Recruter dans l’horeca demeure toujours aussi compliqué. Plus de 10.000 postes sont ainsi disponibles rien qu’à Bruxelles. Pourtant, nos différentes écoles de formation demeurent attractives pour les jeunes. Écoles comme établissements s’adaptent tant bien que mal aux aspirations de la Génération Z.
Dans quasi tous les établissements horeca du pays, c’est la même rengaine : recruter demeure très compliqué. La pandémie n’a pas fait du bien au secteur, mais elle a eu le grand mérite de poursuivre le nettoyage des écuries d’Augias : les employés payés partiellement au noir se sont retrouvés avec de ridicules allocations de chômage. Face à ce triste constat et aux longues fermetures, nombreux sont ceux qui sont partis voir ailleurs et ne sont jamais revenus. Cet exode se paie encore aujourd’hui. À cela s’ajoutent la recherche d’un meilleur équilibre vie privée-vie professionnelle et les aspirations, très disruptives de la Génération Z. Face à ce constat, est-ce à dire que les formations liées à l’horeca n’attirent plus nos jeunes têtes blondes ? En fait non, pas du tout.
“Avec 320 élèves, nous sommes en 2025 dans notre moyenne habituelle qui fluctue entre 300 et 350, souligne Fabian Cobut, le directeur de l’École Hôtelière Provinciale de Namur (EHPN), l’une des plus réputées du pays. Nous n’avons pas perdu suite au covid. Si l’on excepte l’effet Top Chef qui a fait grimper le contingent à 450 lors de la rentrée qui a suivi la première édition, nos effectifs restent stables. La baisse de la natalité implique une baisse générale d’élèves dans les deux premières années secondaires. Cela ne nous impacte pas puisque nous ne commençons qu’à partir de la 3e année. Je suis, par contre, plus inquiet de la future extension du tronc commun jusqu’à la 3e. Même si nous n’aurons pas moins de diplômés, nous devrions perdre environ 80 élèves et les subsides afférents. Ce n’est pas une bonne nouvelle.”
Changer l’image du métier
Dans la capitale, Horeca Forma Bruxelles et Horeca Forma Be Pro, les deux ASBL organisées par le secteur et partiellement subsidiées, connaissent un regain d’intérêt. Avant même l’annonce de la limitation dans le temps des allocations de chômage, certaines de leurs formations ont dû être doublées vu l’afflux d’inscriptions.
“Il y a un véritable engouement lié, entre autres, à une bonne campagne de communication qui a reçu le soutien financier du ministre Clerfayt, explique David Debin, vice-président de la Fédération Horeca Bruxelles et président du conseil d’administration d’Horeca Forma Be Pro. Nous avons dépoussiéré l’image du secteur. L’horeca, ce n’est pas que la cuisine et la salle le soir et les week-ends. C’est un raccourci qui persiste, mais ce n’est simplement pas vrai. Il suffit de regarder le nombre de services proposés, en moyenne, dans un restaurant de nos jours.
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Mais il n’y a pas que cela, l’horeca propose une foule de métiers différents, notamment ceux de l’hôtellerie. C’est aussi la possibilité de travailler à la carte dans les endroits classiques – quasi personne ne travaille tous les week-ends – mais aussi d’avoir des horaires ‘normaux’ dans la restauration de collectivités. Notre campagne dans les métros et sur les abribus a donné d’excellents résultats.”
Gérer un resto est plus compliqué que cela en a l’air
À Bruxelles, les deux ASBL Horeca Forma proposent d’un côté des formations qualifiantes sur les métiers pratiques de l’horeca. Elle s’adresse, via des contrats avec Actiris et le Forem, aux demandeurs d’emploi, mais aussi à l’enseignement secondaire pour lequel elle a proposé 28 formations à 288 élèves l’an dernier. La partie Pro dispose d’une offre de modules destinés aux travailleurs du secteur et aux gestionnaires d’établissements. L’offre, qui vise au perfectionnement, est variée et va du ludique (la créativité dans les boissons sans alcool) à des compléments en gestion (RH, législation sociale, tutorat, marketing, etc.).
“Cette dernière offre comporte des modules donnés en cours du jour qui vont de quelques heures à deux jours, poursuit David Debin. Le module que je donne en législation sociale est le plus long. Cela ne remplace pas du tout une formation qualifiante en gestion hôtelière ou en arts culinaires mais fournit des mises à niveau informatives. On constate qu’elle marche bien pour une raison simple : les trois Régions du pays ont supprimé le certificat d’aptitude en gestion pour devenir indépendant ou chef d’entreprise. Résultat des courses : n’importe qui peut ouvrir un restaurant pour autant qu’à Bruxelles et en Wallonie, il travaille avec un chef qui dispose de l’accès technique à la profession. La Flandre a même supprimé cet accès dernièrement. Certains nouveaux entrepreneurs se rendent compte, après un certain temps, que gérer un resto est plus compliqué que cela en a l’air et viennent suivre nos modules.”
Effet du chômage
Si les formations données par Horeca Forma Bruxelles sont déjà bien remplies, l’ASBL craint l’afflux incontrôlé de demandes suite à la limitation des allocations de chômage. “Le secteur a besoin de main-d’œuvre, pas de fantômes, poursuit David Debin. Aujourd’hui, 85% des demandeurs d’emploi qui se forment chez nous trouvent un job, souvent dans l’établissement qui les a accueillis comme stagiaires. Il ne faudrait surtout pas que ce pourcentage baisse avec des gens qui viennent juste s’inscrire pour ne pas perdre leurs allocations ou les prolonger de quelques mois. Depuis quelques semaines, les employés d’Actiris et de Bruxelles Formation qui ont leurs bureaux chez nous font un tri très sévère.”
“Aujourd’hui, 85 % des demandeurs d’emploi qui se forment chez nous trouvent un job, souvent dans l’établissement qui les a accueillis comme stagiaires.”
À l’École hôtelière de Namur, deux cursus différents sont donnés. Celui classique de l’enseignement technique et professionnel jusqu’en 6e secondaire et celui dit “Humaniste” destiné aux élèves ayant déjà décroché leur CESS. En deux ans (et pas en quatre puisqu’ils n’ont plus ni cours de français ou de math par exemple), ils décrochent le même diplôme qualifiant (avec accès à la profession) d’Hôtelier-Restaurateur. Pour les plus jeunes (4e et 5e secondaires), les stages se déroulent en Belgique pendant les grandes vacances. Avant, en dernière année, d’utiliser le réseau étendu de l’école et de s’essayer à l’international dans le cadre d’une bourse Erasmus.
Pas de chômage dans l’horeca
“Il n’y a pas de chômage dans l’horeca, poursuit Fabian Cobut. Ceux que nous diplômons trouvent facilement du travail. Peu ouvrent ou gèrent directement un établissement. Sauf s’ils reprennent la maison familiale ou intègrent un grand groupe. C’est logique, l’école n’a pas le temps ni les moyens de leur donner toutes les clés d’une gestion complète. Mais gérer une cuisine, les appareils et les food costs, ça oui. On les outille aussi en termes de relations humaines. Même si cela va beaucoup mieux, le milieu de l’horeca n’est pas toujours facile.
“Chaque année, nous avons la possibilité d’offrir un compagnonnage de trois ans à nos quatre ou cinq meilleurs éléments.”
Enfin, chaque année, nous avons la possibilité d’offrir un compagnonnage de trois ans à nos quatre ou cinq meilleurs éléments. Ils conservent leur statut étudiant et les droits afférents et sont logés, nourris et blanchis par les maisons qui les accueillent. Le principe est de passer six mois dans cinq établissements différents. C’est du haut niveau. Nous venons d’ailleurs d’envoyer des élèves chez Marc Veyrat, l’ancien chef tri-étoilé. Le principe, c’est que ces chefs, qui ont fait, pour la plupart, le même parcours dans leur jeunesse, les conseillent pour la maison suivante.”
Et dans l’hôtellerie ?
Si l’on parle beaucoup de pénurie dans la restauration, l’hôtellerie belge n’est pas mieux lotie. “Remplir les cadres est très compliqué depuis le covid, confie Frédéric Hill, general manager du Stanhope, un des sept établissements du groupe Thon à Bruxelles. Il y a eu une véritable perte d’engouement des jeunes pour nos métiers hôteliers. Cela va mieux aujourd’hui mais cela reste compliqué dans la partie restauration de l’hôtel. Un peu moins pour la réception.”
Pour s’en sortir, Frédéric Hill joue sur l’attractivité des cinq étoiles de son établissement, est très présent sur les réseaux sociaux et se montre très actif vis-à-vis des écoles hôtelières. Il accueille des stagiaires et, surtout, participe à la formation en alternance, marque de fabrique du groupe Vatel qui dispose d’une antenne à Bruxelles.
“Quand ils ont fondé leur première école à Paris, Jocelyne et Alain Sebban ont voulu innover en proposant dès la première année un mix parfait entre théorie et pratique, explique Véronique Hasselweiler, directrice de communication du groupe Vatel. Cela perdure aujourd’hui : nos étudiants, dès la première, alternent une semaine de cours et une semaine en situation réelle dans un établissement. Soit dans le restaurant et l’hôtel d’application liés à l’école, soit dans les établissements hôteliers qui acceptent nos étudiants. Quand nous sommes arrivés à Bruxelles en 2009, tous nos moments d’alternance se déroulaient dans l’Hilton voisin, devenu The Hotel. Cela s’est évidemment étendu depuis.”
Panacher les lieux d’études
Vatel, dont l’excellence reconnue s’est essaimée dans le monde entier via un système de franchises (entrepreneurs locaux, nouvelle section dans une université ou haute école, etc.), forme des bacheliers en management hôtelier et propose un MBA spécialisé qui débouche sur des postes de direction internationaux.
“Pour devenir un bon manager, il faut connaître le travail de vos futurs subordonnés. Nos étudiants passent ainsi par la découverte de tous les métiers de la restauration et de l’hôtellerie.”
À Bruxelles, l’école accueille 200 étudiants dont 30% de Belges, une proportion en augmentation. “Pour devenir un bon manager, il faut connaître le travail de vos futurs subordonnés, souligne Muriel Bouville, la directrice des études de Vatel Bruxelles. Nos étudiants passent ainsi par la découverte de tous les métiers de la restauration et de l’hôtellerie. Une découverte in situ dans des établissements bruxellois. Sans oublier les stages, quatre mois en première année par exemple, qu’ils effectuent, pour la plupart, à l’étranger. Nous sommes une école privée qui ne reçoit aucun subside (le minerval s’élève à 12.000 euros, ndlr) et décerne des diplômes qui ne sont pas reconnus par l’État belge, mais bien par l’État français. Comme les cours sont identiques dans chacune de nos 50 écoles disséminées dans 32 pays, nous avons mis au point le programme Marco Polo qui permet de panacher les lieux d’études d’une année sur l’autre.”
Une formation ultra-performante
Il ne faut pas forcément aller dans le privé pour décrocher en Belgique un diplôme de management hôtelier de réputation internationale. Depuis plus de 35 ans, la Haute École de la Province de Namur (HEPN) propose, en effet, un bachelier en gestion hôtelière (Frédéric Hill en est d’ailleurs un des anciens élèves) et, depuis peu, un bachelier en gestion orienté sur les arts culinaires. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est une école de commerce de haut niveau axée sur l’hôtellerie. Les grandes écoles hôtelières suisses y débauchent souvent des étudiants (lire plus bas) pour leur MBA, tandis que d’autres poursuivent des masters à l’Ichec ou la Louvain School of Management.
“Nous bénéficions de l’adossement à l’école hôtelière de Namur et du Château de Namur, un hôtel et restaurant d’application qui accueillent toute l’année de véritables clients, explique Laurent Smolders, le coordinateur des bacheliers. Nos étudiants sont donc immergés immédiatement dans la réalité des différents métiers de l’hôtellerie. Nous accueillons actuellement 160 étudiants. Après le choc du covid où notre rentrée en première avait fondu sous les 50, nous sommes à nouveau sur la pente ascendante avec 66 étudiants. Nous nous rapprochons des 85-90, notre moyenne habituelle.
Notre formation ultra-performante depuis le début est suffisante pour diriger un hôtel. Continuer par un master dépend de son propre choix de vie. J’ai envie d’insister sur le fait que notre diplôme donne très vite accès à des postes de responsabilité comme assistant manager d’un hôtel ou manager d’un département. À 24-25 ans, il est déjà possible de gagner des salaires qui approchent les 4.000 euros brut.”
Une autre conception du leadership
L’horeca présente, d’une façon générale, un côté très hiérarchique et militaire (une cuisine, c’est une brigade…) qui, par le passé, avait tendance à s’exprimer durement. Cela va mieux aujourd’hui. Le secteur, comme tous les autres, se prend en pleine face les aspirations de la Génération Z. Preuve de la prégnance du sujet : à l’occasion du récent Horeca Expo à Gand, Becas – la Belgian Event Caterer Association – avait organisé une journée complète d’informations et de discussions sur le sujet. Si Vatel et l’HEPN ont, depuis longtemps, intégré le savoir-être dans leurs formations (soit les notions de bienveillance, de respect, d’ouverture et de partage), l’École hôtelière de Lausanne et le Glion Institut des Hautes Études, les deux écoles suisses considérées comme les meilleures du monde, viennent d’ajouter des formations en leadership pour développer l’empathie et la résilience des managers de demain.
“La hiérarchie fait partie de nos métiers et ne disparaîtra pas, mais il faut l’exprimer d’une autre façon.”
“C’est un vrai débat, conclut Frédéric Hill. Cette Génération Z représente, pour nos métiers, une véritable fracture. Participer à l’alternance de Vatel, c’est aussi pour apprendre à connaître ces jeunes et leurs aspirations. J’ai suivi moi-même des formations dans le domaine. La hiérarchie fait partie de nos métiers et ne disparaîtra pas, mais il faut l’exprimer d’une autre façon. Il faut aujourd’hui trouver le juste milieu entre l’exigence du métier qui ne peut pas changer et la façon dont on l’aborde.”
Le travail étudiant au plus haut
Au premier trimestre de cette année, l’horeca a décroché la palme des flexi-jobs avec 72.311 postes. Au niveau du travail étudiant, les statistiques officielles montrent, qu’en 2024, le secteur a occupé 129.229 étudiants, c’est un nouveau record. Ils ont, en moyenne, presté 237 heures, soit 17 de plus que la moyenne belge globale. En tant que CEO d’Horecafocus, le secrétariat social spécialisé, David Debin voit dans ces chiffres élevés une autre réalité. “Quand on ne parvient pas à engager, on cherche des solutions. Quand j’analyse les chiffres de mon entreprise, je constate que la moitié de ces jobs flexibles sont un pis-aller face à un poste fixe qu’on ne parvient pas à remplir. À Bruxelles, beaucoup de flexi-jobs débouchent sur un CDI. Ils remplissent le rôle de la période d’essai qui a disparu du cadre légal. Dans la capitale, un flexi sur deux appartient à cette catégorie.”
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