La question est évidemment provocatrice. Mais elle repose sur une réelle lame de fond : dans un marché du travail qui évolue à une vitesse supersonique, le nombre d’indépendants ne cesse d’augmenter, avec une croissance annuelle de 3%. Parmi ceux-ci, les freelances explosent à un rythme plus important encore, de l’ordre de 5% par an. Par freelance, on entend ces travailleurs qui offrent aux entreprises leurs services dans le domaine de la consultance, des RH, du marketing, de l’IT, etc. Septante-deux pour cent d’entre eux sont des “salariés déçus” qui ont choisi volontairement ce statut.
Une enquête récente d’UCM permet de cerner davantage leurs motivations : outre le fait de se sentir prêt à faire valoir (financièrement, aussi) une compétence acquise au fil du temps, il y a un désir d’autonomie dans la méthode de travail pour 64% des 230 personnes interrogées et une volonté de flexibilité dans les horaires et les lieux pour 56%. La diversité des missions ou l’absence de hiérarchie sont également évoqués.
“Les gens votent avec leurs pieds” : lors des événements ayant mené à la chute du mur de Berlin, voici plus de 30 ans, cette expression faisait florès. Autrement dit, en quittant leur pays, ils manifestaient leur désapprobation d’un système oppressif. La comparaison vaut ce qu’elle vaut, mais il apparaît bien de nos jours que ces freelances abandonnent le salariat après avoir testé les limites du système économique.
Les témoignages que nous avons recueillis vont dans ce sens. “J’ai choisi la liberté plutôt que la résignation”, dit Pierre, conseiller en RH. “Je ne vends plus mon temps, je vends mon expertise et, surtout, je peux choisir des projets avec lesquels je me sens alignée”, souligne Anaïs, active dans la communication. “Revenir au salariat ? Ce n’est plus une option que j’envisage”, dit Gabrielle, qui travaille depuis Ibiza. Des exceptions ? De moins en moins…
Attention à ne pas vendre du rêve à bon compte. Souvent, des accidents de la vie ont mené à cela : un burn-out, une restructuration d’entreprise, l’incapacité à se couler dans le moule d’un travail fixe… Dans bien des cas, ce statut peut mener à une précarisation rampante. Sur LinkedIn, des profils se vantent d’être CEO d’eux-mêmes, sans que l’activité ne soit toujours à la hauteur de la prétention. Cette évolution vers le statut d’indépendant est moins risquée qu’avant, notamment en raison d’un statut social amélioré, mais elle doit être accompagnée en termes de gestion. L’arrivée sur le marché du travail de dizaines de milliers d’exclus du chômage nécessitera un suivi encore plus attentif, prévient UCM.
Parmi les réformes adoptées par le gouvernement De Wever, la flexibilisation du travail salarié est également encouragée. “Nous posons les bases d’un marché du travail moderne, attractif et résolument tourné vers l’avenir”, vante le ministre en charge, David Clarinval. Les heures supplémentaires sont facilitées, le travail de nuit simplifié, les réglementations assouplies… De quoi améliorer la compétitivité des entreprises, mais aussi de permettre aux travailleurs de mieux concilier vie privée et vie professionnelle. Là aussi, l’agilité prime.
Entre le rêve d’une vie à Ibiza et la galère d’un parcours cumulant les petits boulots, les réalités sont évidemment très différentes. Mais cette lame de fond est bel et bien une source d’énergie pour l’économie. “Si la croissance nette du nombre de PME reste positive chaque année, c’est dû à la création de ces entreprises d’une personne”, dit-on chez UCM. Un mouvement à cerner mieux, pour l’encourager sans le mythifier.