Uniques dans le paysage des festivals d’été, les Francofolies de Spa se déroulent au cœur même de la ville, loin des autres événements musicaux plantés dans les campagnes ou en périphérie urbaine. Avec quelles retombées économiques pour la cité thermale et ses commerçants ? Réponse avec Yoann Frédéric, directeur général des Francos.
Dès aujourd’hui et jusqu’au dimanche 20 juillet, les Francofolies de Spa vont à nouveau faire bouger les festivaliers amateurs de chanson française et d’ambiance bon enfant. Clara Luciani, Julien Doré, Véronique Sanson, Kendji Girac, Stephan Eicher… Au total, plus de 50 concerts vont rythmer la cité thermale en son centre-ville, loin des autres festivals d’été qui préfèrent jouer la carte d’une décentralisation beaucoup plus confortable à gérer.
Depuis 2022, Yoann Frédéric veille au bon déroulé des festivités musicales en tant que directeur général des Francofolies de Spa. L’homme est un enfant du pays et il avait 12 ans à peine lorsque la toute première édition des Francos fut organisée en 1994. « J’ai grandi avec ce festival et je luis dois beaucoup », confesse-t-il sobrement, avant se s’attarder davantage sur le business model de l’événement spadois et sur ses retombées économiques pour la ville et la région. Interview.
Les Francofolies de Spa, c’est une vraie PME ?
Il faut d’abord rappeler que nous sommes une association sans but lucratif. C’est un modèle qui est de moins en moins présent dans les festivals, avec une gouvernance indépendante et donc aucun actionnaire privé. Mais en termes de fonctionnement, on se rapproche effectivement d’une petite entreprise. Nous ne sommes que 5,5 équivalents temps plein à l’année, mais nous gérons des missions très vastes. Pour ma part, je ne me contente pas de fixer le cap, je suis aussi plongé dans les tableaux Excel, dans les négociations et toute la production. Au-delà de ce premier cercle d’employés, nous avons des prestataires de services qui sont indépendants, mais qui nous fournissent une série de prestations quasiment à l’année avec des missions, par exemple, dans le graphisme, la communication, l’activation de sponsoring, les partenariats médias, etc. Et puis, au moment du festival, c’est là que la magie opère avec un troisième cercle de prestataires : des techniciens, des équipes de régies, le volet hospitality, la sécurité, les bénévoles, etc. On arrive alors à plus de 1.000 personnes réquisitionnées pendant toute la durée du festival.
Avec quel budget de fonctionnement ?

Selon les éditions, cela varie entre 6,2 millions et 6,5 millions d’euros dont 1 million en termes d’échanges. Ce sont essentiellement des prestations d’échanges médias. On nous fournit une visibilité et de l’espace publicitaire pour les Francos et, en contrepartie, nous fournissons également de la visibilité, de l’hospitality, du VIP ou encore des partenariats durant le festival.
Dans ce budget global, comment se ventilent les recettes ?
En moyenne, la billetterie représente entre 45 et 50 % de nos recettes. Ensuite, les subsides publics couvrent environ 10 à 15 % du budget, tout comme le sponsoring privé qui se situe dans le même ordre de grandeur. On a également des revenus complémentaires via le merchandising ou encore les concessions de bars et de restos temporaires, ce qui représente environ 20 à 25 % du budget. Comme nous sommes une ASBL, notre but n’est pas de générer du bénéfice, il est important de le rappeler. Bien sûr, il y a des années où l’on gagne un peu d’argent, et puis des années où l’on en perd. Ce sont un peu les montagnes russes. Pour l’édition précédente, on a réussi à gagner 150.000 euros.
Vous avez récemment tiré la sonnette d’alarme avec d’autres directeurs de festivals lors d’une ‘‘réunion secrète’’ dont tout le monde a eu finalement écho…
Oui, c’était un secret de polichinelle (rires) ! Ce qui est assez spectaculaire, c’est que nous avons quasiment tous fait le même constat au même moment. Evidemment, nous sommes dans un secteur très concurrentiel, mais nous sommes quand même tous dans le même bateau et on se serre les coudes. Le premier constat, c’est qu’il y a une évolution spectaculaire des cachets d’artistes. Il y a une augmentation chaque année de 10% à 12% du montant des cachets pour une valeur commerciale similaire. Un artiste que j’aurais payé 120.000 ou 130.000 euros il y a encore deux ou trois ans va me coûter aujourd’hui 200.000 euros…
Cela plombe de plus en plus le budget des festivals et donc cela met en péril leur avenir ?
Aujourd’hui, le cachet des artistes représentent, chez nous, 30% des coûts. Contractuellement, il m’est interdit de vous citer les noms, mais nous avons déjà déboursé jusqu’à 250.000 euros pour un seul cachet d’artiste. C’est une évolution qui devient difficilement tenable, d’autant plus que les modes changent très vite dans le secteur des loisirs. On sent que les gens achètent leurs tickets de plus en plus tard. Une grosse partie de nos ventes de billetterie dépend d’ailleurs des aléas de la météo. Et puis, on sent qu’il y a aussi une concurrence de plus en plus importante des salles qui se portent plutôt bien et qui font de gros efforts en termes d’investissements. Certains artistes ou agents annoncent d’ailleurs des dates de tournée en salle avant même d’avoir joué en festival, ce qui n’était pas le cas auparavant. On avait une forme de gentlemen’s agreement implicite : on laissait passer les festivals, et puis les agents ou les artistes annonçaient les tournées. Aujourd’hui, cet équilibre est rompu. D’où cette ‘‘réunion secrète’’ pour tirer la sonnette d’alarme…
Dans cette abondance de festivals d’été, comment les Francofolies de Spa peuvent-elles émerger ?
Notre principale tête d’affiche, c’est la ville de Spa. Elle ne nous coûte pas 250.000 euros, elle est totalement gratuite et personne d’autre ne l’aura ! Aujourd’hui, tout le monde court dans des prairies pour construire des univers éphémères, mais chez nous, on est dans un vrai décor à taille humaine, avec une vraie ville, des vrais gens et du vrai patrimoine qui date parfois du 19ème siècle. Et puis, côté musique, nous continuons à défendre une offre généraliste dans un monde où chacun a plutôt tendance à se renfermer dans son club ou sa communauté. Nous, on ouvre les vannes à fond et on dit aux gens : ‘‘Il y a de tout, soyez curieux !’’
Quelles sont les retombées économiques des Francofolies pour la ville de Spa et sa région ?
La dernière étude qui a été réalisée à ce sujet par l’Université de Liège remonte à 2013 et évaluait les retombées économiques à un peu plus de 13 millions d’euros. C’est essentiellement l’horeca – hôtels, restaurants, cafés – et les autres commerçants qui en bénéficient, surtout au niveau local mais aussi provincial. En prenant en compte l’inflation, on pourrait donc évaluer l’impact économique des Francofolies de Spa à environ 16 millions aujourd’hui. Sans compter les retombées indirectes plus difficiles à chiffrer et aussi le fait que le festival génère également des pratiques vertueuses auprès de gens qui refréquentent Spa grâce aux Francos.
Qui est votre plus grand concurrent aujourd’hui ?
Ce n’est plus seulement les autres festivals. Dans la société de consommation actuelle, tout forme de loisir est une concurrence en soi. C’est un vol Ryanair à 30 euros pour aller trois jours sur une plage au Portugal. C’est un match de foot ou une fête de village le même week-end qui va attirer 4.000 personnes. Et c’est même le Grand Prix de Francorchamps qui nous oblige à changer la date du festival l’année prochaine…
Vous y êtes contraint ? Il est impossible d’organiser les deux événements le même week-end ?
J’ai eu des contacts extrêmement cordiaux avec les représentants du circuit et du Grand Prix et il est impossible, en termes de logistique, de logements, des prestataires de service, de mobilité et de sécurité, de maintenir les deux événements aux mêmes dates l’année prochaine. Il y a 10 écuries de F1 qui sont prêtes à mettre quatre fois le prix pour les hôtels de la région. Difficile de rivaliser…