Coûts de l’énergie, pénurie de compétence, politique climatique, automatisation, protectionnisme… : l’économiste de la Banque nationale Raïsa Basselier pointe le fait que pour la première fois l’an dernier, l’emploi dans l’industrie est passée sous les 500 000 personnes.
La Banque nationale et le Bureau du Plan avaient averti voici plusieurs mois : le nombre d’emplois dans l’industrie est en baisse. Si le taux de chômage reste stable et l’économie belge en général crée encore des emplois, ce n’est plus le cas dans le secteur manufacturier. Et ceci est corroboré par une étude récente de Raïsa Basselier, économiste auprès de la Banque nationale, qui a été publiée à la fin du mois de juin dans la revue Over.Werk (une revue sur l’emploi liée à la KU Leuven) : l’industrie n’employait plus que 489.000 personnes l’an dernier, alors que les années précédentes, le secteur affichait 505 à 510.000 emplois.
Pas besoin d’aller chercher très loin : les fermetures de grandes entreprises, dans l’automobile (Van Hool, Audi) et dans le secteur textile (Balta, Beaulieu), et les procédures de licenciement collectif chez Umicore, Barry Callebaut, Agfa-Gevaert… ont lourdement pesé dans la balance.
Contexte difficile
Le contexte général dans lequel évoluent nos industries est difficile. Depuis plusieurs années, l’industrie mondiale, et plus encore celle de la zone euro, traverse une période de malaise, qui reflète une confiance en berne dans le secteur manufacturier depuis la pandémie de Covid-19, observe Raïsa Basselier. Mais s’industrie belge souffre davantage que les autres.
Chez nous, l’industrie manufacturière connaît une contraction notable depuis 2023, souligne l’économiste. La valeur ajoutée réelle de ce secteur, mesurée sur une base trimestrielle, est en recul depuis 2022 et affiche des taux de croissance négatifs depuis début 2023. La valeur ajoutée en volume de l’industrie belge dépasse à peine son niveau d’il y a dix ans, ce qui contraste avec une croissance plus soutenue dans la zone euro entre 2014 et la pandémie.
Cette faiblesse est généralisée à presque toutes les sous-branches de l’industrie belge, à l’exception notable de l’industrie pharmaceutique. Comparée aux cinq plus grandes économies de la zone euro (Allemagne, France, Italie, Espagne et Pays-Bas), la Belgique affiche des performances industrielles inférieures depuis 2019.
La barre des 500.000
Ce déclin s’explique par plusieurs facteurs, que de très nombreuses études ont déjà mis en avant , et qui pointent les coûts élevés de l’énergie, les pressions sur les coûts salariaux et une pénurie de main-d’œuvre qualifiée.
Cette tendance est préoccupante, car l’industrie reste le secteur le plus productif, avec un taux d’investissement élevé et une forte intensité en recherche et développement (R&D), souligne Raïsa Basselier.
On constate dès lors une lente et continue dégradation de l’emploi : au début des années 90, l’industrie belge employait encore 1 million de personnes. Mais l’érosion s’est accélérée ces dernières années et en 2024, donc, le nombre total de travailleurs dans le secteur est passé sous la barre symbolique des 500.000, avec l’an dernier une perte nette de 10.000 emplois, la plus forte depuis 2015.
Les trois sorcières
Cette baisse de l’emploi s’explique par un trio de facteurs : les coûts de l’énergie, le manque de main d’œuvre dans certains secteurs et l’indexation automatique des salaires qui crée un handicap de compétitivité avec nos voisins. Un handicap exacerbé encore par la force de l’euro, qui est un frein supplémentaire à la grande exportation.
Les industries à forte intensité énergétique, comme la raffinerie, la chimie ou les métaux de base, sont particulièrement touchées par la hausse des coûts de l’énergie. Encore aujourd’hui, les prix restent structurellement plus élevés en Europe où le prix du gaz est encore trois ou quatre fois plus élevé qu’aux Etats-Unis. Et contrairement à l’Allemagne ou à la France, où des mécanismes de plafonnement ou des tarifs préférentiels pour l’industrie existent, les entreprises belges paient des prix d’énergie proches des prix de marché, sans bénéficier d’exemptions significatives sur les surcharges ou les coûts de réseau.
Deuxième problème : l’indexation automatique des salaires. L’évolution des salaires a creusé un écart de compétitivité par rapport aux pays voisins, où de telles indexations sont moins systématiques. Cet écart devrait se résorber progressivement d’ici 2027, à condition de respecter le fait que selon la loi sur la compétitivité il n’y a plus de marge pour les augmentations de salaires réels. Mais d’ici là, les entreprises belges auront perdu des parts de marché et vu leurs marges rétrécir. A moins d’intensifier l’emploi des robots et des automates, ce que semblent faire un certain nombre d’entreprises du pays.
Et puis, il y a la pénurie chronique de main-d’œuvre qualifiée. Le taux de vacance d’emploi dans l’industrie manufacturière atteint environ 3 %, contre 2 % dans la zone euro. Cette pénurie est particulièrement problématique dans les industries produisant des biens d’équipement, qui exigent des compétences techniques pointues.
Esprit d’entreprendre es-tu là ?
A cela s’ajoute un double défi culturel qui touche à l’esprit d’entreprendre et à la réglementation. « Les discussions menées avec des chefs d’entreprise dans le cadre des enquêtes de la Banque nationale) révèlent des plaintes concernant des procédures d’autorisation prolongées, une réglementation incohérente, des charges administratives excessives et des coûts de conformité importants, observe Raïsa Basselier. Bien que la réglementation des marchés de produits se soit améliorée au fil des ans, elle reste en Belgique plus stricte que la moyenne européenne et de l’OCDE ». Et puis il y a l’esprit d’entreprendre, qui ne semble pas être assez présent. Le dynamisme du tissu entrepreneurial est insuffisant, avec un manque de « destruction créatrice » et une faible mobilité de la main-d’œuvre, ajoute Raïsa Basselier.
Deux remarques personnelles pour conclure. La première est que les montants dégagés dans les plans européens et belges visant à renforcer la défense et les infrastructures pourraient partiellement inverser la tendance, si notre pays choisit les bons projets d’investissement et donne aux industriels les bons incitants. Les entreprises aéronautiques et de défense sont par exemple en train d’embaucher, ou cherchent à le faire et prévoient des plans d’investissement.
Et puis une dernière remarque : la définition statistique du secteur industriel est peut-être un peu trop étroite aujourd’hui, et cache une série d’entreprises qui offrent de nouveaux services aux industries et qui, elles, se portent bien. Si on élargissait la notion d’industrie à ces secteurs, on aurait peut-être une image moins négative.