En visite chez Joris, les bonbons de notre enfance
Nous serions à la recherche de produits qui nous déstressent, qui remontent le temps et ralentissent le rythme effréné de la vie ? Pour la famille Van den Driessche, à la tête de la confiserie Joris depuis 1938, ce serait là une des explications du succès de leurs bonbons. Leurs souris, oursons et autres pastilles belgas sont nos madeleines de Proust, des vecteurs de nostalgie de l’enfance.
1. Des friandises de guerre
Joris Van den Driessche était contremaître dans une confiserie de Molenbeek quand il décide, en 1938, de créer ses propres bonbons dans la cuisine de sa mère. Il produit alors environ 50 kg par jour de chocolats, pralines, gommes et dragées, qu’il distribue à vélo dans les petits magasins bruxellois. ” La matière première s’est faite rare avec la guerre, raconte Hans, son petit-fils et actuel gérant. Joris a donc dû se spécialiser dans les gommes tendres (oursons, souris, méli-mélo) et les dures (cerises, belgas), vu qu’il était encore possible de trouver du sucre et de la gélatine. ” La spécialité Joris était née.
2. Une cuisson traditionnelle
Tout commence par le mélange des matières premières. Pour les gommes tendres, le sucre et le glucose sont ainsi ajoutés à l’eau. ” On utilise 250 kg de matière par chaudron, précise Hans Van den Driessche en évoquant ces cuves de cuivre de 1,2 m de diamètre qui contiennent la matière. La cuisson se fait en bain-marie avec de la vapeur. 30 minutes pour les gommes tendres, 60 pour les dures. Une méthode traditionnelle qui permet d’avoir une qualité constante et uniforme depuis 1938. ” D’autres entreprises travaillent en continu, par tuyaux, ce qui peut altérer le goût, compare le gérant. Voilà pourquoi on est différent, c’est comme dans le temps. “
3. Gélatine ou gomme arabique ?
La cuisson terminée, on ajoute dans le chaudron la gélatine pour les gommes tendres ou l’arabique, cette sève issue d’arbres africains (lire ” Joris met la gomme “), pour les gommes dures. ” On laisse monter et s’éclaircir la mousse qui s’est créée avant de l’enlever “, précise Hans Van den Driessche. C’est ensuite au tour de la couleur d’être ajoutée (sous forme fluide), puis à un des 50 arômes disponibles, éventuellement additionné d’acide citrique pour prononcer le goût de fruits. Complètement formée, la matière est coulée à travers le mogul, cette énorme machine de 15 m de long, dans des moules recouverts d’amidon pour chasser l’humidité.
4. Un long séchage
Les formes (souris, oursons, bouteilles de coca, etc.) sont apposées sur le mélange avant de laisser la matière se reposer. La gomme tendre est envoyée en salle de refroidissement pendant 24 h. Au total, la fabrication dure environ une semaine. Pour les gommes dures, c’est encore plus long. La gomme dure reste entre deux et cinq jours dans une étuve de 75 °C pour faire évaporer 25 % d’eau. Elle est ensuite étalée sur des grandes tables de séchage de plusieurs mètres de long, ce qui fait monter sa durée de production à environ deux semaines. ” C’est comme avec le fromage, il faut laisser le temps au temps “, plaisante Hans Van den Driessche.
5. Le dépoudrage et… la touche secrète
Vu que la mixture repose sur de l’amidon, il faut la dépoudrer, c’est-à-dire la nettoyer avec une petite brosse pour ôter les traces du glucide. Ensuite, le bonbon est huilé (souris, oursons) ou sucré (méli-mélo, mandarines). C’est lors de cette étape qu’intervient la touche magique de la famille Van den Driessche, qui garde jalousement son secret. ” On ne cache pas qu’il y a du sucre, contrairement à beaucoup d’autres producteurs, qui tentent de le dissimuler. ” Une évidence qui ne nous en apprend pas beaucoup plus sur le secret…
6. L’emballage
La peseuse-empaqueteuse appose une double fermeture. ” Le clip permet de refermer le paquet pour pouvoir manger les bonbons plus tard, glisse le confiseur. On ne veut pas pousser à la consommation, on propose du guilty pleasure (du plaisir coupable, Ndlr). ” Les sachets utilisés sont très fins et constitués d’un film cellophane et biodégradable. Tout se fait sous la propre marque Joris. ” Nous livrons nos produits nous-mêmes dans la plupart des cas. “
7. De plus en plus tourné vers l’exploit
Joris peut produire jusqu’à sept tonnes de bonbons par jour. Il les exporte ensuite dans les pays limitrophes ainsi qu’en Espagne, en Italie et en Grande-Bretagne. ” Une vingtaine de personnes travaillent pour la société, indique Hans Van den Driessche. Mais on cherche des gens pour apprendre le métier. On grandit encore à l’international car le marché belge est saturé. ” Joris, qui se vante d’avoir été le premier confiseur à lancer le goût coca en Belgique il y a une quarantaine d’années, s’est également lancé un nouveau défi : la gamme bio. ” La raison ? On est les meilleurs. Alors, pourquoi ne pas faire du bio ? “
Particularité des bonbons à gomme dure, l’arabique est une résine végétale provenant d’acacias de Kordofan, au Soudan. “C’est une gomme qui possède de nombreux avantages, certifie Hans Van den Driessche. Elle ne colle pas aux dents, est bonne pour la gorge et le transit intestinal et surtout, elle est pauvre en calories.”
A travers les produits phares de la confiserie comme les pastilles belgas, les gommes vertes ou les cerises lavées, l’arabique constitue une véritable carte de visite pour Joris. En 2017, beaucoup de confiseurs ont en effet laissé tomber la résine végétale, qu’ils ont remplacée par de l’amidon de pomme de terre. “Nos concurrents ont arrêté d’exploiter la gomme arabique il y a une trentaine d’années, notamment parce qu’elle est huit à 10 fois plus cher que l’amidon. On l’a fait aussi à une époque, mais nos clients ont directement senti la différence et se sont plaints. On est donc revenu à nos premiers amours.”
S’approvisionner au Soudan n’est pourtant pas chose aisée. La gomme arabique est récupérée par des fermiers après la saison des pluies. Mais si celle-ci n’a pas été bonne, il y aura moins de gomme. “Et il n’est pas question de faire des mélanges, se défend le confiseur belge. Les fermiers saignent l’arbre à un endroit précis pour y récupérer toute la sève.” Chaque arbre produit en moyenne 500 grammes d’arabique par an et il faut des années pour qu’il atteigne cette production. Soluble à 40 %, la gomme arabique est purifiée à son arrivée en Belgique pour en retirer les restes de sable et de bois. C’est le gouvernement soudanais qui organise le marché et l’exportation. Il y a quelques années, il avait misé sur le charbon, mais il s’est vite rendu compte que ce n’était pas bon pour l’économie et l’écologie. Il a donc relancé le marché de l’arabique. Au grand bonheur de Hans Van den Driessche qui essaie, dès lors, de “faire des stocks de guerre, ce qui n’est pas évident car la production doit suivre”, ajoute-t-il.
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