L’Etat belge, représenté par la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI), s’est abstenu mercredi de voter sur la nouvelle politique de rémunération et sur le rapport de rémunération de Proximus lors de l’assemblée générale des actionnaires de l’opérateur télécom semi-public. Les deux points ont dès lors été renvoyés au conseil d’administration.
Il s’agit de la première dissension entre le gouvernement et l’entreprise depuis que la SFPI a centralisé, en mai de l’an dernier, les participations de l’Etat belge au sein de Proximus. C’était d’ailleurs la première fois que le bras financier de l’Etat belge représentait ce dernier lors d’une AG.
Juste avant le vote des différents points à l’ordre du jour, le représentant de la SFPI a lu une déclaration expliquant pourquoi l’Etat, qui détient 53,5% des parts de Proximus, s’abstiendrait d’exprimer sa voix sur le rapport de rémunération et sur la politique de rémunération. Le fonds souverain belge “reconnait qu’une structure de rémunération claire et concurrentielle est nécessaire pour attirer et retenir les talents, en particulier dans un secteur complexe et en constante évolution”, a-t-il dit. “Dans le même temps, nous estimons que la rémunération des membres du conseil d’administration ainsi que celle du CEO doivent rester proportionnées et alignées avec le contexte sociétal dans lequel l’entreprise opère, d’autant plus en raison du caractère public de son actionnariat.”
Benchmark indispensable
La SFPI a choisi de s’abstenir dans une logique de responsabilité, a encore fait savoir son porte-parole. “Nous considérons qu’un exercice de benchmark (une étude comparative entre une entreprise et la concurrence, NDLR) structuré et plus étayé, avec des entreprises comparables en taille, en secteur et en structure actionnariale, devient indispensable à une politique de rémunération crédible et défendable”, a-t-il complété.
Pour le bras financier de l’Etat belge, “certaines politiques de rémunération du passé auraient mérité une évaluation plus rigoureuse” et il n’était dès lors pas opportun d’approuver un rapport “sans disposer d’une base comparative suffisante pour évaluer de manière argumentée et transparente les rémunérations proposées”.
“La rémunération du CEO doit rester proportionnée et alignée avec le contexte sociétal dans lequel l’entreprise opère, d’autant plus que Proximus est une entreprise publique jouant un rôle essentiel dans notre société. Nous avons estimé que ce niveau de rémunération mérite donc une évaluation plus exigeante”, partage encore la SFPI.
Vers plus de transparence
Il ne s’agit pas d’un vote d’opposition aux décisions du passé, assure-t-elle, mais d’un signal en faveur d’une évolution “vers plus de transparence, de comparabilité et de rigueur également”.
Le fonds souverain n’est-il dès lors plus en accord avec les votes exprimés, ces dernières années, par les représentants de l’Etat belge au sein du CA? “Nous n’étions pas actionnaires à l’époque de la précédente décision et n’avons donc pas d’information sur le processus qui a conduit à celle-ci”, répond-on au sein du bras financier de l’Etat belge.
Il semble que ce soient davantage les décisions antérieures qui posent problème, plutôt que la volonté de Proximus de proposer, dans sa nouvelle politique de rémunération, la possibilité aux administrateurs d’obtenir une rémunération partielle via l’acquisition d’actions. L’opérateur entendait également proposer au personnel certaines possibilités d’acquérir des actions à un prix réduit (avec une décote de 16% par rapport au prix normal) afin de renforcer le lien entre le travailleur et l’entreprise. Il s’agissait d’une manière de répondre aux critiques sur le niveau du cours de l’action en Bourse, dont la direction de l’entreprise est persuadée qu’elle remontera dans les annnées à venir.
“Nous prenons acte de cette décision”
“Nous prenons acte de cette décision”, a répondu Stefaan De Clerck, le président du CA de Proximus, lors de l’AG. Les dossiers du rapport de rémunération et de la politique de rémunération sont dès lors renvoyés vers le conseil d’administration (dont le prochain est prévu le 8 mai), où une discussion sera entamée avec les actionnaires, dont la SFPI. L’objectif sera de mieux comprendre ce résultat et de proposer, lors d’une prochaine assemblée générale (sans doute extraordinaire), un rapport qui réponde aux attentes du fonds souverain.
“La SFPI assume pleinement son rôle d’actionnaire responsable: encourager une réflexion approfondie au sein du conseil d’administration, susciter un dialogue constructif sur la question des rémunérations et renforcer l’échange avec l’entreprise”, a-t-elle conclu.
Du côté de Proximus, Stefaan De Clerck s’est montré positif face à cette volonté de se concerter et d’avoir une transparence totale, avec l’ambition “d’accorder nos violons et de parler d’une seule voix”, là où le MR et la N-VA, membres de la coalition Arizona, s’étaient montrés très critiques ces derniers mois face à la stratégie de l’opérateur et au niveau du cours de Bourse de l’action.
Prolongation du mandat de président de Stefaan De Clerck
L’assemblée générale des actionnaires de Proximus a confirmé mercredi, lors de son vote, la prolongation pour maximum un an du mandat de Stefaan De Clerck comme président du conseil d’administration de l’opérateur télécom. Les actionnaires présents ont aussi accordé leur confiance aux deux nouveaux administrateurs représentant l’Etat et désignés par le MR et la N-VA.
Stefaan De Clerck (CD&V) est président du CA de Proximus depuis 2013. Son mandat actuel prenait fin ce 16 avril mais a donc été prolongé, sur proposition de l’Etat, pour un an maximum. Le conseil des ministres restreint avait en effet décidé il y a quelques jours de laisser en fonction l’ancien ministre, âgé de 73 ans, afin de ne pas compliquer la recherche d’un nouveau CEO et de miser sur la stabilité. Guillaume Boutin a annoncé début février qu’il quittait le groupe Proximus pour un poste chez le britannique Vodafone. Le patron français sera remplacé dès ce jeudi 17 avril et ad interim par Jan Van Acoleyen. Un chasseur de têtes est pour le moment à la recherche d’un nom définitif pour lui succéder à ce poste.
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Étant donné que le CEO et le président du conseil d’administration doivent avoir des rôles linguistiques différents, aucune décision définitive n’a encore été prise pour la présidence, ce qui explique la prolongation du mandat de Stefaan De Clerck pour un an maximum. Cela permet au chasseur de têtes de ne pas être lié par des exigences linguistiques dans ses recherches du nouveau patron de l’opérateur.
Critiques passées
Cette confirmation intervient alors que, jusqu’à il y a quelques semaines, la N-VA et le MR avaient fortement critiqué le conseil d’administration et la direction de Proximus quant à leur stratégie et au cours de bourse de l’action.
Au début de l’AG, Stefaan De Clerck est d’ailleurs revenu sur ces critiques. “Ce que nous avons vécu ces derniers mois a été difficile et, en ce qui me concerne, ne doit pas se répéter”, a-t-il lancé. Le président a appelé à l’établissement “d’accords clairs” et à “éviter autant que possible les commentaires publics”, dans un contexte où Proximus est une société cotée en bourse. Il n’a pas manqué de rappeler les “performances fantastiques” de l’opérateur.
“Depuis 2013, nous avons versé 5,9 milliards d’euros de dividendes, dont 3,3 milliards à l’État belge”, a-t-il illustré. “En outre, 2,1 milliards d’euros ont été payés en impôts et 3 milliards d’euros en sécurité sociale, en plus des 600 millions d’euros pour le spectre de la 5G”. Autant d’éléments démontrant, selon lui, la “grande importance de Proximus pour notre pays”.
Deux nouveaux administrateurs
S’ils n’ont pas demandé le remplacement de Stefaan De Clerck à la tête de l’entreprise, le MR et la N-VA ont en revanche désigné deux nouveaux administrateurs au sein du CA. Le parti libéral francophone a ainsi désigné le Français Franck-Philippe Georgin, “titulaire d’un parcours riche au sein de la haute fonction publique et du secteur privé”, à la place d’Ibrahim Ouassari, le fondateur et CEO de MolenGeek. L’homme, qui travaille aujourd’hui pour le Groupe Barrière, actif dans les hôtels de luxe et les casinos, n’a pas souhaité s’exprimer à l’issue de l’AG.
“Franck-Philippe a la connaissance des rouages publics et privés ainsi que l’expérience de la gestion de grands groupes. Ce seront des atouts indéniables pour Proximus qui fait face à de nombreux défis”, avait commenté Georges-Louis Bouchez, le président du MR, lors de la désignation du quadragénaire français. Il en avait alors profité pour s’en prendre une nouvelle fois à la stratégie de l’opérateur télécom. “L’État actionnaire ne peut en effet pas se satisfaire et accepter sans agir une telle dévaluation du cours de bourse et des prix pour le consommateur qui restent trop élevés ainsi qu’une stratégie peu lisible pour les investisseurs. Le rôle de Franck-Philippe sera de mettre plus de clarté dans les orientations.”
Sa nomination a été approuvée lors du vote, tout comme celle de l’échevin anversois Koen Kennis (N-VA), désigné en remplacement de Karel De Gucht (Open Vld). Ces deux nouveaux administrateurs n’ont cependant pu compter presque que sur le vote positif de l’Etat belge, là où Stefaan De Clerck a pu compter sur un soutien massif des actionnaires.