Exclu: Proximus et Odoo signent un accord stratégique
En exclusivité pour “Trends-Tendances”, les CEO Guillaume Boutin et Fabien Pinckaers détaillent les termes de l’alliance qu’ils viennent de conclure entre l’opérateur télécom et l’éditeur de logiciels de gestion d’entreprises.
Depuis sa création en 2002, l’entreprise technologique Odoo a connu une croissance impressionnante. Cette pépite wallonne de 2.200 employés est aujourd’hui valorisée à plus de trois milliards d’euros et multiplie les contrats avec des grands noms du paysage économique. Après le cabinet de conseil KPMG le mois dernier, voici qu’Odoo signe aujourd’hui un partenariat stratégique avec Proximus. Objectif: permettre aux PME et aux indépendants clients de l’opérateur télécom d’avoir accès, avec certains avantages, à la gamme complète des solutions digitales proposées par la licorne wallonne, que ce soit pour gérer leurs relations clients, leurs ventes, leur comptabilité ou leurs ressources humaines. Interview croisée des deux patrons sur la genèse et les raisons de cette nouvelle alliance.
Ce qui est sûr, aujourd’hui, c’est que la plupart des PME sont inefficaces et qu’elles ne s’en rendent pas compte.”
Fabien Pinckaers (Odoo)
TRENDS-TENDANCES. Qui a eu l’idée de ce partenariat? Qui a pris contact avec l’autre?
FABIEN PINCKAERS. Ni l’un, ni l’autre (rires)! Ce sont nos collègues respectifs qui se sont retrouvés un jour et qui nous ont dit: “Il faudrait que vous vous parliez. Vous faites la même chose sur le même segment de marché que sont les PME”. Et donc, Guillaume et moi, nous nous sommes rencontrés…
GUILLAUME BOUTIN. Il n’y avait pas d’agenda précis dans ce meeting. En fait, c’est seulement lors de cette première réunion que l’on a commencé à réfléchir et à dessiner l’offre…
F.P. Et cela a été très vite! Dans cette première réunion, les grandes lignes directrices ont été définies et tout est sorti un mois et demi plus tard: l’opérationnel, le légal, la mise en place de l’offre… Tout! Au début, un tel partenariat me faisait peur. Je pensais que ça allait prendre des mois, mais cela a été très efficace.
G.B. Je dis toujours que, chez Proximus, notre gouvernance est super simple et que l’on peut aller très vite dans les décisions et dans l’exécution. Quand une idée nous séduit, on fonce. Voyez ce qu’on a fait avec Belfius, avec l’application Doktr et maintenant avec Odoo.
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Mais qui a pris le “lead”? Qui a défini les termes de l’accord?
F.P. Personne! C’est un vrai partenariat.
G.B. C’était un brainstorming, quoi! Il y en a un qui lançait une idée, l’autre la complétait, avec toujours cette volonté de faire simple. C’était vraiment l’ambition commune. Ni Proximus ni Odoo n’ont envie de se disperser dans des choses qui n’ont pas d’impact…
Concrètement, quels sont les termes de ce partenariat?
F.P. On a essayé de prendre les valeurs des deux entreprises – Proximus qui est très fort sur la connectivité et Odoo sur les applicatifs – pour offrir le meilleur au client à travers ce partenariat.
G.B. Oui, l’idée, c’est d’avoir le meilleur des deux! Moi, ce qui m’intéresse, c’est de mettre ensemble deux champions locaux dans leur domaine pour convaincre le client et lui apporter le meilleur des services. Encore une fois, on met deux énormes marques ensemble, deux leaders de marché, et ça ne peut être que gagnant-gagnant. Il s’agit plus d’un partenariat d’opportunités d’offres que de créer un système compliqué en back office ensemble. Je pense que c’est malin et que cela répond à un véritable besoin de nos clients. En nous adressant à ce marché ensemble, nous allons être bien plus forts et nous fournirons un service de bien meilleure qualité de bout en bout.
L’objectif premier de ce partenariat, c’est de booster la digitalisation des PME et des indépendants?
F.P. C’est très important pour l’économie. Ce qui est sûr, aujourd’hui, c’est que la plupart des PME sont inefficaces et qu’elles ne s’en rendent pas compte. Le travail, ce n’est pas tellement d’aller vendre des solutions, c’est d’abord un problème d’éducation et de formation. Vous avez encore beaucoup de gens qui signent leurs contrats sur papier et qui se plaignent d’avoir des problèmes de recrutement alors qu’ils n’ont pas automatisé leur sourcing. Donc, c’est vraiment un travail de sensibilisation et d’éducation. A notre échelle, ce partenariat avec Proximus va nous aider à faire passer le message et à sensibiliser les PME, non seulement au challenge de la digitalisation, mais surtout aux avantages que cela peut amener. Ce partenariat va permettre à Odoo d’avoir un reach beaucoup plus grand que ce que nous aurions pu avoir, seuls, dans notre petite ferme de Grand-Rosière (rires).
Cette digitalisation des PME, c’est presque une mission sociétale?
G.B. C’est une évidence, mais c’est un peu l’oeuf et la poule. Il faut d’abord créer les vecteurs de mise en oeuvre de cette digitalisation. Pour ça, il faut un réseau et c’est la raison pour laquelle nous avons annoncé il y a deux semaines que nous allions investir 4 milliards de plus pour amener la fibre optique à 100% dans les foyers et entreprises belges. Sans cette connectivité renforcée, c’est compliqué de faire vraiment ce trajet vers la digitalisation. Donc, grâce à ces vecteurs de mise en oeuvre, l’adoption de solutions comme Odoo va se faire. Les PME et les indépendants vont se rendre compte que d’aller vers le digital, ce n’est pas si compliqué que ça. Et nous, Proximus, nous apportons aussi une couche supplémentaire qui est très importante et qui est la sécurisation de cette transition vers le digital. C’est très important parce que, parfois, les gens ont peur d’y aller…
Fabien Pinckaers, quelles perspectives ce partenariat ouvre-t-il à Odoo?
F.P. C’est d’abord un signe de maturité pour notre entreprise. Je ne pense pas qu’on aurait pu faire un tel partenariat il y a quelques années. On peut donc déjà être fier de pouvoir travailler avec un partenaire comme Proximus…
G.B. Et réciproquement!
F.P. Nous avons beaucoup de partenariats chez Odoo, un peu plus de 4.000 je pense, mais c’est la première fois que nous avons un partenariat de cette qualité et de cette ampleur. Je le répète: c’est un signe de maturité pour notre entreprise, mais nous oeuvrons surtout pour la même chose: la digitalisation des PME qui doit se faire par la connectivité et par les outils. L’un sans l’autre ne sert pas à grand-chose. On a besoin des deux.
G.B. C’est la convergence! On a déjà connu la convergence entre le fixe et le mobile. Puis, il y a eu la convergence entre le fixe, le mobile et le divertissement dans le monde du grand public. Et là, maintenant, c’est la convergence entre la connectivité et l’IT, la convergence entre les systèmes d’information et l’accès à ces systèmes d’information via de la connectivité renforcée. C’est le mouvement naturel de nos industries qui se rejoignent. On le fait intelligemment en jouant chacun son rôle, mais en créant de la valeur ajoutée pour nos clients finaux.
On met deux énormes marques ensemble, deux leaders de marché, et ça ne peut être que gagnant- gagnant.”
Guillaume Boutin (Proximus)
Guillaume Boutin, vous semblez vouloir multiplier, ces derniers temps, des partenariats en Belgique pour créer des écosystèmes locaux…
G.B. Je suis convaincu depuis un certain nombre d’années qu’il va falloir créer des alternatives aux champions mondiaux. Ces alternatives doivent être locales. C’est la survie d’une forme d’autonomie technologique qui est en jeu. Nous devons prendre notre destin digital en main, en Europe, en Belgique, et dans tout un tas de domaines: dans les services digitaux au quotidien, dans les services aux entreprises, dans la création de clouds locaux… Pour cela, il faut la fibre optique – 9 milliards investis au total – et aussi les logiciels qui permettent d’assurer cette autonomie et cette capacité à créer de l’innovation localement. L’Europe a perdu la première bataille de l’internet mais elle reprend les choses en main. Il y a une volonté politique européenne aujourd’hui et c’est un aiguillon pour nous, acteurs locaux, de prendre notre destin en main et d’inventer des solutions locales. Il y a une reconquête à effectuer par des acteurs européens dans le monde du digital, .
C’est une forme de protectionnisme?
G.B. Avoir une vision industrielle dans le domaine du digital au niveau européen, ce n’est pas du protectionnisme, c’est une nécessité. Les Etats-Unis ont cette vision-là, l’Asie a cette vision-là et l’Europe doit l’avoir aussi. Elle doit se prendre en main et favoriser l’émergence de champions européens parce que c’est une question d’existence, à moyen terme, d’une industrie digitale forte.
F.P. C’est une question économique. Chez Odoo, on a créé plus de 2.000 emplois en quelques années. C’est important.
Comment voyez-vous le monde des télécoms et des solutions digitales à l’horizon 2030, voire 2040?
F.P. Tout est en train de changer. Vous avez encore plein de métiers qui sont “papier”, manuels, avec beaucoup d’administratif et de double encodage. Cela représente une grosse partie du tissu économique qui va devoir changer dans les quelques années qui viennent. Cela va aller plus vite que prévu parce que le télétravail a accéléré le besoin des entreprises de se digitaliser. Aujourd’hui, ce qu’on attend des outils digitaux, ce sont des outils de productivité. Ce n’est pas uniquement le core business d’achat, de vente et de gestion de stocks. Le défi, c’est que tout aille plus vite dans l’entreprise. Si on a un problème de recrutement, on peut faire du sourcing automatique. On peut faire aussi en sorte que les employés collaborent mieux entre eux, qu’ils soient davantage connectés, etc. C’est un game changer pour beaucoup d’entreprises.
G.B. Les rythmes d’évolution technologique n’ont jamais été aussi courts et cela s’accélère de plus en plus. On va avoir une transformation complète de la façon dont on conçoit les processus industriels et les processus opérationnels des entreprises grâce à l’infrastructure de connectivité. C’est un élément qui va apporter une disruption incroyable. Le challenge pour que tout cela arrive aussi rapidement qu’on l’espère, c’est que cette transition se fasse dans un monde où les gens ont confiance. Or, il y a encore un peu trop de résistance parce que les gens manquent justement de confiance dans le digital. Il y a un problème crucial lié au déploiement du digital dans un cadre sécurisé. Notre enjeu en tant qu’opérateur d’infrastructures et de services sera de redonner cette confiance.
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