Economie-écologie: le difficile équilibre
Les récents accords politiques sur le développement de Liege Airport ou la boucle du Hainaut tentent de concilier les enjeux environnementaux et économiques. Un exercice toujours délicat et qui freine la réindustrialisation de la Wallonie.
Benoît Mat installe des éoliennes, François Hanton recycle les batteries au plomb et Pierre-François Bareel redonne une nouvelle vie aux métaux. Tous trois mènent des activités en phase avec cette fameuse transition vers une économie durable et circulaire. Tous trois se heurtent néanmoins à de multiples freins, provenant tantôt de rigidités administratives, tantôt de recours citoyens. La palme revient sans doute à Benoît Mat qui a une demande de permis d’installation d’éoliennes à Esplechin (Tournai), en bordure de la frontière française, en souffrance depuis… 2009. “Une seule personne peut bloquer un projet pendant des années, soupire le CEO de Ventis, entreprise qu’il a fondée en 2002 avec son frère Pierre. Il y a des arguments rationnels comme les phénomènes d’ombre mouvante ou l’impact sur la faune et la flore. Mais aussi des éléments beaucoup plus subjectifs comme l’impact paysager.” Ces freins n’ont pas empêché la PME d’équiper 70 champs éoliens (dont 20 en France) et d’avoir une trentaine de projets en cours.
Cela n’a aucun sens de nous comparer aux usines qui travaillaient le plomb il y a plus d’un siècle.” – FRANÇOIS HANTON (ENVIROLEAD)
“Les gens ont peur mais ils ne s’informent pas, ils n’écoutent pas nos explications”, concède, un brin désespéré, François Hanton. Directeur commercial du groupe Envirolead, il porte le projet d’implantation d’une usine de recyclage de batteries acide/plomb à Ghlin. Elle permettrait de récupérer le plomb de quelque 120.000 à 140.000 tonnes de batteries par an (provenant de véhicules, d’élévateurs, de pylônes GSM, etc.), en vue de réutiliser le métal dans l’industrie européenne. A la clé, la création de 140 emplois dans une zone qui a en bien besoin. Refusé en première instance, le projet a été validé en novembre dernier par le gouvernement wallon. Les riverains ont cependant introduit un recours devant le Conseil d’Etat. Ils s’inquiètent de l’impact potentiel du plomb mais aussi de la taille de l’usine (20.000 m2). Cela devient la quadrature du cercle pour les entrepreneurs: plus les normes environnementales sont contraignantes, plus elles impliquent des investissements conséquents (en l’occurrence: station d’épuration, filtration des cheminées, etc.), plus il faut augmenter le gabarit des installations pour amortir les coûts et plus on risque d’effrayer les riverains.
ECUEIL N°1: Les vieux clichés sur l’industrie
“L’usine que nous projetons de construire devra respecter les normes les plus strictes en termes de rejets, assure François Hanton. C’est toujours comme cela pour le dernier arrivé, il doit se plier à des réglementations qui durcissent au fil des ans. Cela a un coût pour nous mais c’est aussi un argument commercial: nous aurons l’usine de recyclage de batteries la plus moderne d’Europe. Cela n’a donc aucun sens de la comparer à des usines qui travaillaient le plomb il y a plus d’un siècle. En outre, il y a 20 ans, le plomb était encore dans toutes nos canalisations. Ce n’est pas comme si nous débarquions avec un produit inconnu.”
En d’autres termes, ce n’est pas parce que notre développement industriel a causé de graves dégâts environnementaux que les nouvelles usines répéteront les erreurs du passé. “Quand on parle de réindustrialisation, il y a, je pense, quelque chose de mal compris, analyse Cécile Neven, experte Energie et Environnement à l’Union wallonne des entreprises (UWE). Beaucoup ont à l’esprit les images des usines du début du 20e siècle. Or, industrie, aujourd’hui, ça ne veut pas dire pollution mais innovations et solutions. Des entreprises comme Ecosteryl, Comet ou Aerospacelab nous amènent les solutions dont nous avons besoin.” Envirolead ambitionne bien de se positionner dans cette catégorie d’entreprises.
Ce n’est pas un permis unique, mais un permis d’environnement. Seule la composante environnementale est prise en considération.” – PIERRE-FRANÇOIS BAREEL (GROUPE COMET)
Les porteurs de projet, comme François Hanton, ont parfois l’impression de devoir se battre contre d’irréductibles opposants. Pierre-François Bareel, CEO du groupe Comet, actif dans le recyclage des métaux, reste néanmoins convaincu de l’importance du dialogue avec les riverains. “Les recours des riverains, c’est le processus démocratique, je n’ai aucun problème avec ça, concède-t-il. L’entreprise doit leur présenter son projet, l’expliquer, dialoguer. Quand on a bien travaillé en amont, généralement, ça se passe bien. Chez Comet, nous avons mis en place des comités d’accompagnement bien avant que ce soit obligatoire.”
ECUEIL N°2: Les silos de l’administration
Pour Pierre-François Bareel, les difficultés surgissent surtout dans le traitement administratif des dossiers. Il cite l’exemple d’une récente demande de permis de Comet pour laquelle… 19 instances ont dû se positionner: Cellule Seveso, Voies navigables, Agence wallonne de l’air et de climat, Office wallon des déchets… tout le monde a dû transmettre un avis. Non seulement, cela prend du temps mais, surtout, chacune de ces instances analyse le dossier à travers son prisme spécifique, sans guère de concertation entre elles. Ce mode de fonctionnement en silos augmente sans doute la proportion d’avis négatifs (personne ne fait la balance entre les différents impacts), ce qui incitera ensuite la commune (qui délivre le permis) ou le gouvernement (l’instance de recours) à la plus grande prudence. “On parle de permis unique, résume Pierre-François Bareel, mais il s’agit en fait d’un permis d’environnement. Seule la composante environnementale est prise en considération par l’administration. Il faudrait en revenir à un permis d’exploitation ou un permis d’industrialisation prenant en compte les différents enjeux.”
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“Il n’est en outre pas toujours simple de faire le lien entre la réalité industrielle future et la lecture d’un dossier sur papier, ajoute François Hanton (Envirolead). On nous demande parfois des informations que nous ne connaîtrons avec précision qu’en cours de chantier. Cela peut conduire à des situations assez ubuesques. Cela dit, par rapport à la France ou au Royaume-Uni, le permis unique permet de mieux définir les projets en amont et d’avoir toutes les autorisations avant de commencer. Cela me semble intelligent.”
La balance des intérêts, c’est a priori le rôle du politique. Et c’est bien ce rôle que Pierre-François Bareel veut lui faire jouer en l’impliquant dès le dépôt des dossiers et non plus uniquement en recours, du moins en ce qui concerne les gros permis structurants. Il ne s’agit pas de contourner l’administration mais d’en concentrer les moyens sur une mission de rappel de la réglementation et d’analyse technique des impacts d’une activité. L’avis serait du ressort d’une instance transversale, impliquant le pouvoir politique. “Le gouvernement fait des choix stratégiques, en misant par exemple sur l’économie circulaire, poursuit-il. Je vois le travail de ces bras armés de la Wallonie comme l’Awex qui va chercher des entreprises à l’international, le SPW qui peut débloquer des subsides, Wallonie-Entreprendre qui va financer les projets. Mais derrière, quand ces industriels décident effectivement de s’implanter, il y a un accompagnement qu’ils n’ont pas: les démarches pour l’obtention du permis.” Pierre-François Bareel redoute un fameux goulot d’étranglement administratif dans les prochaines années quand les premiers permis uniques, d’une durée de 20 ans, arriveront à échéance et qu’il faudra les renouveler. C’est le cas notamment des deux principaux sites du groupe Comet à Châtelet et à Obourg, qui concernent 400 travailleurs.
Les 17 objectifs de développement durable sont conciliables, j’en vois des exemples dans les parcs d’activité économique.” – CÉCILE NEVEN (UWE)
Les intercommunales gestionnaires des parcs d’activité économique assument généralement ce travail d’accompagnement, cette guidance des entreprises dans le dédale administratif wallon. “C’est évidemment notre rôle, confirme Renaud Moens, directeur d’Igretec (Pays de Charleroi). Nous accompagnons les entreprises, y compris dans les rencontres avec les citoyens et les études d’incidence. Nous voulons éviter les situations où l’entreprise n’obtient pas de permis pour produire sur le terrain que nous lui avons vendu. Nous sommes une sorte d’intersection entre l’administration et les entreprises.”
La balance des intérêts
“On devrait cesser l’opposition économie et environnement, estime Cécile Neven (UWE). On se braque à l’occasion sur quelques dossiers emblématiques mais je peux vous assurer que les 17 objectifs de développement durable sont conciliables, j’en vois des exemples dans tous les parcs d’activité économique. Mais parfois, au lieu de chercher des solutions, on scrute toutes les failles d’un dossier, l’oubli d’un délai ou d’un document. Evidemment qu’il faut respecter les procédures et consulter le public. Mais les discours trop clivants laissent forcément des traces négatives.” Pierre-François Bareel est convaincu que replacer l’arbitrage dans le champ politique pour laisser l’administration sur sa mission technique de base contribuerait à cet apaisement. “Il faut donner à l’administration les moyens d’accompagner les porteurs de projet, dit-il. Nous voyons trop souvent des refus pour cause de dossiers incomplets. Je trouve cela incorrect vis-à-vis de personnes qui ont travaillé des mois pour les monter. On peut appeler l’entreprise et poser des questions, au lieu de bêtement refuser le permis. Pour mériter l’appellation de ‘service public’, il faut être au service des usagers.”
“Cette balance entre les intérêts, c’est toute l’histoire de notre vie, abonde Sylvie Meekers, directrice de Canopea, qui fédère de nombreuses associations environnementales. Nous sommes aussi parfois partagés entre des enjeux de biodiversité, d’énergie renouvelable, de réindustrialisation ou autres. Des discussions sur la balance entre ces enjeux, nous en avons tous les jours! Ce fut par exemple un peu compliqué de nous positionner sur la boucle du Hainaut. Il faut bien entendu préserver la biodiversité et les intérêts des riverains mais il y a aussi la nécessité d’une circulation de l’électricité venue des éoliennes offshore.”
Et si Canopea est bien consciente de certains enjeux industriels, Sylvie Meekers se réjouit de voir que le monde économique est, de son côté, de plus en plus conscient de la pertinence des enjeux environnementaux. Elle cite l’exemple de l’industrie cimentière qui a sollicité Canopea pour sa stratégie de décabornation. “Cette activité génère des poussières, du bruit et est une grosse émettrice de CO2, dit la directrice de Canopea. Mais elle n’est pas facilement délocalisable et exploite l’une
des richesses de notre sous-sol. Nous pouvons avoir une discussion ouverte, en tenant compte des différents aspects.” Plus prosaïquement, afficher une stratégie économique tenant compte de la durabilité est un atout décisif pour attirer les beaux profils parmi les jeunes diplômés.
“Un projet industriel ne doit pas nuire à l’environnement, cela me paraît logique, conclut Renaud Moens (Igretec). Mais les grands projets doivent aller plus loin: la population demandera – et nous aussi! – des garanties sur l’impact global, sur la production d’énergie du site (réseau de chaleur, panneaux solaires, etc.), sur sa gestion des déchets et l’intégration dans une économie circulaire. Cette maîtrise de la durabilité globale est devenue cruciale pour l’acceptabilité des projets industriels.” Et elle facilitera certainement l’octroi des permis.
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