Durabilité: B Corp, le bon label
Le point commun entre Danone Belgique, producteur de yoghourt à Rotselaar, et la banque privée genevoise Lombard Odier ? Le label B Corp, qui consacre l’appartenance au club des entreprises soucieuses de durabilité. Une initiative atypique.
Environnement, attitude sociétale, gouvernance : il existe de nombreux labels jaugeant les fameux critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), en particulier pour les fonds de placement proposés aux investisseurs.
Fort rares sont, par contre, les initiatives lancées par des entrepreneurs souhaitant fédérer des confrères autour de ces valeurs. Tel est le cas de B Corp, sorte de club fondé en 2006 à Philadelphie. L’initiative a deux visages : B Corp est le certificat, tandis que B Lab est le certificateur.
B Lab, dont le bureau européen se trouve à Genève, est une ASBL financée par des dons et des sponsors, au premier rang desquels figure la Rockefeller Foundation. La philosophie de B Corp peut se résumer par plusieurs expressions. Comme celle-ci : ” les entreprises cherchent, via leur modèle économique, non pas à être les meilleures au monde, mais bien les meilleures pour le monde “. Ou encore : ” un capitalisme patient et positif “, suivant les termes d’Antoine Lemarchand, président du groupe français Nature et Découvertes. On notera aussi la formule ” utiliser le monde des affaires comme une force pour l’intérêt général “, car elle souligne que ne sont labellisées que des sociétés commerciales (ou coopératives) axées sur le profit.
Un aspect essentiel de la démarche B Corp : l’obligation d’inscrire ses nobles pensées dans les statuts de l’entreprise.
En accès libre sur Internet, un imposant questionnaire permet à une entreprise de se tester et de poser sa candidature. Le score moyen des quelque 400.000 sociétés ayant accompli la démarche est d’à peine 50,9/200, alors qu’il faut 80 points pour obtenir le précieux sésame. Les points s’accumulent dans cinq domaines : gouvernance, travailleurs, communauté, environnement et clients. Le club rassemble aujourd’hui quelque 2.800 membres dans 60 pays.
Après un an de formalités…
Le label B Corp est-il crédible et quel en est l’intérêt ? Pour Nathalie Guillaume, directrice des relations externes de Danone Belgique, ” la démarche de B Corp est la plus holistique en termes de développement durable et la plus indépendante “. ” Le questionnaire servant de base à l’audit et à la certification est complètement en ligne avec les 17 s ustainable development goals fixés par les Nations unies en 2015, ajoute-t-elle. D’autres certifications, comme celle de fair trade, ne portent que sur une partie de ces objectifs. ”
Danone Dairy Belgique a obtenu le label en septembre 2019. L’entreprise développe une activité commerciale, mais aussi industrielle, à Rotselaar, près de Louvain. Le site est spécialisé dans les yoghourts à boire, dont l’Actimel, qui y fut mis au point en 1994. Souvent citée par les gestionnaires de fonds parmi les multinationales à la sensibilité durable, Danone vise la certification B Corp pour l’ensemble du groupe. C’est un des neuf objectifs de la vision One Planet One Health à l’horizon 2030, précise Nathalie Guillaume. Une vingtaine de sites du groupe bénéficient actuellement du label B Corp, ce qui représente environ 30 % du chiffre d’affaires. Celui de Rotselaar, ” obtenu après un an de formalités “, le doit notamment à une électricité 100 % renouvelable et au recyclage de 97 % des déchets, ainsi qu’au bénévolat encouragé auprès du personnel et aux trois semaines supplémentaires de congé de maternité. L’entreprise met également en avant le système de stabilisation des prix du lait auquel peuvent adhérer les agriculteurs. Pour autant, il n’est toutefois pas question de prix minimum garanti, pas plus ici qu’ailleurs. Seule la coopérative Fairbel s’y est engagée en Belgique.
Le choix des fournisseurs
Autre entreprise belge labellisée, une PME cette fois : la bruxelloise Kazidomi, qui vend sur Internet des ” produits sains “, essentiellement bios, avec réduction de prix. Elle occupe aujourd’hui 35 personnes. Pourquoi avoir adhéré à B Corp ? ” Notre but est de démocratiser l’achat de produits sains, répond Emna Everard, cofondatrice et CEO. Ceci passe par la confiance des clients et le label B Corp y contribue puisqu’il concrétise notre adhésion à une série de valeurs fortes, au niveau des produits comme des fournisseurs et des collaborateurs. ” Si le score communauté est donc fort bon, c’est dans le domaine de l’environnement que Kazidomi a obtenu le plus de points. Explication : l’existence de panneaux solaires, l’utilisation de matériaux durables lors de la construction des nouveaux locaux, des consommations en eau et électricité très maîtrisées, etc. L’adhésion à B Corp n’est pas très coûteuse mais elle impose d’importantes formalités, observe la CEO.
La société a-t-elle dû corriger certains points pour obtenir le label ? ” En ce qui concerne le personnel, la diversité était parfaite, au niveau du genre comme au niveau culturel. Nous avons par contre dû compléter les dispositions en faveur des femmes enceintes, par exemple en matière de droits et de congés. Sur un tout autre plan, nous avons rayé certains fournisseurs en raison d’un score insuffisant dans certains domaines. ”
A inscrire dans les statuts !
Autre Belge (mais en Suisse, où il réside) labellisé : Benoît Greindl. Il a lancé Montagne Alternative. Ce nom désigne un hôtel et centre de séminaire créé en sauvant de la ruine un petit village perdu en montagne.
Pourquoi cette démarche ? ” Ma conviction est que si on ne réforme pas le capitalisme, il risque de sombrer comme les autres ‘ismes’. Appuyons donc cette réconciliation entre sens et profit “, répond ce compatriote ayant précédemment fondé des entreprises en Belgique et en Chine. Il met l’accent sur un aspect essentiel de la démarche B Corp : l’obligation d’inscrire ses nobles pensées dans les statuts de l’entreprise. Ce qui passerait pour sympathique chez nous est essentiel aux Etats-Unis, pointe-t-il, pour se mettre à l’abri de toute poursuite prenant prétexte de la non maximisation du profit de l’actionnaire. C’est à ce titre que les B Corp américains choisissent volontiers le statut de benefit corporation, aujourd’hui reconnu dans la plupart des Etats américains.
De la bière à la banque
Quelques noms familiers parmi les affiliés B Corp : les jus Innocent, la banque Triodos, les vêtements de loisirs Patagonia (avec le score époustouflant de 151,5 points), les cosmétiques brésiliens de Natura, ou encore les crèmes glacées Ben & Jerry’s. Cette dernière entreprise est, depuis 2000, filiale du néerlandais Unilever qui, comme Danone, vise à terme le label B Corp pour l’ensemble du groupe.
Retenons encore deux cas singuliers. Le premier est à trouver parmi les sociétés américaines arborant l’insigne B Corp : New Belgian Brewing, une brasserie établie dans le Colorado. Les fondateurs en eurent l’idée après un voyage à vélo en Belgique, affirment-ils. D’où ces Belgian-inspired beers avec des flacons étiquetés La Folie ou Abbey Ale. Son fort joli score de 136,5 points s’explique en partie par le fait que la brasserie est, depuis 2012, détenue à 100 % par le personnel.
Le second est remarquable à un tout autre titre, il s’agit de la banque privée genevoise Lombard Odier. Un banquier ! Qui l’eût cru ? Fondé en 1796 et exclusivement tourné vers la gestion d’actifs, ce groupe familial a obtenu le label en mars de l’an dernier. ” Il y a trois ans, nous avons décidé d’intégrer la durabilité à l’ensemble de nos processus d’investissement car nous sommes convaincus que les investissements durables dégageront de meilleurs rendements de portefeuille à moyen terme “, a déclaré Patrick Odier, associé-gérant senior de la maison. Il n’est pas interdit d’adhérer à une bonne cause en espérant du même coup améliorer ses performances…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici