Eaux minérales: quelles sont les conséquences du “watergate” qui secoue Nestlé Waters ?
Nestlé Waters (Perrier, Vittel, Hépar, Contrex) aurait trompé ses clients en vendant de l’eau minérale qui n’en est pas. Voici ce que l’on sait sur ce scandale, alors qu’une enquête pour tromperie a été ouverte en France et que la Suisse semble elle aussi touchée.
Une enquête préliminaire pour tromperie a été ouverte cette semaine en France à l’encontre du numéro un mondial de l’eau minérale Nestlé Waters, soupçonné d’avoir eu recours à des traitements illégaux pour purifier ses eaux minérales. Les pratiques de désinfection concerneraient un tiers des marques d’eaux minérales en France. Des extraits d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), publiés par Radio France et Le Monde, établissent en effet que “30% des marques françaises ont recours à des traitements non conformes pour continuer à vendre de l’eau initialement impropre à la consommation”.
Quel est le problème ?
Rappelons avant tout que cette crise n’a rien de sanitaire. L’eau embouteillée est propre à la consommation. Le problème est que cette eau porte le nom d’eau minérale, avec les prix qui vont avec. Ou comme le précise très concrètement Nadine Orivelle de Bortoli, responsable locale de l’association de consommateurs UFC Que Choisir, “vendre de l’eau 200 fois plus cher que l’eau du robinet alors qu’elle subit elle aussi des traitements, c’est complètement illégal”.
Il ne s’agit pas non plus d’accusation sans fondements puisque, suite à l’enquête de Radio France et Le Monde, Nestlé a bel et bien reconnu que pour certaines de ses eaux comme Perrier ou Vittel elle a recouru à des traitements d’ultraviolets et de filtres au charbon actif. Soit une pratique courante dans le cas de l’eau du robinet, mais interdite pour les eaux minérales naturelles dans l’Union européenne. Car c’est justement l’une des caractéristiques essentielles que la réglementation retient pour qu’une eau puisse se qualifier de minérale ou de source: ne pas recourir à des dispositifs de désinfection.
Il existe trois types d’eaux embouteillées dans les commerces. Il y a les eaux rendues potables par traitement, mais elles sont peu commercialisées chez nous. Les plus nombreuses dans les supermarchés sont les eaux minérales naturelles et les eaux de source. Ce sont exclusivement des eaux d’origine souterraine et qui doivent surtout être naturellement saines d’un point de vue microbiologique. Autrement dit, elles ne doivent nécessiter aucun traitement de désinfection pour être dénuées de bactéries dangereuses pour la santé. Les seules techniques de filtration autorisées dans les installations d’embouteillage de ces eaux sont celles qui permettent de protéger les pompes et les électrovannes des particules solides nuisibles. Pour éviter que ces dispositifs de filtration soient détournés pour servir à désinfecter l’eau, il est donc imposé que leur “seuil de capture” dépasse 8 microgrammes : trop gros pour attraper les bactéries comme Escherichia coli, qui mesure un demi-microgramme.
La différence entre une eau minérale naturelle comme Evian et Vittel et une eau de source, comme la Cristaline, n’est donc pas dans la latitude laissée dans les traitements, mais réside dans la composition en éléments minéraux des premières, tels le magnésium ou le calcium. Dans le cas des eaux minérales, cette composition doit être stable, ce qui permet aux industriels d’en faire un élément de publicité, comme les eaux sulfatées et leur effet laxatif.
Faire passer ces eaux pour de l’eau de source ou minérale alors qu’elles ont été traitées n’est donc rien d’autre que des “pratiques déloyales”. “Le consommateur se tourne vers une eau pour des propriétés spécifiques” et finalement se retrouve à “payer un prix pour des propriétés qui n’existe pas .Un « un acte tromperie du consommateur” estime pour sa part Rebecca Eggenberger, responsable de l’alimentation au sein de la Fédération romande des consommateurs en Suisse.
Quelles suites ?
L’image de Nestlé était déjà écornée par le scandale des pizzas Buitoni contaminées. Si cette affaire n’entraîne, rappelons-le, aucun risque sanitaire, elle pourrait mettre encore plus à mal la confiance des consommateurs envers les marques concernées.
L’impact pour les résultats du groupe Nestlé devrait par contre rester marginal. Et la vraie question sera surtout de savoir si Nestlé voudra encore garder ces eaux en bouteille. Il n’est en effet pas exclu que Nestlé se désengage totalement de cette activité à moyen terme. Nestlé a déjà nettement réduit sa présence dans l’eau en bouteille, les marges dans cette activité n’ayant cessé de diminuer. L’eau en bouteille fait aussi régulièrement l’objet de critiques notamment sur le plastique et l’accès à l’eau, comme en Californie, où les autorités – inquiètes de la sécheresse – lui ont interdit en 2021 de poursuivre ses activités dans la région de San Bernardino. Le groupe a donc élagué son portefeuille, cédant notamment des marques au Canada et en Chine avant d’annoncer en 2021 la vente de ses marques locales aux Etats-Unis pour 4,3 milliards de dollars (3,9 milliards d’euros) pour n’y conserver que ses grandes marques internationales les plus rentables.
Si Nestlé ferme l’exploitation de certains sites comme ceux dans les Vosges (Contrex, Vittel, Hépar) et dans le Gard (Perrier), c’est plusieurs milliers d’emplois qui risquent d’être perdus.
Tournée minérale
La question se pose d’autant plus qu’il n’y a pas que la France qui est concernée. En Suisse aussi, Nestlé a eu recours à des procédés de désinfection interdits pour l’eau en bouteille avec sa marque locale Henniez. Le groupe a confirmé ce jeudi que “ces efforts d’adaptation” ont amené “l’entreprise à mettre en place des mesures de protection non conformes au cadre réglementaire pour les eaux minérales aussi en Suisse”. Rachetée par Nestlé en 2008, la marque Henniez est issue de sources connues depuis l’Antiquité et tire son nom d’un citoyen romain appelé Ennius. Une première usine d’embouteillage avait été créée dans cette station thermale en 1905 par la Société des bains et eaux d’Henniez.
En guise de conclusion on notera surtout que cette pratique semble un problème de secteur. L’enquête du Monde et de Radio France vise également le groupe Alma, qui produit une trentaine de marques d’eaux en bouteilles en France dont Cristaline, Saint-Yorre et Vichy Célestins.
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