Paul Vacca
Faut-il absolument persévérer pour réussir?
On a une pensée pour Tommy Moore, le premier batteur des Beatles qui décida de claquer la porte du groupe après un mois.
Un des narratifs que nous affectionnons particulièrement concernant la réussite, c’est celui de la persévérance. Nous n’aimons rien tant que le récit de celui ou celle qui a franchi tous les obstacles et qui a atteint son but envers et contre tout. L’incarnation d’une forme d’héroïsme fait de dépassement et d’abnégation qui ravit notre bon sens rationnel en posant une corrélation entre l’effort fourni et le graal atteint. Cela nous soulage de savoir que les choses se méritent. Comme Rocky qui paie de sa personne pour remporter son combat.
On nous objectera que ce n’est pas un récit mais la réalité. Et on pourra nous servir une pléthore de success stories de la vie réelle qui sont en effet davantage le fruit de la transpiration que de la pure inspiration. Mais on est dans un cas de figure qui ressemble à ce que pouvait affirmer dans les années 1990 une publicité pour le Loto français: “100% des gagnants ont tenté leur chance”. Et en effet, c’est irréfutable, tous ceux qui ont gagné au Loto ont joué. Mais combien ont joué et ont perdu? Toute l’astuce est là. De même, on peut dire qu’une écrasante majorité de ceux qui ont atteint leur objectif ont persévéré. Mais combien ont persévéré sans atteindre leur but pour autant?
Annie Duke, autrice à succès et ancienne joueuse de poker professionnelle, est catégorique dans un extrait de son livre à paraître Quit paru dans le magazine Atlantic: non, le succès n’est pas corrélé à l’effort entrepris. Au poker professionnel, note-t-elle, savoir quand abandonner est au contraire une compétence qui sépare les joueurs d’élite du reste du peloton. Elle souligne également l’ambivalence du courage et de la persévérance qui peuvent autant nous faire nous accrocher à des choses qui en valent la peine que nous inciter à poursuivre dans une mauvaise voie. Selon, Duke, contrairement à la croyance populaire, ceux qui gagnent abandonnent souvent. Et c’est précisément pour cette raison qu’ils gagnent.
D’autant que nous nous obstinons souvent dans une voie pour de mauvaises raisons. A cause du biais cognitif très répandu des “coûts irrécupérables” (“sunk cost fallacy” en anglais). Identifié en 1980 par le prix Nobel d’économie Richard Thaler, il désigne cette tendance irrationnelle que nous avons à continuer une activité non pas en fonction de l’issue du projet mais tout simplement parce que nous nous y sommes déjà beaucoup investis (financièrement, par le temps passé, par les efforts consentis, etc.). Et que cela nous obligerait à reconnaître que nous avons gaspillé tout cet argent, ce temps ou cette énergie en pure perte.
Comme il serait pratique qu’il y ait une corrélation entre effort et récompense. Or, ce lien, s’il existe, ne nous est rendu visible qu’a posteriori. Il est donc toujours aussi difficile de savoir quand continuer ou abandonner un projet, un emploi ou une activité. Stop ou encore? telle est l’épineuse question. Est-ce que rajouter un euro, une minute ou un effort ne nous coûte pas plus cher finalement que d’abandonner ce que nous avons déjà investi? Mais si c’était quitter trop tôt? Et on a alors une pensée pour Tommy Moore, le premier batteur des Beatles qui, le 11 juin 1960, décida de claquer la porte du groupe après un mois seulement. Un dilemme qui confine au vertige.
Pourtant aujourd’hui, certains semblent avoir trouvé l’équation gagnante pour résoudre ce dilemme et éviter tous les vertiges. Grâce au quiet quiting, cette “démission silencieuse” devenue une tendance après la pandémie, qui consiste à rester dans son emploi tout en l’abandonnant mentalement en ne s’y investissant plus. Une manière magique, un rien contorsionniste, de combiner le stop et le encore.
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