Paul Vacca
Existe-t-il une recette du succès?
Il est légitime – même si parfaitement absurde – de se demander si les Beatles seraient devenus ce qu’ils sont sans leur premier succès.
“Yesterday”, le filmde Danny Boyle sorti en 2019, nous plonge dans un monde où les Beatles n’auraient pas existé mais dans lequel un chanteur sans succès interprète miraculeusement leurs chansons à un public qui ne les connaît pas. Et – alerte spoiler – Yesterday, Let It Be, Hey Jude – pardon Hey Dude – ou Love Me Do font instantanément de lui une star planétaire à l’ère des réseaux sociaux. Un tour de passe-passe scénaristique habile: car si le public dans le film ignore les chansons des Beatles, nous, le public du film, baignons dedans depuis des décennies dans une Beatlemania qui semble éternelle.
Cass R. Sunstein, auteur et professeur à Harvard, analyse justement les ressorts de cette Beatlemania dans une étude disponible sur internet. Et à travers ce phénomène paroxystique, il essaye de comprendre pourquoi certains artistes ont du succès et d’autres non. Existe-il une formule du succès?
Vaste question. Pour lui, “Yesterday” traduit bien l’idée assez couramment partagée selon laquelle le succès des Beatles était de toute façon inéluctable. Quelle que soit la latitude ou l’époque, leur génie aurait fini par jaillir à la face du monde.
Plus largement, cela traduit selon lui l’hypothèse selon laquelle une chanson (film ou livre) a du succès parce qu’elle est d’une qualité supérieure aux autres. Or, Sunstein s’interroge: mais si la supériorité artistique induit nécessairement le succès, comment se fait-il que la prédiction dans le domaine soit si difficile? Pour quelle raison les plus grands experts – critiques, producteurs ou éditeurs… – se trompent-ils si souvent sur le destin d’une chanson, d’un livre ou d’un film? Et de rappeler au passage que les Beatles eux-mêmes avaient été refusés par la maison de disques Decca (“ce groupe n’a aucun potentiel!”) et que même George Martin, leur producteur et futur cinquième Beatle, n’était pas particulièrement convaincu au départ du potentiel des Fab Four.
C’est pourquoi face à cette approche essentialiste, d’autres avancent des clés d’explication exogènes, liées à une dynamique sociale presque indépendamment de la qualité intrinsèque de la chanson (film ou livre). Notamment via trois mécanismes, plus ou moins connexes, que sont les “cascades informationnelles”, à savoir l’effet déclencheur des premiers avis ; “l’effet de réseau”, à savoir l’effet de masse ; et la “polarisation de groupe”, à savoir la dynamique sociale des fans. Ainsi, il est légitime remarque-t-il – même si c’est parfaitement absurde – de se demander si les Beatles seraient devenus ce qu’ils sont sans leur premier succès Love Me Do. Question métaphysique dont on n’aura jamais la réponse.
Autant l’explication par le génie pèche par son excès de romantisme, autant celle par l’effet social le fait par excès de cynisme. Car si ces mécanismes sociaux sont bien constitutifs de chaque succès, ils ne le génèrent pas en soi. Les efforts promotionnels n’ont jamais garanti le succès. Et il faut bien qu’il y ait une cause première dans l’oeuvre ou l’artiste pour que le rayonnement social, à savoir le succès, opère.
Finalement, c’est peut-être Sir Paul McCartneyhimself qui explique le mieux l’imbrication mystérieuse des deux dimensions créative et sociale à la base de tout succès. Lorsque Stephen Colbert, dans The Late Show, lui demande pourquoi selon lui certains deviennent McCartney et d’autres non, il répond qu’il a eu la chance de naître dans une famille fondue de musique qui a nourri sa culture musicale en courants musicaux très divers pour produire des choses dans l’air du temps. Puis, il marque une petite pose, et ajoute avec l’oeil qui frise: “Avec un petit bonus: je suis un génie”.
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