Fin de la saga industrielle méconnue de Monaco
Réputée pour sa riviera et sa vie de luxe, Monaco abrite encore, derrière la façade de sages immeubles aux vitres de bureaux, une poignée d’usines où des ouvriers faisaient les 3×8, rescapés d’une saga industrielle méconnue mais dont les jours semblent désormais comptés.
Emblématique de ce secteur né à partir des années 1950, sous l’impulsion du prince Rainier III et grâce à l’afflux d’entrepreneurs attirés par la douceur du climat et de la fiscalité, le plasturgiste Foreplast a annoncé la fin de toute fabrication d’ici à février.
Ce fabricant de composants automobiles (poignées de portières, boutons de commandes, etc…) a été fondé en 1955 par un Monégasque pur jus, Charles Manni, grand-père du jeune espoir de F1 Charles Leclerc.
Il y a cinq ans, il a été revendu au groupe Novares. Mais ce dernier ne conservera à Monaco que des bureaux d’études et un service de facturation.
Avec cette usine, c’est un pan d’histoire de Monaco qui disparaît et “un vrai traumatisme”, observe Lena Hanns, de l’Union syndicale monégasque (USM).
– Grève rarissime –
“La tendance est d’aller vers le développement de bureaux d’études, d’une industrie propre, de services, plutôt que la fabrication qui exige beaucoup de place”, constate-t-elle.
A Monaco, cité-Etat hyper-urbanisée d’environ 2 km carrés en bord de Méditerranée, le prix moyen du m2 approche les 50.000 euros, l’un des plus chers au monde.
“Ca nous poserait moins de problèmes si les salariés étaient considérés et formés pour continuer à travailler à Monaco. Or, aujourd’hui, ils sont simplement renvoyés en France ou en Italie”, dit-elle.
Chez Foreplast, où 59 salariés vont être licenciés malgré des années d’ancienneté et une carrière sans accroc, la pilule du plan social a été difficile à avaler. Fait rarissime en Principauté, ils ont fait la grève deux fois, près de quinze jours en tout, pour faire améliorer le plan social, souligne Me Delphine Frahi qui assiste le personnel.
“J’ai eu la boule au ventre, il n’y a plus beaucoup d’usines et elles ont déjà leur personnel”, explique Michele (son prénom a été modifié à sa demande), un futur ex-salarié italien de 58 ans, entré en 1979 dans l’entreprise.
Son père travaillait déjà pour le plasturgiste: “Monaco payait mieux qu’en Italie et jusqu’en 2004 on n’était pas imposable. En fait, surtout, il n’y avait pas trop de travail en Italie, c’était notre planche de salut”.
“Pour la Principauté, la présence de gens modestes venant travailler véhiculait une autre image que la clientèle menant grand train dans les palaces et Rainier III y était très sensible”, remarque un industriel.
Depuis quelques années, Michele sentait le vent tourner. A Fontvieille, un quartier gagné sur la mer près du stade de foot où se concentraient ces usines, “il y a toujours autant de monde, mais ce sont des gens plus qualifiés”.
Pourtant, “aux temps héroïques”, comme les appelle Pascal Gaussin, du Groupe d’Etudes des industries de transformation (GIET) de Monaco, la Principauté fabriquait de tout: conserves d’anchois, lave-linge, maillots de bain ou produits de parapharmacie.
Parmi eux, le fameux “dentifrice des pieds” des laboratoires Asepta. Connu sous la marque Akiléïne, ce dernier a été imaginé initialement pour soulager les pieds éprouvés des croupiers du casino.
En 1965, près de la moitié de la main d’oeuvre monégasque travaillait dans l’industrie. Le secteur avait décuplé en 15 ans et était cité en exemple: Monaco était LA grande ville industrielle de la Côte d’Azur et montrait la voie pour s’affranchir de la mono-industrie du tourisme et des jeux.
Selon un connaisseur, des montages comptables confortaient ce succès, permettant d’imputer la production dans une société ne faisant quasiment pas de profits et les ventes dans une autre société en nom propre non imposable. Ce système explique, selon ce spécialiste, pourquoi encore aujourd’hui des sociétés gardent un pied à Monaco.
– Délocalisations –
L’industrie monégasque a suivi la même pente qu’en France ou en Europe, mais en pire.
Elle ne pèse plus que 5% du Produit intérieur brut (PIB) et 5% de l’emploi privé, soit 2.600 salariés, selon l’Institut statistique monégasque Imsee. Et encore, ces chiffres incluent les boulangers industriels ou les domaines de la distribution d’eau, de gaz, d’électricité et du traitement des déchets.
Les établissements industriels de plus de 100 personnes ne sont plus que sept à Monaco. L’industrie pèse cependant pour un tiers du commerce extérieur de la Principauté grâce aux parfums et produits de toilette, précise l’Imsee.
Lancaster, dont la princesse Grace Kelly a contribué à la renommée, conserve des lignes de production de soins pour la peau et la protection solaire. Un ancrage ancien que le syndicat USM estime à son tour menacé après la disparition dans la dernière décennie de plusieurs autres grands employeurs: Biotherm (cosmétiques), Theramex (contraceptifs), Borgwarner (équipements hydrauliques) ou Invensys (électroménager).
“Les salariés sont en droit de s’inquiéter”, estime Mme Hanns même si le groupe américain Coty, propriétaire de Lancaster, assure que “le site Coty de Monaco et sa compétitivité sont stratégiques”.
“Au sein du GIET, on a été jusqu’à 65 membres mais on n’est plus qu’une quinzaine, dont environ la moitié sont de vrais industriels”, souligne M. Gaussin, témoin de nombreuses délocalisations vers le Maghreb ou l’Europe de l’Est.
“Il n’y a pas d’intérêt à être à Monaco, sauf pour des entreprises présentes historiquement qui ont une production à forte valeur ajoutée et pour lesquelles l’impact du coût de la main d’oeuvre est modeste”.
“Quand le prince Albert II a été intronisé en 2005, le déclin était déjà très amorcé”, reprend M. Gaussin: “On lui avait fait une présentation intitulée… +A nos chers disparus+”.
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