Easi prête à s’émanciper de son fondateur

Thomas Van Eeckhout et Jean-François Herremans. Les CEO d’Easi ne voient pas leur groupe dépasser les 1.000 personnes en Belgique et au Luxembourg.
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Vingt-cinq ans après sa création par Salvatore Curaba, le groupe informatique nivellois se prépare à ouvrir son capital. L’ancien CEO pourrait être poussé à céder tout ou partie de ses parts. Objectif : trouver un partenaire capable d’accompagner l’expansion internationale d’Easi.

Toute entreprise finit un jour ou l’autre par devoir s’émanciper de son créateur. C’est peut-être le moment pour Easi, la société nivelloise fondée il y a 25 ans par Salvatore Curaba. Elle vient, en effet, d’admettre qu’elle envisage de nouvelles options pour son capital, impliquant la cession partielle des parts de son fondateur. Une étape qui marquerait à la fois la fin d’une ère pour Curaba et le début d’un nouveau chapitre pour l’entreprise.

S’il a été écrit que Salvatore Curaba, toujours actionnaire à hauteur de 40% du groupe informatique, ambitionnait de sortir du capital d’Easi pour d’autres projets, il n’en est rien. “Je n’ai aujourd’hui aucun autre projet et ne suis pas à la vente pour Easi”, se défend l’entrepreneur, également devenu président du club de foot de La Louvière. Pour lui, vendre ses parts n’a pas d’intérêt immédiat, les actions continuant à prendre énormément de valeur au vu de la croissance du groupe. Mais il admet que rester éternellement actionnaire n’est pas compatible avec le futur de l’entreprise. “Mon objectif a toujours été que les employés rachètent toutes les actions. Mais si l’on veut franchir un cap européen, il faut s’associer”, reconnaît-il.

Et c’est d’ailleurs une demande de la direction d’Easi aujourd’hui… dans l’intérêt de la boîte. Jean-François Herremans et Thomas Van Eeckhout – auxquels Salvatore Curaba lui-même a remis les rênes de la société – veulent activement préparer le futur en cherchant un partenaire extérieur. “Dans la configuration actuelle d’Easi, avec notre ADN et notre activité, on sait que l’on va encore pouvoir un peu grandir en Belgique. Mais dans les trois à cinq ans, on sait que la vraie croissance passera inévitablement par l’international, en Europe”, explique Jean-François Herremans.

En pleine croissance

Depuis 2019, Easi est en croissance. Quand le duo est arrivé à la tête de l’entreprise, cette dernière générait 50 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 2,3 millions de bénéfice net. Et comptait 259 collaborateurs. L’objectif affiché, dès le départ, était de doubler les effectifs d’ici 2025. Un pari plus que réussi puisqu’aujourd’hui, 600 personnes travaillent pour Easi, majoritairement en Belgique et au Luxembourg. Pour y arriver, la boîte, qui se positionne désormais comme le partenaire IT principal (logiciel, hardware, cloud, sécurité, etc.) du “upper mid market“, s’est renforcée en Flandre, où elle n’était pas assez présente. Avoir un duo de CEO francophone et néerlandophone n’a visiblement pas été inutile.

Mais la firme a aussi réalisé une série d’acquisitions. Treize sociétés ont été rachetées ces dernières années, dont Switchpoint dans la sécurité et PIT dans la data. Une stratégie de croissance par acquisitions pour s’installer sur de nouvelles expertises (data, cybersécurité, etc.). Une manière de procéder qui, de l’aveu des CEO, a permis au groupe informatique de dépasser ses objectifs de croissance.

Un pays trop étroit

Désormais, Easi continue d’afficher une santé solide et une belle taille : 110 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024, projection de 120 à 130 millions en 2025, avec un Ebitda de 20 à 25 millions. Mais ses dirigeants le reconnaissent : à terme, la Belgique pourrait devenir trop étroite malgré le boum des sujets technologiques comme la cybersécurité ou l’IA. Easi continuera à grandir en Belgique sur ce secteur, mais la croissance risquerait de se tasser après 2026. Le groupe dispose d’un plan stratégique pour arriver à 750 personnes d’ici 2026. Mais la croissance sur notre marché pourrait ne plus être aussi importante une fois ce pallier atteint.

Surtout que le groupe a refusé de se lancer massivement dans le bodyshopping, un modèle qui pousse à mettre ses employés au service et dans les murs des clients. Cela gonfle certes les effectifs et l’activité, mais pour Jean-François Herremans, “ce n’est pas dans l’ADN du groupe”. “C’est un métier dans lequel il y a moins d’attachement entre l’employé et l’employeur, glisse-t-il. Or, nous mettons un point d’honneur à maintenir une culture d’entreprise forte.” De fait, Easi compte, depuis plusieurs années, parmi les entreprises lauréates du prix “Best workplace” en Belgique.

Jusqu’ici trop frileux à l’international

Du coup, les CEO d’Easi ne voient pas leur groupe dépasser les 1.000 personnes en Belgique et au Luxembourg. Dès lors, l’international est plus que jamais d’actualité pour eux. Mais l’international, Easi l’a déjà expérimenté et sans grand succès. Des incursions en Suisse ou au Canada ont été tentées par le passé, au travers de filiales ou de boîtes rachetées. Mais ces initiatives n’ont pas donné les résultats escomptés et ces marchés sont à l’arrêt pour Easi.

“On était trop frileux dans les montants engagés et trop petit pour que cela devienne intéressant”, concèdent les deux CEO. Les leçons sont claires : s’attaquer à l’étranger suppose d’acquérir des structures significatives, de 100 à 200 personnes, et d’investir des montants bien plus importants. “Les moyens ne doivent plus nous faire peur”, nous glissaient-ils déjà en début d’année. Leur réflexion du moment pour un nouvel actionnaire confirme cette volonté de sortir sérieusement de la Belgique dans les années à venir.

Les plans sont clairs, mais rien n’est encore sur le tapis. “On prépare l’avenir”, tempère Jean-François Herremans. Et voilà pourquoi la manne de 40% d’actions détenues par Salvatore Curaba, devenu inactif au sein de l’entreprise, est désormais en jeu. Leur vente permettrait au groupe informatique d’accueillir ce partenaire de choix pour aider Easi à s’installer ailleurs en Europe. Et l’ancien CEO, toujours en excellent terme avec la direction d’Easi, ne s’y opposerait pas. “J’ai aussi le sentiment que l’on va plafonner avec Easi dans le modèle actuel”, reconnaît Salvatore Curaba, qui affirme “se mettre au service de l’entreprise”.

“J’ai aussi le sentiment que l’on va plafonner avec Easi dans le modèle actuel.” – Salvatore Curaba, ancien CEO

Pas un partenaire industriel

Pour franchir ce cap, Easi a mandaté Kumulus Partners afin de sonder le marché et identifier le profil adéquat. Le choix se porte vers un investisseur financier impliqué, capable d’apporter expérience et connexions, mais certainement pas un industriel qui imposerait sa logique, ni un family office trop passif. “Aujourd’hui, Easi ne cherche pas seulement de l’argent, insiste le co-CEO francophone. Nous cherchons le bon partenaire, celui qui peut nous aider à trouver les bonnes cibles, à monter les dossiers et à nous introduire sur de nouveaux marchés.”

“ Tout le monde croit dans la croissance d’Easi et veut continuer à participer pleinement à l’aventure. ” – Jean-François Herremans, co-CEO d’Easi

Le processus n’est pas du tout avancé. Et toutes les options sont possibles, même s’il est fort probable que l’ancien fondateur conserve une partie de ses actions, de manière à continuer à profiter de la croissance de la valorisation d’Easi. Certains pourraient aussi s’interroger quant à l’impact d’une telle opération sur la dynamique de l’actionnariat salarié cher à Salvatore Curaba et à la direction d’Easi. En effet, depuis des années, l’ex-CEO revend des actions aux employés et ils sont plus de 150 à en être actionnaires. Bien sûr, les actions sont de plus en plus chères et parfois difficiles à racheter. Certains n’acquérant, aujourd’hui, plus que des parts très réduites de l’entreprise.

Ce qui est clair, c’est que la direction tient à ce mécanisme et ne compte pas y toucher. Cela participerait à l’ADN d’Easi et à sa culture d’entreprise. Est-ce que certains profiteront de la recherche d’un nouvel actionnaire pour revendre une partie de leurs actions et réaliser une plus-value ? “Ce n’est pas la dynamique, répond Jean-François Herremans. Tout le monde croit dans la croissance d’Easi et veut continuer à participer pleinement à l’aventure.”

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