Amazon frappe fort : plus d’un milliard d’euros seront investis en Belgique entre 2025 et 2027, un montant sans précédent pour le géant américain dans le pays. L’objectif ? Transformer la Belgique en un hub logistique et technologique clé pour l’Europe, avec un accent particulier sur la livraison le jour même et le renforcement des infrastructures locales.
L’annonce a été faite depuis Seattle, en marge de la mission économique belge en Californie. Le géant de l’e-commerce Amazon va investir plus d’un milliard dans notre pays. Eva Faict, directrice générale d’Amazon Belgique et Pays-Bas, a souligné l’ambition du projet : « Il s’agit de notre investissement le plus important en Belgique à ce jour ». Le partenariat avec bpost sera maintenu, mais Amazon compte diversifier ses acteurs logistiques pour répondre aux exigences du same-day delivery, la livraison en 24 heures, qui nécessitera des investissements logistiques importants et une diversification des partenaires. Cette stratégie s’accompagne d’un renforcement des infrastructures locales et du recrutement de talents.
Le géant de l’e-commerce mise également sur les PME belges présentes sur sa plateforme. « Nous voulons leur permettre d’atteindre davantage de clients, ici et à l’international », a précisé Eva Faict. Des investissements sont prévus dans l’intelligence artificielle pour soutenir ces ambitions. Le pari d’Amazon est clair : faire de la Belgique un hub logistique et technologique au cœur de l’Europe.
Les autorités belges se sont empressées de saluer l’annonce. Matthias Diependaele, ministre-président flamand, y voit « une confirmation de l’attractivité technologique de la Belgique », tandis qu’Éléonore Simonet, ministre fédérale des PME, parle d’un « levier pour la compétitivité et la croissance ».
« Un investissement qui cache des effets négatifs »
Économiste et fondateur d’Econopolis, Geert Noels exprime ses réserves. Pour lui, l’arrivée massive d’Amazon en Belgique n’est pas vraiment une bonne nouvelle pour le tissu économique local. « On se réjouit des investissements et on lui déroule le tapis rouge, mais on oublie souvent de mesurer leur coût réel pour l’économie locale, explique-t-il. Amazon, comme d’autres géants, bénéficie d’un traitement de faveur : moins de contraintes réglementaires, une fiscalité optimisée, et une capacité à écraser la concurrence locale. » Il ajoute : « Ce n’est certainement pas Amazon qui va sponsoriser le club de foot local ou la culture locale ! »
« Ce n’est certainement pas Amazon qui va sponsoriser le club de foot local ou la culture locale ! »
Un level playing field est nécessaire dans ce contexte. Geert Noels pointe du doigt le déséquilibre entre les acteurs locaux, soumis à une réglementation stricte, et les multinationales qui contournent ces règles. « Un commerçant belge m’a confié qu’il était plus facile de produire quelque chose en Belgique, de l’envoyer en Chine et d’utiliser les services chinois pour l’importer en Belgique. Parce que s’il le commercialise directement dans notre pays, il ne survit pas, mais bien s’il fait le détour par la Chine. C’est quand même très cynique mais révélateur. »
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Opportunité ou piège pour les PME ?
Amazon emploie actuellement 400 personnes en Belgique, un nombre appelé à croître, sans plus de détails à ce stade. Le cabinet Keystone Strategy parle de 1.000 emplois indirects et 200 emplois induits. Mais, pour combien de destructions d’emplois locaux, s’interroge Geert Noels ? Il rappelle que « chaque emploi créé chez Amazon peut en détruire plusieurs dans le commerce local, souvent invisibles car dispersés parmi des indépendants ou de très petites entreprises ».
« Chaque emploi créé chez Amazon peut en détruire plusieurs dans le commerce local
Et de citer l’exemple assez paradoxal d’un Walmart qui a fermé ses portes en 2018 aux Texas, aux États-Unis : « C’est un exemple assez parlant documenté par le New York Times. C’est rare et assez étonnant qu’un Walmart ne ferme. Tout le monde craignait que cela allait avoir un impact extrêmement négatif. Et bien, l’inverse s’est passé : tout un tissu local s’est reconstruit, car la concentration tue la diversité. Il suffit de voir comment les mastodontes Ikea ou Decathlon ont tué les petits commerces de meuble et de sport belges. »
Une concurrence déloyale
Amazon vante, par ailleurs, son rôle de plateforme pour les PME belges, leur offrant une vitrine internationale. Mais peut-on vraiment y voir une opportunité? « Théoriquement, c’est vrai, les petits commerçants belges peuvent vendre sur Amazon, reconnaît Noels. Mais en pratique, Amazon prend une commission élevée et impose ses règles. Le rapport de force est déséquilibré. »
L’économiste poursuit : « Je ne suis pas contre le libre-échange ou l’économie libérale, mais depuis longtemps, j’avertis qu’il faut faire attention en ouvrant les portes sans que tous les joueurs doivent respecter les mêmes règles. Ce n’est pas très difficile à comprendre que ça a des effets. » Une régulation européenne est donc une nécessité urgente dans ce contexte. Pour Noels, la solution passe par une harmonisation des règles au niveau européen. « Tant que chaque pays agit seul, les multinationales contournent les contraintes via les Pays-Bas, le Luxembourg…. L’Europe doit imposer un cadre commun, sinon, c’est la porte ouverte à une concurrence déloyale. »
La Belgique, terrain de jeu des géants du e-commerce ?
L’investissement d’Amazon s’inscrit dans une course effrénée avec d’autres acteurs comme Temu et Shein, qui inondent l’Europe de leurs produits à bas coûts. Shein vient d’ailleurs d’annoncer l’implantation de magasins physiques en Europe. « Ces plateformes inondent le marché de produits low-cost, souvent sans respecter les normes sociales ou environnementales européennes, alerte Geert Noels. À terme, c’est toute l’économie locale qui en pâtit. »
L’investissement d’Amazon est une aubaine pour l’image économique de la Belgique, mais il soulève des questions cruciales : comment concilier attractivité pour les multinationales et protection du tissu local ? Comment garantir que les retombées profitent à tous, et pas seulement aux géants du e-commerce ? « L’Europe doit choisir, conclut Geert Noels. Soit elle accepte de devenir un simple marché de consommation pour les multinationales, soit elle impose des règles strictes pour protéger son économie et ses valeurs. »