Entre pénurie de médicaments et le resserrement des marges, les grossistes-répartiteurs ont le blues

La visite du ministre wallon de la Santé chez Mauroy, l’entrepôt wallon de Febelco, a permis au plus important grossiste en médicaments du pays de remettre en lumière deux problèmes qui font peser des risques sur la santé belge : la pénurie de médicaments et le resserrement des marges des grossistes qui disparaissent les uns après les autres.
Récemment, lors d’une visite dans une officine indépendante, la pharmacienne, face à l’absence d’un médicament en stock, a répondu à une patiente qu’il ne sera disponible qu’en fin de journée et non pas à midi comme habituellement, le grossiste ayant réduit ses livraisons quotidiennes de trois à deux depuis quelques semaines. Cet exemple, qui, heureusement, n’a rien de dramatique illustre l’une des facettes des deux problèmes auxquels font face les grossistes-répartiteurs, soit les entreprises qui distribuent, chaque jour, des dizaines de milliers de médicaments et autres dispositifs médicaux dans l’ensemble des pharmacies du pays.
D’une part, l’indisponibilité de centaines de produits. D’autre part, la fonte, telle la neige au soleil, de leur marge, qui induit – par exemple – une réduction progressive de la fréquence des livraisons quotidiennes. En cause, une indexation, partielle mais insuffisante, qui ne permet pas d’atténuer la hausse des coûts.
De 13 à 3 grossistes !
Dans les deux cas, il y a des risques certains pour la santé des Belges. Un chiffre suffit pour comprendre l’étendue du problème. En 2013, il y avait 13 grossistes- répartiteurs en Belgique pour assurer un maillon essentiel de la santé publique. Ils ne sont plus que trois aujourd’hui dont Febelco, le seul belge. Il détient 39,03% de parts de marché devant le groupe allemand Phoenix (29,25%) et le français CERP (12,26%). Le solde correspond à la distribution propre et en circuit fermé de certains acteurs privés comme Multipharma ou Benu.
Les grossistes disparaissent donc les uns après les autres et c’est problématique si on se souvient que le réseau belge de pharmacies reste très majoritairement aux mains d’indépendants. La visite d’Yves Coppieters, le ministre wallon de la Santé (Les Engagés) aux Établissements Mauroy, l’entrepôt wallon de Febelco, a permis à Olivier Delaere, le premier CEO wallon de cette coopérative, née en 2002 de la fusion de trois grossistes flamands, d’enfoncer le clou.
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Marge inférieure à 2%
“Dans le cas de Febelco, la marge est passée en 10 ans de 13 à 7%. Sur 50% des produits que nous distribuons, elle est même inférieure à 2%. J’ai coutume de dire que cette situation équivaut à demander à un boulanger de vendre son pain au prix d’il y a 15 ans. Alors oui, la marge sur les produits de parapharmacie est plus importante mais nous subissons dans ce cas-là la concurrence de plus en plus importante des acteurs en ligne. Oui, le ministre de la Santé a concédé deux indexations : 2% en 2022 et 6,05% en 2023. Il n’y a rien eu en 2024 puisque le gouvernement se trouvait en affaires courantes. C’est loin d’être suffisant vu la hausse des coûts salariaux et énergétiques.”
Pour encore mieux comprendre les enjeux de cette marge, il faut savoir que chez Febelco, 1.200 employés participent à la livraison annuelle de 85 millions de produits à l’aide de 250 véhicules…
“Notre marge est passée en 10 ans de 13 à 7%. Sur 50% des produits que nous distribuons, elle est même inférieure à 2%.” – Olivier Delaere, CEO de Febelco
Service public

Contrairement à la France, un grossiste-répartiteur belge n’est pas rémunéré spécifiquement pour ses missions de service public. “Nous avons l’obligation légale de disposer d’un stock permanent de 30 jours, poursuit Olivier Delaere. Cela représente 250 millions d’euros chez les grossistes-répartiteurs dont 100 chez nous. Nous devons assurer un service de garde, livrer dans les 24 heures et disposer de personnel suffisant pour ces missions. En France, ils sont rémunérés spécifiquement pour cela avec des primes liées aux coûts de manutention et d’énergie. Rien de tout de cela en Belgique. Cela ne peut pas continuer. Il faut lier les marges à l’indice santé !”
À côté de lui, Yves Coppieters, bien conscient des problèmes, sourit quand on lui fait remarquer que ce n’est pas le bon ministre qui est en visite. “J’ai, à ma disposition, des outils et des espaces où je peux remonter les informations de terrain et sensibiliser l’ensemble des acteurs du secteur de la santé. Comme, par exemple, le CIM Santé publique (la conférence interministérielle des ministres belges de la Santé et du Bien-être, ndlr). En outre, je suis plus que favorable à la mise en place d’un deuxième entrepôt wallon de Febelco dans le sud de la Région. Si un tel entrepôt devait se concrétiser, enfin, dans le cadre de la pénurie des médicaments, je suis, comme Olivier Delaere, partisan d’un élargissement du stock à trois mois sur certaines références.”
Solutions pour la pénurie
Le ministre a mis le doigt sur l’autre problématique abordée la semaine dernière : l’indisponibilité de médicaments. Un phénomène qui s’aggrave pour de multiples raisons comme l’externalisation de la production (60 à 80% des principes actifs sont produits en Chine ou en Inde), le travail à flux tendu, augmentation de la demande, le contingentement et la segmentation pour des raisons financières (le prix du médicament peut être plus élevé dans un pays voisin, par exemple), etc. Ainsi, au moment d’écrire ces lignes, 789 conditionnements (7,63% du total !) étaient indisponibles en Belgique selon Pharmastatut, le site belge de référence utilisé par le secteur. Cette pénurie a d’abord un coût pour les entreprises comme Febelco.
“Cela nous coûte 16 millions d’euros par an, confie Olivier Delaere. C’est un combat de tous les jours et j’ai parfois jusqu’à 70 téléphonistes qui passent la journée à trouver des solutions pour les pharmacies et les patients. Des initiatives vont dans le bon sens, comme les arrêtés royaux sur le surcoût des médicaments indisponibles ou l’importation des médicaments critiques pour lesquels il n’y a pas d’alternative. Mais ce n’est pas assez digeste et certaines procédures sont beaucoup trop lentes. Il faudrait fournir aux grossistes et aux pharmaciens plus de possibilités d’importer et de trouver des alternatives de substitution. Vous parliez d’augmentation de la demande, c’est exact et elle est parfois purement locale avec des produits en pénurie chez nous pendant des mois, mais avec une situation moins aiguë chez nos voisins.”
Transparence totale
Pour améliorer la situation, outre augmenter certaines parties du stock stratégique pour lisser les ennuis, le patron de Febelco plaide pour une transparence totale de tous les acteurs sur le stock. “Les grossistes-répartiteurs sont les seuls à fournir cette transparence à l’Agence fédérale des médicaments, conclut Olivier Delaere. L’industrie n’est pas transparente. Or, pour anticiper, c’est essentiel que nous soyons parfaitement au courant de leurs stocks. Elle doit, en outre, respecter le prescrit légal qui impose de livrer les produits disponibles dans les trois jours. Ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, des produits annoncés comme disponibles sur Pharmastatut, 300 encore récemment, ne sont, en fait, pas livrés. Ce genre de petit jeu doit cesser.”
Une dernière solution est de faire comme la France qui vient d’annoncer le retour de la production de paracétamol (en forte pénurie pendant la pandémie, notamment sa version pédiatrique) sur son sol. Dans le secteur pharma aussi, la souveraineté européenne devient un enjeu majeur. Elle est à la base du Critical Medecines Act que la Commission a présenté ce mardi. Pour sécuriser l’accès à près de 300 molécules critiques, il est question d’un cadre légal pour permettre de financer ces retours de production, de diversifier les filières, de privilégier la sécurité d’approvisionnement plutôt que le prix et de coordonner les stocks entre Etats membres.
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