Fortunes discrètes de Flandre : l’ambitieuse 4e génération de la famille Dossche

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Portret van Kristof Dossche, Dossche Mills, Deinze 20231124100526 ID/ Wouter Van Vooren
© ID/ Wouter Van Vooren

La famille Dossche, originaire de Deinze, en Flandre-Orientale, fait partie de ces innombrables et discrètes fortunes flamandes. Kristof Dossche, descendant de la quatrième génération, est en train de se tailler une place de leader sur le marché européen des minoteries, suite au récent rachat en Allemagne de Mühle Rüningen, une entreprise familiale créée en 1312.

À la fin du mois d’octobre 1998, la séparation de la famille Dossche est devenue officielle. Après des années de conflit larvé, les descendants des frères Daniel et Irené, de la deuxième génération, ont coupé les ponts. La branche autour d’Irené Dossche a opté pour un rachat coûteux de ce qui était à l’époque un conglomérat alimentaire, avec une production de poulets, des minoteries, des produits de boulangerie (surgelés), des aliments pour bétail ou encore des restaurants. Pendant des années, le groupe Dossche s’est débattu avec cet accord de rachat.

Les descendants d’Irené Dossche ne sont pas restés les bras croisés. Pendant des décennies, le grand timonier a été Jacques Dossche, notamment à l’origine de la diversification dans les restaurants Colmar, entre autres. La sœur, Anne, s’est tournée vers cette activité.

La famille derrière Colmar et Crocodile

Anne Dossche, descendante de la troisième génération, est propriétaire de l’activité sans doute la plus connue de la discrète famille de Flandre-Orientale : les chaînes de restaurants Colmar en Belgique et Crocodile en France. Colmar est passé entre les mains de la famille dans les années 1970, dans le cadre d’une diversification. Ici aussi, Jacques Dossche a été aux commandes pendant de nombreuses années. Deux des fils d’Anne Dossche travaillent par ailleurs dans l’entreprise. Devigné Van den Weghe est directeur opérationnel de la chaîne de restaurants, et son frère, David Van den Weghe, est directeur des achats.

Chez Colmar SA aussi, la gouvernance d’entreprise constitue une priorité. Le holding de consolidation des chaînes de restaurants d’Audenarde compte les trois membres de la famille parmi ses administrateurs, ainsi que trois administrateurs indépendants. Parmi eux, Inge Plochaet, également administratrice de l’embouteilleur Konings et de l’entreprise alimentaire cotée What’s Cooking, entre autres, et précédemment active pendant de nombreuses années chez AB InBev. Au cours de l’hiver dernier, Dries Colpaert, ancien dirigeant chez Colruyt, est également devenu administrateur indépendant. Mais le nom le plus surprenant au sein de la chaîne de restaurants est sans doute celui de Jean-Paul Van Avermaet. L’ancien CEO de bpost est en effet devenu le nouveau dirigeant de Colmar en février de cette année.

L’entreprise n’est pas moins performante que le marché. Son dernier exercice bénéficiaire remonte à 2019. Il s’en est suivi la crise du covid et les fermetures obligatoires des restaurants, ce qui a entraîné une chute de 57% des ventes. L’exercice 2023 a été encore une fois déficitaire, car la hausse des coûts de l’alimentation et du personnel n’a pu être entièrement répercutée sur les clients, indiquait alors le rapport annuel du conseil d’administration comportant les derniers chiffres du bilan. Le nombre d’employés en Belgique a également fortement diminué, passant de 236 en 2019 à 123 l’année dernière. Cette évolution est en partie liée à la vente, en avril 2022, de la division Fast Moving Concepts, qui représentait plus d’un cinquième du chiffre d’affaires. Il s’agissait de concepts de vente au détail dans les gares et les centres commerciaux, notamment Fritkot, Java Coffee House et Smoothiebar. Dans notre pays, Colmar dispose de six restaurants avec un format de buffet à volonté, selon son site web. En France, la chaîne Crocodile compte 16 restaurants, dont la plupart se trouvent dans un wagon de chemin de fer, et proposent également une formule de buffet.

La famille s’est également enrichie de talents commerciaux et entrepreneuriaux par le biais de mariages. Jacques a épousé Colette Bostoen, de l’entreprise familiale de construction du même nom. Le frère de cette dernière, Francis Bostoen, fondateur de l’entreprise de construction, est lui l’époux de Marie-Ange Dossche, sœur de Jacques et Anne.

Aujourd’hui, le patrimoine familial est principalement regroupé dans le holding NV Dossche Invest, dont le bilan total dépassait les 333 millions d’euros à la fin de l’année 2023.

De nos jours, les deux grands capitaines sont les descendants de la quatrième génération, Kristof Dossche (50 ans) et son frère Frank Dossche (36 ans). Ce dernier est le fils issu du second mariage de Jacques Dossche, avec Catherine Van Steenberge. La discrétion est le leitmotiv de la famille. “Nous préférons ne pas parler de la famille dans la presse. Nous comptons sur votre compréhension à cet égard”, nous a répondu Kristof Dossche par courriel, lorsque Trends-Tendances l’a sollicité pour une interview.

Leader du marché de la farine

En octobre 2017, notre magazine publiait un portrait du CEO de Dossche Mills, la division minoterie du groupe, suite à une importante acquisition aux Pays-Bas. À l’époque déjà, la discrétion prévalait. “Nous sommes une famille discrète. Nous n’aimons pas être dans les médias, déclarait alors Kristof Dossche. Mon objectif dans la vie était de travailler dans l’entreprise familiale. J’ai été élevé dans l’esprit d’entreprise. Mon père en parlait toujours avec enthousiasme.” La fabrication de la farine est, selon lui, “un métier passionnant. Nous produisons plus de 300 variétés de farine. C’est très complexe”.

Le but de ma vie était de travailler dans l’entreprise familiale. J’ai été élevé dans l’esprit d’entreprise.
Kristof Dossche

Kristof Dossche

CEO de Dossche Mills

Eddy de Mûelenaere, ancien administrateur délégué du producteur laitier Milcobel, a été administrateur indépendant de NV Dossche Invest de 2016 à 2022. “C’est une famille d’entrepreneurs pure souche. Le père aussi l’était, Jacques Dossche. La famille était très ouverte aux administrateurs externes. Cela a également rendu l’entreprise plus professionnelle et plus forte. Auparavant, on faisait peut-être trop confiance à des managers qui n’étaient pas à la hauteur, voire qui n’avaient pas le niveau ou les compétences nécessaires. Kristof connaît très bien le secteur et y a construit un réseau solide. Il est très motivé par la croissance et va donc parfois trop vite en besogne. L’organisation de l’entreprise et les employés n’ont pas toujours pu suivre. Kristof y a travaillé et il a très bien réagi aux évolutions du marché ces dernières années.”

Dossche Invest peut encore attirer des administrateurs clés. Le conseil d’administration compte sept membres, dont quatre sont issus de la famille. En outre, il y a trois administrateurs indépendants. Parmi eux, Dirk Lannoo, ancien haut dirigeant de Katoen Natie et confident du propriétaire Fernand Huts, Manager néerlandophone de l’Année 1987. Mais aussi Yves Willems, CEO pour l’Amérique du Nord du leader mondial de la chaux, Carmeuse. Quant au président du conseil d’administration, il s’agit de Rik Jacob, ancien CEO de l’entreprise alimentaire Ardo.

Car Dossche Mills voit grand. “Notre ambition est de devenir le leader du marché européen”, peut-on lire sur son site web. Avec cinq moulins au Benelux, le groupe est aujourd’hui l’un des plus grands acteurs en Europe. Chaque année, le groupe moud un million de tonnes de blé en provenance d’Allemagne et de France, principalement pour des clients du Benelux et du nord de la France. Les produits de boulangerie sont destinés aux boulangers industriels et artisanaux, à l’industrie de la pâtisserie et à celle de l’alimentaire. Par exemple, la filiale NV Flinn, très rentable, vend de la farine pour des applications particulières telles que la chapelure pour le poisson ou les schnitzels.

Dans une rare interview accordée en novembre dernier au journal De Tijd, Kristof Dossche a expliqué pourquoi la croissance est importante. Le marché de la farine est stable en Europe. La croissance doit donc se faire principalement par le biais d’acquisitions. L’Europe compte plus de 2.000 entreprises de meunerie, presque toutes familiales. Elles manquent d’envergure dans un secteur à forte intensité de capital et sont presque toutes déficitaires. Pour bon nombre de ces familles, une vente est un grand pas à franchir. Dossche Mills y est parvenu récemment, avec l’acquisition de l’allemand Mühle Rüningen. L’entreprise familiale de Braunschweig, en Basse-Saxe, a été fondée en 1312.

C’est une famille d’entrepreneurs pure souche. L’entreprise est devenue plus professionnelle et plus forte avec des administrateurs indépendants.

Eddy de Mûelenaere

administrateur indépendant de NV Dossche Invest de 2016 à 2022

Le frère Frank, économiste à Harvard

Le holding familial NV Dossche Invest ne se limite toutefois pas à la farine. Le frère, Frank Dossche, dirige la division boulangerie surgelée et tortillas. Formé en tant qu’ingénieur commercial à Solvay et économiste à Harvard, il démontre, avec l’entreprise Gourmand Pastries, que la croissance dans le monde de la boulangerie est encore possible. L’entreprise de Mouscron fabrique 4,5 millions de croissants et autres viennoiseries par jour, selon son site web.

Gourmand Pastries est très rentable, et son chiffre d’affaires a atteint 124 millions d’euros l’année dernière, bien que l’entreprise ait été fortement impactée par la hausse du coût des matières premières. Il convient de souligner l’importance des exportations, qui représentent plus de 90% des ventes.

Gourmand Pastries dispose de filiales de vente en Italie, en Croatie et aux États-Unis, entre autres. Frank Dossche dirige également Mexma Food, un producteur de tortillas (de blé) basé à Kerkrade, aux Pays-Bas.

Et l’ancien administrateur indépendant Eddy de Mûelenaere de déclarer : “Frank est également intelligent et doué pour le management et l’organisation. Frank Dossche a stabilisé la situation chez Gourmand. Chez Mexma Food, il a largement dépassé la croissance observée sur le marché, un niveau qui n’était même pas atteint avant sa nomination.”

Plusieurs familles flamandes se sont constitué d’importants portefeuilles d’investissement au fil des ans. Elles font ainsi prospérer et croître notre économie. Trends-Tendances présente chaque mois une de ces familles souvent méconnues.

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