Gault&Millau 2026 : les leçons d’une gastronomie en mutation

Muriel Lefevre
Muriel Lefevre Journaliste multimédias

La 23e édition du Gault&Millau, dévoilée ce lundi, révèle bien plus qu’un palmarès gastronomique : elle dessine les contours d’un secteur en pleine transformation, où excellence rime désormais aussi avec agilité entrepreneuriale.

Dans un marché saturé, l’excellence en cuisine doit s’accompagner d’une vision stratégique et d’une capacité à raconter une histoire qui attire et fidélise la clientèle.

Le modèle pivot gagnant

The Jane de Nick Bril illustre parfaitement cette évolution. Quatre semaines seulement après la fermeture de son restaurant du Groen Kwartier, le chef anversois rouvre sur le site Montevideo avec un concept radicalement différent : moins de couverts, cuisine centrale, expérience repensée. Résultat ? Une note identique de 18,5/20, validant instantanément son pari stratégique. Une résilience entrepreneuriale rare dans un secteur traditionnellement attaché à la continuité.

L’ascension par le métier

Karen Torosyan, sacré “Chef de l’année” avec 17,5/20, incarne un autre modèle de réussite : celui de la méritocratie pure. Parti comme plongeur, cet artisan installé au Bozar Restaurant maîtrise aujourd’hui des techniques si pointues que certains plats nécessitent une précommande. Sa spécialité ? Des créations en croûte d’une complexité redoutable, comme ce pâté garni de ris de veau et champignons qui requiert un savoir-faire hors norme.

Un marché sous pression

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 1.340 adresses recensées contre 1.400 l’an dernier. “De nombreux restaurants ont fermé”, confirme Marc Declerck, directeur de Gault&Millau. Le constat est sans appel : “Vendredi et samedi, tout est plein. Mais les midis, c’est une autre histoire.”

Cette contraction du marché s’accompagne d’une mutation des comportements de consommation. La nouvelle catégorie “Meilleur choix de vins au verre” traduit une tendance lourde : la baisse de la consommation d’alcool pousse les clients à commander au verre plutôt qu’à la bouteille. Un ajustement stratégique qui impacte directement les modèles économiques puisqu’il s’agit désormais aussi d’intégrer la valorisation d’offres non-alcoolisées. Les observateurs les plus critiques notent néanmoins qu’il n’y a, pas encore, de catégorie “meilleure carte sans alcool”.


Le meilleur établissement de Wallonie selon Gault&Millau est L’air du temps à Éghezée, avec un score de 19,5 sur 20. Pour le numéro deux, direction Marchin dans la province de Liège, où Arabelle Meirlaen obtient 18 sur 20. Le “Jeune Chef de l’année pour la Wallonie” est Basile De Wulf du restaurant Basile Cuisine Gourmande (14,5/20) à Perwez. Corentin Lonnoy, chef du Restaurant Coquo à Bierwart (Fernelmont) est lui la “Nouveauté remarquable de l’année” en Wallonie tandis que Mona Lisa (Yvoir) est le “Restaurant italien de l’année 2026”. Enfin, le chef Stefan Jacobs, de Hors-Champs (Gembloux), obtient le titre d’Artisan cuisinier de l’année.

La massification sélective

Paradoxe apparent : alors que le haut de gamme se contracte, Gault&Millau récompense Martino, un snackbar gantois, du H!P-award flamand. Signal fort envoyé au marché : l’excellence n’est plus réservée aux seuls restaurants nécessitant un portefeuille ultra garni. Cette démocratisation contrôlée élargit le spectre commercial sans dévaloriser les références premium, une ouverture bienvenue qui là aussi risque de bousculer le secteur.

La stabilité au sommet

Aucun établissement au-dessus de 17/20 n’a perdu de points. Boury (Roeselare) et L’air du Temps (Eghezée) conservent leur leadership à 19/20. Cette stabilité des leaders contraste avec la volatilité du middle market, où 166 établissements ont progressé. Et parmis les progressions notables il y a: La Botte (Genk), Humus x Hortense (Bruxelles), Nebo et Misera (Anvers) atteignent 16,5/20. Un échelon où se joue la bataille de la rentabilité : suffisamment premium pour justifier des prix élevés, pas assez iconique pour garantir le remplissage.

À Bruxelles, quatre établissements se partagent la première place avec 17,5 sur 20 : Bozar Restaurant, Comme chez Soi, La Paix et Le Chalet de la Forêt. Le nouveau venu pour Bruxelles est Eliane de Kobe Desramaults, qui obtient directement 17 sur 20. Humus x Hortense monte à 16,5 sur 20 et remporte le prix du “Menu végétal de l’année”. David-Alexandre Bruno de Quartz grimpe non seulement à 14,5 sur 20, mais est aussi “Jeune Chef de l’année pour Bruxelles”. Pour la “Découverte de l’année à Bruxelles”, il faut se rendre chez Kartouche (13/20).

Les défis structurels

Reste une interrogation récurrente dans la profession : Que signifie réellement un demi-point de plus ou de moins sur 20 ? Une cotation qui offre certes plus de nuances que les étoiles Michelin, mais qui complexifie aussi le positionnement commercial des établissements. Dans un marché où le différentiel de notation peut déterminer le succès ou l’échec d’un modèle économique, chaque demi-point devient un enjeu stratégique majeur. Ainsi un demi-point en plus justifie-t-il 20% d’écart sur l’addition moyenne ?

Comme souvent, ce sera, in fine, au client de juger.

Une inflation de distinctions

L’inflation de distinctions pose question. Gault&Millau multiplie les prix thématiques : chef de l’année, jeune chef, meilleur sommelier, meilleur service, prix du public… Une stratégie qui valorise certes l’ensemble de la filière, mais qui dilue simultanément l’impact médiatique de chaque récompense. Et cela rend aussi plus difficile pour un établissement de vraiment sortir du lot au-delà des trois ou quatre premiers du classement. Cette prolifération de récompenses reflète un dilemme économique plus profond : comment maintenir l’exclusivité d’un label tout en élargissant suffisamment le spectre pour rester pertinent face à la diversification de l’offre gastronomique ? Et que penser des nouveaux entrants qui n’ont parfois que quelques semaines d’existence ? Si elle valorise l’excellence immédiate, interroge sur la pérennité des modèles économiques sous-jacents.

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