s’est cherchée une maison de vacances en France. Avec l’option d’y habiter à demeure. Seule condition : voir des vignes quand on ouvre les fenêtres le matin et pouvoir faire un peu de vin. En avril 2010, après avoir visité des propriétés à Bordeaux, dans le Beaujolais et dans la Loire, le couple est tombé amoureux du Château de Minière et ses 26,5 hectares de vignes en AOC Bourgueil.

Minière pour un consultant en mines, cela devait être un signe. En septembre, l’acte était signé et Kathleen Van den Berghe est devenue vigneronne, non sans, au passage, avoir décroché un diplôme en viticulture chez Syntra, l’équivalent flamand de l’IFAPME.

“Le château et les vignes étaient en mauvais état, confie Kathleen Van den Berghe, mais l’endroit avait une âme. Les propriétaires avaient récupéré leurs vignes lors de la pension du vigneron qui les exploitait en fermage et avaient racheté ses terres à lui. Ils ont tenu deux ans. Le vin n’était pas bien fameux à l’instar de l’équipe et de l’ambiance. Il n’y avait aucune vision. J’ai tout repris de zéro et j’ai licencié le maître de chai qui volait. Une affaire qui s’est traînée pendant des années devant les tribunaux. Aujourd’hui, j’ai une œnologue aussi carrée que moi.”

Notre nouveau Master of Wine gère le Château de Minière de A à Z : elle définit les styles de vin et les choix culturaux et de vinification et s’occupe du commercial. En 2015, elle a quand même fait appel à Stéphane Derenoncourt, le consultant bien connu, pour la guider dans ses choix. “Je n’ai jamais pensé que la viticulture était un métier aussi exigeant, soupire-t-elle. Tenir un domaine, c’est pouvoir gérer une série impressionnante de tâches. En Loire, on dit qu’un vigneron doit savoir tout faire. Du coup, faire appel à un consultant ne m’a pas fait que des amis. Mais je viens de ce métier et je connais la valeur de l’expertise d’autrui. J’ai écrit à la Vlerick une thèse sur la transmission du savoir pour éviter qu’on refasse de vieilles erreurs. Mais je les ai faites moi-même dans la viticulture (rires).”

Rentabilité compliquée

Minière ne produisait que du vin rouge à base de cabernet franc. Mais pour beaucoup de consommateurs, la Loire est synonyme de vin blanc. Kathleen Van den Berghe a donc arraché des vignes à Minière pour planter du chenin blanc. Avec son mari, ils ont aussi acheté un deuxième château à un collectif de vignerons qui ne s’entendaient plus : Suronde et ses 6,5 hectares dans l’appellation Quarts de Chaume Grand Cru. Ils y produisent du blanc sec et du moelleux. Les deux châteaux emploient désormais, hors saisonniers, 12 ETP et accueillent de nombreux stagiaires.

La rentabilité n’est pas simple. “Opérationnellement, nous sommes rentables, confirme Kathleen Van den Berghe, mais nous n’avons pas récupéré nos nombreux investissements. 2024 a été très difficile. La consommation de vin est en baisse et la crise économique ne nous aide pas. Comme nous vendons très bien aux États-Unis, Trump risque de nous faire aussi mal que lors de sa première présidence. Le réchauffement climatique n’est pas simple à gérer avec du gel au printemps quand les vignes ont débourré et des attaques violentes de mildiou pendant la saison. Pour mitiger les risques et augmenter la qualité de mes vins, j’ai décidé de réduire la production.

“Pour mitiger les risques et augmenter la qualité de mes vins, j’ai décidé de réduire la production.”

Parallèlement, pour équilibrer les comptes, j’ai fortement développé l’œnotourisme. Cela marche du tonnerre en Loire. En dehors des périodes où nous sommes là, le château, entièrement rénové, se loue comme un gîte. Nous avons un caveau ouvert toute l’année. À Suronde, j’ai rénové deux petites maisons offertes aussi à la location. Nous allons y entamer la rénovation des autres bâtiments pour doper l’offre œnotouristique.”

Pour assurer une meilleure rentabilité du Château de Minière, Kathleen Van den Berghe a fortement développé l’œnotourisme. © PG

Une femme parmi les hommes

Kathleen Van den Berghe a, depuis le début de sa carrière, travaillé dans des secteurs où les hommes sont ultra-majoritaires. Elle n’a jamais ressenti d’hostilité ou de désavantage en Belgique chez Matexi, Van Laere ou McKinsey. En France, par contre…

“Les choses sont apaisées aujourd’hui, raconte-t-elle. Mais je n’ai pas été accueillie à bras ouverts. On a colporté des ragots et il y a eu beaucoup de jalousie. L’affaire judiciaire n’a pas aidé. Rétrospectivement, je pense que c’est parce que j’étais une femme. La société française demeure, à mes yeux, très misogyne. Elle est moins ouverte que chez nous. Aujourd’hui, les choses sont apaisées et à Bourgueil, nous sommes une bande de copains. Mon titre de Master of Wine va rejaillir sur toute l’appellation. Il y a de la place pour tout le monde et les exploits des uns se répercutent toujours positivement sur les autres. Bien sûr, le titre va avoir un impact sur ma propre production mais je n’ai jamais vu le titre comme quelque chose de transactionnel. Mon voisin vigneron dit que j’ai une approche différente. Simplement, mes différentes formations m’aident à bien des égards. Je suis les tendances et je me mets toujours à place du consommateur. Il faut pouvoir réagir vite.”

On l’a compris : le titre de Master of Wine n’est que la suite logique pour une femme qui ne cesse jamais de se développer. C’était un défi et, en fin de compte, cela s’est avéré un gros travail sur elle-même.

“En plus du covid, j’ai dû faire le deuil de ma maman, conclut-elle. J’ai commencé Master of Wine en même temps que Christophe Heynen, mais j’ai fini après lui car les événements avaient émoussé ma confiance. Quand il faut découvrir des vins à l’aveugle, les décrire et argumenter son choix, il faut une sacrée dose de confiance en soi. Je me suis fait aider par un coach et, clairement, je ne suis plus la même femme qu’il y a trois ans. Ce coaching, je veux l’approfondir pour pouvoir, demain, accompagner les autres. Nous, Belges, sommes toujours trop modestes. Le succès n’est pas bien vu. Nous sommes éduqués comme cela et c’est bien dommage.”

Kathleen Van den Berghe, qui siège au conseil d’administration de nombreuses sociétés (Idea Consult, Novalis Biotech, etc.) et est membre associée de Women on Board, qui promeut la présence des femmes dans les conseils d’administration, est aussi passionnée d’art contemporain. Avec Sven Vanderstichelen, curateur et expert, ils ont créé Huisburg, une maison de la banlieue de Tervuren qui accueille des expositions-ventes d’artistes belges émergents et des événements autour de l’art et du vin.

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