Ionnyk entend devenir le “Spotify de la photo” et enclenche une nouvelle levée de fonds
Basée à La Hulpe, la société Ionnyk réinvente l’expérience photographique avec du papier électronique, une application mobile et un cadre connecté. Son ambition ? Devenir “le Spotify de la photo”, avec un catalogue d’œuvres d’art à afficher dans votre salon.
Imaginez la photo d’un lion sauvage, le soir, dans votre chambre, qui se transforme comme par magie en un guerrier massaï, le lendemain, à votre réveil. Mieux : imaginez que vous puissiez, au gré de vos envies, des saisons ou de vos invités, personnaliser les murs de votre salon avec des cadres “évolutifs”, où les photos artistiques s’afficheraient selon vos désirs.
On ne parle pas ici d’un simple écran de télévision ni d’un cadre numérique “classique”, tous deux très lumineux et énergivores, mais bien d’une autre technologie, unique au monde, qui cultive l’illusion totale de la photo argentique et qui a été conçue en Belgique. Grâce à des millions de capsules d’encre noire ou blanche qui s’animent à la demande sur un papier électronique, la société Ionnyk a en effet réalisé un nouveau cadre photo connecté, sans câble, qui garantit l’expérience multiforme d’une galerie d’art à domicile.
A moins d’être doté d’un œil véritablement expert, il est impossible de faire ici la distinction, pour une même image, entre le tirage argentique et son “double numérique”. Car le cliché version Ionnyk ne s’illumine pas comme sur un écran. Son rendu photographique n’émet pas de lumière et l’effet est totalement bluffant. Surtout lorsque les capsules d’encre du papier électronique frémissent pour livrer, en quelques secondes à peine, une tout autre photo.
Ionnyk ouvrira en mai prochain sa première “galerie d’art” à Paris, pour mieux séduire le marché français.
Merci Harry Potter !
Inédit, ce concept de photographie “muable” trouve son origine dans les aventures d’un célèbre sorcier. Au milieu des années 2010, Mathieu Demeuse et son épouse Charlotte Dubois s’envoient régulièrement la série de films Harry Potter lors de soirées cocooning. C’est en voyant les images d’un tableau de Poudlard prendre vie “comme par magie” que leur vient cette première idée : transformer une télévision connectée en un cadre déco avec, à première vue, l’image fixe d’un pont, que vient animer toutes les sept minutes le passage d’un train. Gentiment piégés, leurs amis sont scotchés. Le jeune couple s’en amuse et décide d’aller plus loin, mais les contraintes techniques de cette première expérience le poussent finalement vers une autre technologie.
Davantage en phase avec le monde artistique, il découvre l’existence du papier électronique et emprunte cette nouvelle voie photographique – plus légère, moins énergivore et plus respectueuse du tirage original – en compagnie d’un ingénieur, Antoine Baudoux, qui rejoint l’aventure en 2018. Quelques mois plus tard, un premier prototype de cadre connecté voit le jour et le trio commence à peaufiner son business model avec la collaboration de quelques grands photographes.
Plus de 2.000 œuvres
Souvent présentée comme “le Spotify de la photo”, Ionnyk propose aujourd’hui un catalogue d’œuvres d’art en évolution constante, connecté à une application mobile, avec une expérience client qui peut être enrichie grâce à une formule d’abonnement. Concrètement, la personne qui achète un des trois modèles de cadre (pour un prix variant de 1.790 à 8.990 euros, selon le format choisi) dispose d’une offre freemium qui s’étoffe de 10 nouvelles photos gratuites chaque mois. Si le client souhaite avoir accès à tout le catalogue de la société (plus de 2.000 œuvres d’art pour l’instant), il doit alors souscrire un abonnement mensuel de 12,99 euros qui lui permet d’activer toute une série d’options “à la Spotify” : choix d’artistes, sélection de thèmes photographiques, création de playlists, etc. L’objectif : pouvoir accorder ses œuvres à ses humeurs ou à ses invités, en quelques pressions tactiles sur un smartphone garni de l’application Ionnyk.
Mais ce n’est pas tout. Depuis peu, la société propose également un service “Studio Prestige” qui touche le cœur des photographes amateurs. Avec cette option, les membres de la communauté Ionnyk (plus de 1.000 clients répertoriés aujourd’hui) peuvent élever leurs propres clichés au rang d’œuvres d’art grâce à l’intervention de quelques experts en photo qui traitent et “rehaussent” les images existantes. La collection personnelle et sur mesure de monsieur et madame Tout-le-Monde peut alors s’afficher, en noir et blanc, sur un cadre Ionnyk avec, là aussi, des playlists thématiques (mariage, voyages, baptêmes, vacances, etc.). Une option qui est également activable pour la clientèle B to B, puisque le service Studio Prestige peut aussi mettre en valeur de façon numérique le patrimoine d’une marque ou les collections d’une grande maison.
Covid et nouveau plan
Car Ionnyk voit grand et ne veut certainement pas se limiter aux seuls particuliers. “Lorsque nous avons créé l’entreprise en juin 2019, notre business plan visait essentiellement la clientèle B to B, se souvient Mathieu Demeuse. L’idée était d’accrocher un maximum de cadres dans les hôtels et les restaurants d’un certain standing mais très vite, nous avons dû revoir nos plans. Le covid est arrivé, l’horeca s’est arrêté et nous nous sommes rabattus sur les clients particuliers.”
Bien leur en prend. Grâce à un premier prêt convertible de 100.000 euros dégagé par la Région wallonne, Ionnyk conçoit un nouveau prototype et, quelques mois plus tard, procède à une première levée de fonds de 500.000 euros. L’argent récolté auprès des fonds W.IN.G, BeAngels et Novallia permet à l’entreprise d’enclencher une production “artisanale” de 50 premiers cadres à la fin de l’année 2020. L’effet magique des “trois F” (friends, family & fools) fonctionne à merveille et la première livraison se vend très facilement, “à un prix d’ami, il est vrai”, confie le CEO Mathieu Demeuse.
Mais surtout, la satisfaction client est au rendez-vous. Le catalogue d’œuvres photographiques est déjà bien fourni, le papier électronique offre un rendu incroyable, l’application mobile se montre performante et le cadre Ionnyk se révèle effectivement peu énergivore : une seule charge de batterie de huit heures à peine garantit une autonomie de 12 mois. La société gagne en crédibilité.
Précieuses galeries
Ce sera toutefois l’exposition des cadres “animés” au grand public qui servira de déclencheur au vrai lancement d’Ionnyk. Au mois d’août 2021, une galerie d’art de Knokke accroche, en primeur, ce nouveau support artistique nourri de papier électronique. L’étonnement est au rendez-vous, les premières commandes tombent, le buzz est enclenché. Suivront, dans la foulée, une exposition à l’Affordable Art Fair de Bruxelles puis une autre au même événement à Amsterdam, avec, à chaque fois, un carnet de commandes qui grossit. Les concepteurs d’Ionnyk ont fait leurs preuves et, à l’aube de l’année 2022, ils réalisent une deuxième levée de fonds de 1,5 million d’euros, répartie entre des investisseurs privés et des acteurs publics (W.IN.G, Invest BW et Noshaq).
Cet argent frais permet à l’entreprise de se professionnaliser davantage et de réfléchir à une nouvelle version de son cadre connecté. Spécialisée dans le design et l’innovation stratégique, l’agence bruxelloise Futurwave est mise à contribution. Elle compte à son palmarès des clients très “stylés” tels que le géant Sony, les montres O-BOY, les vélos Yoda ou encore Cowboy.
De longs mois de travail méthodique s’enchaînent, pour finalement déboucher sur un design épuré pour les trois formats de cadres Ionnyk, revus et corrigés. Aluminium noir, verre de qualité “musée antireflet” et nombre de composants réduits de moitié : les nouveaux cadres, produits à Bastogne, peuvent attaquer le marché dans une version ultra-léchée.
Nouvelles ambitions
Forte d’une nouvelle levée de fonds de 1,2 million d’euros réalisée en avril 2023, Ionnyk affiche aujourd’hui de nouveaux objectifs commerciaux qui passent par le déploiement de points de vente physiques – ou plutôt, de show-rooms qui s’inscrivent dans l’esprit d’une vraie galerie d’art et reflètent beaucoup mieux l’expérience du papier électronique qu’un site d’e-commerce conventionnel.
Après le show-room de La Hulpe inauguré au début de l’aventure, Ionnyk ouvrira ainsi en mai prochain sa première “galerie d’art” à Paris, pour mieux séduire le marché français. “Nous livrons déjà dans une vingtaine de pays, explique Mathieu Demeuse, mais l’essentiel de nos ventes se concentre aujourd’hui sur la Belgique, le Luxembourg et la France, que nous voulons davantage développer. Notre objectif est de travailler aujourd’hui par zone, avec des campagnes ciblées et des ambassadeurs qui nous aideront à mieux faire connaître la marque Ionnyk. Pour ce faire, nous enclenchons une nouvelle levée de fonds, de 3 à 5 millions.”
Ce nouvel apport d’argent frais pourrait aussi faciliter, à moyen terme, l’établissement d’un flagship store à Bruxelles, nourrir le département R&D pour une éventuelle nouvelle version du cadre connecté et surtout doper la force “art-keting” [sic] d’Ionnyk sur de nouveaux marchés stratégiques, aussi bien dans le B to C que dans le B to B.
Car l’entreprise n’a pas complètement enterré le rêve de son tout premier business plan : séduire l’horeca de prestige avec son concept de cadre connecté pour une déco “évolutive”. Les Belges ont déjà accroché leurs produits dans quelques restaurants de luxe et sont aujourd’hui en pourparlers avec un grand palace européen. Si, dans le meilleur des scénarios, le contrat se conclut, il pourrait servir de marchepied vers une autre commande, bien plus spectaculaire encore, dans la prestigieuse chaîne d’hôtels dont dépend ce palace.
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