Paul Vacca
Hollywood et la fabrique du “déjà-vu”
Jusqu’à présent, on savait que les franchises, c’était de l’or ; maintenant, grâce aux “legacyquels”, elles deviennent comme les diamants: éternels.
L’équation industrielle du cinéma hollywoodien a tout d’une injonction contradictoire. D’un côté, pour espérer faire venir le spectateur en salle, il est sommé de lui offrir exactement ce qu’il attend. La majorité des spectateurs qui font l’effort de se déplacer ne souhaitent pas être surpris. Comme pour une destination de vacances ou un hôtel, ils exigent la sécurité. Mais d’un autre côté, si Hollywood se contente d’offrir exactement ce que le spectateur attend – à savoir toujours le même plat – pourquoi se déplacerait-il?
Un vrai dilemme. Les studios hollywoodiens évoluent alors sur une ligne de crête dans l’obligation de reproduire un entre-deux, que la langue anglaise – en nous empruntant un mot français, pour une fois – désigne sous le terme de “déjà-vu” (prononcer: “déjà-vou”): cette sensation de familiarité que l’on ressent même face à un événement nouveau. Une sorte de phasing mémoriel, mélange indéterminé entre surprise et familiarité. Plus trivialement, cela consiste à faire du neuf avec du vieux ou l’art d’accommoder les restes en cuisine.
Pour ce faire, la machine de guerre hollywoodienne a mis au point toute une ingénierie narrative à l’efficacité éprouvée: l’art de la franchise. D’abord les remakes qui consistent à proposer une nouvelle version d’un film ( A Star is born ou Gatsby le magnifique) ; puis, les sequels, à savoir les suites ( Rocky I, II, III, IV, V, Rocky Balboa) ou des prequels qui sont des suites mais dont l’action se situe chronologiquement avant les épisodes précédents ( Hannibal Lecter: les origines du mal en 2007 qui raconte la jeunesse du personnage du Silence des agneaux de 1991), puis des reboots à savoir des redémarrages reprenant le même univers mais avec de nouveaux acteurs (comme Spider-Man qui a effectué au moins trois reboots) des spin-off qui prennent des personnages d’un film pour le faire vivre de façon autonome (comme Wolverine tiré de X-Men) et des crossovers qui font se rencontrer deux univers de films différents ( King Kong vs. Godzilla…). Sans compter les autres façons de faire du neuf avec du vieux que sont les adaptations: littéraires ( Harry Potter), de jeux vidéo ( Uncharted), de la réalité (“d’après une histoire vraie”, qui fleurissent ces temps-ci) ou même d’une thématique d’un parc d’attractions ( Pirates des Caraïbes, adapté d’une attraction créée en 1967 à Disneyland).
Or, comme tout en ce bas monde, une franchise reste sujette à l’érosion que le temps exerce à la fois sur ses acteurs et son public. Ainsi le public de Rocky a-t-il vieilli avec Sylvester Stallone. Alors, comment assurer une nouvelle vie à une franchise après épuisement? Il semble que les ingénieurs d’Hollywood aient réussi à concocter une forme d’élixir de jouvence pour allonger la durée de vie de leur franchises.
En mettant au point ce que le journaliste américain Matt Singer a appelé – à partir du mot-valise formé avec la contraction de legacy (l’héritage) et de sequel (la suite) – le legacyquel. La recette: après un certain laps de temps (comptez 10 ans au minimum), réunissez à nouveau le casting original d’une franchise aux côtés de petits nouveaux. Ainsi avec Creed (une nouvelle franchise qui fait suite à Rocky), Blade Runner 2049, Terminator Dark Fate, Matrix Resurrections, Star Wars ou Massacre à la tronçonneuse, les anciens acteurs ont effectué un passage de relais pour assurer la renaissance de la franchise sur de nouvelles bases. Qui pourra dès lors ressusciter de génération en génération. Bref, jusqu’à présent on savait que les franchises, c’était de l’or ; maintenant, grâce aux legacyquels, elles deviennent comme les diamants: éternels.
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