Guerre des puces et semi-conducteurs : l’Europe a-t-elle déjà perdu la bataille ?

Semi-conducteurs (illustration) © .

Alors que les États-Unis et la Chine investissent massivement dans l’industrie des semi-conducteurs, l’Europe peine à suivre le rythme. Malgré ses ambitions, elle risque de rester un acteur secondaire sur un marché stratégique en pleine explosion. Peut-elle encore combler son retard ?

Le marché mondial des puces passera de près de 700 milliards de dollars en 2024 à 1 000 milliards d’ici 2029/2030. L’Europe, qui ne représente aujourd’hui que 8 à 9 % du marché mondial, ambitionne d’atteindre 20 % d’ici 2030. Un objectif jugé irréalisable par Allianz Trade, spécialisé dans l’assurance-crédit et expert reconnu en gestion des risques commerciaux. Dans son dernier rapport intitulé “Global chip war and the semiconductor industry” (La guerre mondiale des puces et l’industrie des semi-conducteurs), l’assureur estime que l’Europe restera un acteur de second rang si sa politique ne change pas radicalement.

La chaîne d’approvisionnement des semi-conducteurs repose sur plusieurs « clusters » dominés par une poignée de pays, expose Allianz Trade. La Chine contrôle l’approvisionnement en matières premières grâce à ses vastes réserves de terres rares et ses capacités de raffinage. Les États-Unis sont les leaders en matière de propriété intellectuelle et de conception de puces. Taïwan et la Chine concentrent l’essentiel des capacités de production, tandis que l’Asie du Sud-Est se spécialise dans l’assemblage, le test et l’emballage des puces. L’Europe, elle, joue un rôle limité, principalement dans les équipements de fabrication (grâce à ASML) et l’application des puces à l’industrie automobile.

La nation qui détient les meilleures puces aura la meilleure capacité d’attaque ou de défense.

Une bataille technologique et géopolitique

Selon Johan Geeroms, Directeur Risk Underwriting Benelux chez Allianz Trade, l’industrie des puces fait l’objet d’une lutte de pouvoir non seulement technologique mais aussi géopolitique. « Les enjeux sont énormes. Les principaux acteurs se livrent une concurrence sans pitié, ce qui entraîne d’importantes tensions commerciales. Le rôle des puces devient de plus en plus prépondérant. Cela vaut non seulement pour les smartphones, les voitures électriques et les appareils ménagers, mais aussi pour les armes militaires. »

Selon cet expert, la nation qui détient les meilleures puces aura la meilleure capacité d’attaque ou de défense.  « Les grandes puissances comme les États-Unis et la Chine mènent donc une politique d’investissement féroce. Cette urgence est beaucoup moins présente en Europe. Les États-Unis et la Chine ont chacun déployé plus de 100 milliards de dollars sous forme de subventions et de prêts pour renforcer leurs capacités en matière de puces. En vertu du règlement européen sur les semi-conducteurs (Chips Act), l’Europe ne dépassera pas 40 milliards de dollars étalés jusqu’en 2030. L’Europe est déjà à la traîne et l’écart va encore se creuser. »

L’Europe est déjà à la traîne et l’écart va encore se creuser.

Johan Geeroms

Directeur Risk Underwriting Benelux chez Allianz Trade

Taïwan, un modèle inatteignable ?

Dans ce contexte, le rapport d’Allianz met en avant Taïwan, leader incontesté des semi-conducteurs de pointe. Le pays produit notamment les accélérateurs d’IA les plus performants du marché. Face à la pression des États-Unis, TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) a accepté d’ouvrir trois usines aux États-Unis, ce qui garantit au pays un soutien politique et militaire américain en cas de tensions avec la Chine. Cet exemple illustre parfaitement la puissance stratégique des semi-conducteurs, un domaine où l’Europe peine à se faire entendre.

Et Johan Geeroms de mettre en garde: « L’Europe peine à augmenter sa productivité et à rester compétitive. Il n’est donc pas logique de se concentrer sur la production de masse de puces pour l’électronique grand public et les ordinateurs. L’écart avec les principales superpuissances est trop important pour cela. Il est plus judicieux d’investir dans la capacité de production de semi-conducteurs pour les secteurs dans lesquels l’Europe excelle déjà, tels que l’automobile, les produits chimiques, la défense et les soins de santé. Dans ces domaines, il est possible de renforcer la compétitivité technologique et économique. »

Allianz Trade identifie cinq mesures que l’Europe doit impérativement adopter pour espérer jouer un rôle plus significatif

Établir une feuille de route ciblée : concentrer les efforts sur les puces stratégiques pour l’automobile, la défense, la chimie et la santé.
Soutenir les entreprises clés : renforcer les acteurs européens comme ASML, essentiels à la production de semi-conducteurs.
Encourager la collaboration IA/R&D : rapprocher les entreprises et les écoles d’ingénieurs pour développer les compétences technologiques.
Augmenter les investissements : allouer au moins 0,5 % du PIB annuel à la R&D et aux capacités industrielles.
Sécuriser la chaîne d’approvisionnement : investir 10 à 15 % du fonds InvestAI européen dans les centres de données et l’industrie des semi-conducteurs.

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