Fabien Pinckaers (Odoo): “Je suis content d’avoir des fonds publics wallons parmi les actionnaires”
Devenir un champion mondial du numérique et conserver une présence en Wallonie pour 50% de ses effectifs. Voilà le grand écart réalisé par Odoo, la firme de Fabien Pinckaers qui garde un attachement aux compétences belges.
Porte-drapeau de la Wallonie qui gagne. Exemple d’une économie en renouvellement. Odoo, pourtant trop peu connue du grand public, constitue l’une des réussites modernes du sud du pays. Spécialisée dans les logiciels de gestion pour entreprises, la firme fondée par Fabien Pinckaers, alors étudiant à l’UCLouvain, a depuis longtemps abandonné le statut de start-up. Désormais, Odoo affiche des chiffres impressionnants: plus de 1.700 employés répartis dans le monde, 7 millions d’utilisateurs, une croissance de 50% par an… Son patron et fondateur, Manager de l’Année 2020, fait assez peu son propre marketing et fréquente rarement les événements et les autres entrepreneurs: il mise tout sur le développement d’Odoo à l’international où la firme génère quelque 90% de son business. Pourtant, Odoo garde son ancrage purement wallon: la moitié de son personnel travaille dans la Région et la firme a souhaité conserver des (petits) actionnaires public wallons (SRIW et Noshaq). Etonnant alors que des actionnaires américains aux poches profondes ont jeté leur dévolu sur Odoo et qu’une firme de logiciels pourrait sans problème délocaliser le coeur de son développement. Rencontre avec ce CEO résolument positif pour (et sur) la Wallonie.
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TRENDS-TENDANCES. Vous réalisez moins de 10% de votre chiffre d’affaires en Belgique mais la moitié de vos ressources restent chez nous. Pourquoi?
FABIEN PINCKAERS. Pour la qualité des profils… Il y a d’excellentes qualités en Belgique et Odoo n’a aucune raison d’aller voir ailleurs. Les diplômes universitaires sont bons, les compétences aussi, y compris en matière de codage. Les bons codeurs se trouvent partout, mais en Belgique, ils sont très très bons, même s’il en manque. Quant au coût de la main-d’oeuvre, bien sûr, on paie en Belgique plus qu’ailleurs mais cela n’a pas d’importance pour nous. Je n’ai aucun souci à payer plus pour des gens exceptionnels. Et cela nous assure un très bon taux de rétention. Nous travaillons avec des codeurs en Inde, mais ils ne réalisent que 10% de ce qu’on développe. Le coeur est ici. Il faut savoir qu’un excellent codeur sera nettement plus productif qu’un mauvais. Et il sera vraiment en mesure de transformer le logiciel. En ce sens, ce n’est pas un souci de le payer plus. La principale problématique à l’heure actuelle, c’est la pénurie de codeurs. Résultat: on fait venir des profils en Belgique, ce qui, dans le cadre européen, est facile. C’est un mal nécessaire.
Les bons codeurs se trouvent partout, mais en Belgique, ils sont très très bons.
Alors que vous avez attiré un fonds d’investissements comme Summit Partners, vous avez conservé la SRIW parmi l’actionnariat d’Odoo et même fait monter Noshaq à bord en 2019. Pourquoi ce choix?
Tout simplement parce que ces deux fonds sont extrêmement bons et jouent parfaitement leur rôle. Certains dépeignent une image lourde et négative des fonds publics. Pourtant, je considère que c’est tout l’inverse. Ils disposent d’une vision à bien plus long terme que les VC (venture capitals) privés et soutiennent l’entrepreneuriat et l’emploi. Sur le marché, ils compensent l’absence de budget pour les levées de fonds d’une certaine taille. Ces fonds ont la capacité d’investir sur le long terme et de soutenir la boîte pour la création d’emplois et pas simplement avec l’idée de réaliser un bénéfice aussi vite que possible. Ils soutiennent Odoo qui est en forte croissance, car leur objectif est l’emploi et pas la revente. D’ailleurs, la SRIW est présente depuis pas mal d’années et continue de soutenir Odoo. Ces fonds publics sont ancrés dans le long terme et paniquent donc moins vite. Ils peuvent accompagner les entreprises dans les moments difficiles. Par ailleurs, lors de nos levées de fonds, je les ai trouvés efficaces et flexibles. Ils ont fait ce qu’il fallait pour que les deals soient des succès et pas pour tirer l’accord à leur avantage. Enfin, c’est une bonne chose d’avoir des représentants de fonds belges au board pour soutenir et expliquer des choix typiquement belges à des investisseurs qui connaissent moins nos spécificités.
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Par exemple?
Les voitures de sociétés. Aujourd’hui, pour recruter, nous devons proposer aux candidats des avantages qui les intéressent. Notamment la voiture de société. C’est une spécificité typiquement belge que des boards members étrangers ne comprennent pas.
Trouvez-vous que les autorités publiques soutiennent comme il faut l’entrepreneuriat en Belgique et qu’elles mettent en place les bonnes bases pour la création d’entreprises?
Honnêtement, quand on est entrepreneur, on n’a pas besoin des autorités. Quand j’ai lancé Odoo, nous n’étions pas vraiment soutenus. Cela a bien changé mais en tant qu’entrepreneur, si j’ai un problème, je cherche par moi-même à le régler. Cela dit, certains organismes sont bien utiles pour les entreprises. Les fonds publics comme la SRIW mais aussi des organismes comme l’Awex marchent très bien. L’Awex nous a permis, quand on était très petit, d’avoir une présence sur des salons à l’étranger. Il est facile d’introduire une demande, sans trop de paperasserie et d’obtenir une approbation rapide. Ils nous ont aussi aidés à nous installer à San Francisco. On y a commencé dans des bureaux fournis par leurs représentants…
Si vous aviez le pouvoir de prendre une mesure qui soutiendrait les entrepreneurs wallons, de quoi s’agirait-il?
Je ferais en sorte que la création d’entreprise ne passe pas par les notaires. Les frais pour la création d’entreprise sont définis dans la loi pour un montant de 484 euros. Mais les notaires facturent entre 1.600 et 3.500 euros. Pour un petit indépendant qui démarre et qui doit directement débourser un tel montant, ce n’est pas évident. Nous voyons, sur le terrain, que ce niveau de frais dès le départ est un frein à la création d’entreprises et qu’il faudrait, au contraire, les rendre plus abordables.
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