Entrepreneuriat féminin: encore et toujours des stéréotypes à surmonter
En marge du Bold Woman Award qui sera remis en octobre, Veuve Clicquot vient de publier un baromètre international de l’entrepreneuriat féminin. Pour la Belgique, cette étude indique qu’il ne progresse pas (le masculin non plus d’ailleurs) et continue à faire face à des préjugés et des barrières. Il souffre en outre d’un manque de visibilité d’entrepreneures qui ont réussi.
Veuve à 27 ans, Nicole Clicquot Ponsardin fut l’une des premières femmes à diriger une entreprise en France. Nous étions alors au 19e siècle. En 1972, pour son bicentenaire, la maison de champagne a décidé de créer un prix pour récompenser l’entrepreneuriat féminin: le Bold Woman Award. L’idée était de mettre en avant des femmes qui prennent des risques, réussissent et peuvent en inspirer d’autres à faire de même.
Il a fallu attendre 2021 pour que ce prix traverse la frontière. Après avoir récompensé Muriel Bernard (eFarmz) en 2021 et Amélie Matton (Ecosteryl) l’an dernier, le troisième Bold Woman Award belge sera décerné au mois d’octobre prochain. En attendant, Veuve Clicquot vient de publier les résultats de son Baromètre international de l’entrepreneuriat féminin. Cette troisième édition (la plus complète) a interrogé de façon statistiquement représentative des femmes et des hommes dans 25 pays du monde entier. Certain(e)s sont entrepreneur(e)s, d’autres désirent se lancer (l’étude les appelle les wantrepreneures et wantrepreneurs), d’autres n’aspirent pas du tout à relever ce genre de challenge. En Belgique, 2.016 personnes ont participé au baromètre 2023 dont 1.143 femmes. Et les résultats sont assez édifiants.
Une large majorité de femmes estiment devoir être plus autoritaires pour se faire respecter.
15% d’entrepreneures
Sans surprise, l’entrepreneuriat demeure une affaire d’hommes: ils sont 24% pour 15% de femmes.
Globalement, l’entrepreneuriat belge connaît un statu quo par rapport aux deux études précédentes (2019 et 2021). Et seules un tiers de femmes pensent à cette voie professionnelle pour quasiment la moitié des hommes interrogés. Consolation quand même, la Belgique n’est pas si mal lotie. En effet, si on étudie le gender gap de l’entrepreneuriat, le nôtre (9%) est meilleur que celui de nos voisins: Pays-Bas (17%), Royaume-Uni (13), Allemagne et France (11) et Italie (10). En Europe, seules la Grèce (7) et l’Espagne (3) font mieux. Reste qu’en Belgique, les femmes entrepreneures sont majoritairement cantonnées dans des secteurs à faible profit comme la santé et le retail. Ce dernier secteur progresse fort depuis 2021, comme d’ailleurs l’agriculture. A l’inverse, les entrepreneures actives dans la beauté diminuent. Enfin, on constate que les hommes restent ultra-majoritaires dans des secteurs comme l’IT, la construction et le trio finance- assurance-droit.
Amélie Matton, CEO d’Ecosteryl, une entreprise montoise devenue leader mondial dans le domaine du traitement et du recyclage des déchets médicaux et maman de trois enfants à 37 ans, ne comprend que trop bien pourquoi l’entrepreneuriat féminin ne progresse pas en Belgique.
“Il ne progressera pas tant qu’il n’y aura pas un congé de paternité identique à celui de maternité. C’est une source importante de discrimination qui empêche les femmes de partir sur un pied d’égalité. Quand il faut lever le pied, c’est toujours la femme qui le fait. Dans mon entourage, le nombre de femmes sorties en même temps que moi des études d’ingénieur de gestion et qui travaillent à temps plein est faible, contrairement aux hommes. Parce qu’il est difficile de revenir ensuite dans le coup. Et cela n’est pas équitable. Entre 30 et 40 ans, les femmes sont dans un âge vulnérable. J’ai eu la chance de ne pas avoir dû faire ce choix-là. Mais il est crucial de changer le moule d’un système qui n’a pas été construit à l’avantage des femmes ou dans un souci d’équité.”
Barrières plus élevées
Autre résultat édifiant: les hommes sont relativement peu conscients des obstacles que les femmes rencontrent quand elles veulent se lancer dans l’entrepreneuriat.
Ainsi, 69% des répondantes estiment que c’est plus dur pour une femme que pour un homme (50% des répondants), 46% (et seulement 23% des hommes) pensent que débuter un business est aussi plus risqué. Et la moitié d’entre elles jugent que trouver un financement est plus facile pour un homme, là ou seulement un tiers des répondants pensent la même chose. Cette espèce d’incompréhension se poursuit quand on évoque l’équilibre vie professionnelle-vie familiale.
Les femmes sont systématiquement beaucoup plus nombreuses à penser qu’il est plus compliqué pour elles d’atteindre cet équilibre et que travailler à temps plein perturbe la vie de famille. A l’inverse, les deux genres se retrouvent si c’est un homme qui travaille à plein temps comme entrepreneur: seulement un tiers des entrepreneures et des entrepreneurs estiment que cela perturbe la vie de famille…
Equité
“J’ai la chance d’être bien entourée, poursuit Amélie Matton, et mon mari travaille aussi à temps plein. Je suis issue d’une famille où l’égalité des chances est de mise depuis des générations. J’exige de l’équité et j’ai été éduquée dans l’optique de la demander. C’est cela qui m’a permis de m’imposer dans un monde industriel masculin. Mais je comprends que ce ne soit pas simple pour tout le monde. Les enfants et la famille ne sont pas un frein à l’ambition des femmes. Les mentalités belges changent lentement mais elles changent. Etre parent n’est pas une charge mais du ressourcement. Je me réserve des moments de qualité avec mes enfants, quitte à déléguer des choses qui, à mes yeux, ont moins de plus-value.”
Personnalité plus affirmée
Plus loin, une partie importante du baromètre est consacrée à la personnalité. On y apprend qu’une large majorité de femmes estiment devoir être plus autoritaires que les hommes pour se faire respecter (65%), se trouvent trop gentilles pour être prises au sérieux (65%) ou sont conscientes de devoir faire attention à la façon dont elles s’habillent pour ne pas être critiquées (69%). A l’inverse, elles ne sont qu’une petite minorité (21%) à se trouver plus populaires que leurs homologues masculins. Enfin, près de deux tiers des femmes (ils sont 46% des répondants à le penser aussi) estiment qu’une entrepreneure fait face à plus de critiques de ses employés et de ses pairs que son homologue masculin.
“Oui, essuyer des critiques, cela a été dur pour moi, confie Amélie Matton. J’évolue dans un milieu industriel masculin qui fonctionne avec un schéma hérité du passé: leader masculin, entièrement dans le contrôle, etc. Je suis dans un schéma totalement opposé, mais tout en obtenant aussi des résultats. Cela m’a demandé du temps pour le faire accepter. Le switch de management n’a pas été simple à faire passer et a engendré des doutes autour de moi. Aujourd’hui, mon côté apaisant et transparent fait du bien dans les crises à répétition que nous traversons. Et il va encore servir dans l’avenir. Je me rends bien compte que j’ai dû bosser dur pour en arriver là. Notamment en tant que femme et commerciale dans des réunions techniques. Il fallait être à la hauteur… C’est dommage, les réponses de ce baromètre. Il est triste d’en être encore là en 2023. Qu’est-ce qu’il faut faire pour sortir de ces stéréotypes qui ont la peau dure?”
Peu de modèles
Dans ce baromètre, une immense majorité de wantrepreneures (86%) se disent inspirées par des femmes qui ont réussi dans l’entrepreneuriat. Assez curieusement, par contre, elles sont une infime minorité (19%) à pouvoir nommer une compatriote. A ce petit jeu, c’est Fabienne Bister qui tire le mieux son épingle du jeu. Elle arrive dans le top 3 des modèles cités derrière Oprah Winfrey et Anne-Sophie Pic.
“Il y a, c’est vrai, peu de role models féminins, confirme Amélie Matton. Il doit y avoir 7 à 8% de femmes dans le Fortune 500. Moi, je n’en avais pas dans le monde économique. J’étais plus attirée par Jacinda Ardern, l’ex-Première ministre néo- zélandaise. Ceci dit, par rapport aux résultats, il faut quand même constater avec tristesse qu’en Wallonie, nous sommes beaucoup trop humbles. A croire qu’on n’ose pas parler des entreprises qui marchent. Il me paraît crucial de montrer nos réussites, nous les femmes entrepreneures wallonnes. Vous savez, suite à ma nomination l’an dernier au Bold Award de Veuve Clicquot, j’ai eu plus de retour en Flandre qu’en Wallonie. Etonnant, non?”
Conjoncture pour tout le monde
Enfin, le baromètre s’attarde sur des questions plus conjoncturelles. Il est ainsi rafraîchissant de constater les motivations qui, de nos jours, animent les aspirants à l’entrepreneuriat.
Arrivent en tête, loin devant: donner du sens en développant ses propres valeurs et croyances et le plaisir d’être son propre patron. La question purement financière est en perte de vitesse. C’est un reflet quasi parfait du basculement opéré globalement dans le monde du travail depuis la pandémie: les gens ont besoin de sens et de savoir que leur contribution, même comme employé, a un impact positif sur la société en général.
Enfin, et pour bien exprimer la difficulté que rencontrent les patrons de nos jours, singulièrement ceux de PME, les entrepreneures et entrepreneurs interrogés confirment massivement que l’inflation et la situation économique actuelle rendent l’entrepreneuriat plus risqué, plus compliqué, plus décourageant et plus énergivore en termes de temps et d’implication personnelle.
“La situation n’a pas changé ma perception, conclut Amélie Matton. Nous sommes dans une niche qui allie santé et environnement, des thèmes porteurs. Par contre, je sens un shift très intéressant sur la notion de succès d’une entreprise vers la maximisation de son impact. Aujourd’hui, des investisseurs me parlent moins d’Ebitda que d’objectifs environnementaux et sociétaux. Des choses pertinentes et importantes à mes yeux. C’est le fruit d’années d’effort de l’entreprise qui s’en trouve valorisée et confortée dans ses choix.”
2.016 Belges
ont participé à ce troisème baromètre international de l’entrepreneuriat féminin.
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