Delhaize : “Tous les supermarchés classiques ont des problèmes d’organisation”
Delhaize doit faire face à des turbulences sociales alors que la direction met la pression pour réaliser des économies et accroître l’efficacité de ses 128 magasins intégrés. Et cela ne surprend pas Gino Van Ossel, expert en commerce de détail à la Vlerick Management School: “Ahold Delhaize a tout simplement placé la barre très haut pour toutes les chaînes de magasins et tous les processus du groupe”.
Delhaize a annoncé la résiliation de la convention collective de travail (CCT) relative à l’organisation de ses magasins : “Nous avons besoin d’une organisation plus efficace”, avait précisé la chaîne de supermarchés. Frans Muller, le CEO d’Ahold Delhaize, a fait part au quotidien Le Soir « d’un besoin d’alléger la structure de coûts et l’organisation de Delhaize, car ce dernier manque de performance ».
Cela sera donc le début d’un dialogue social difficile. La Setca n’exclut pas qu’il puisse y avoir des actions de la part de ses affiliés. Pour la CGSLB, la nouvelle de la résiliation unilatérale de la CCT a fait l’effet “d’une bombe” expliquait Wilson Wellens, secrétaire du syndicat libéral à l’agence Belga. “Cela signifiera le début d’une nouvelle période agitée chez Delhaize et provoquera beaucoup d’incertitudes et d’inquiétudes parmi le personnel”, prédit-il encore. Quant au permanent CNE, Manuel Gonzalez, il confiait au Soir être « partant pour se remettre au plus vite autour de la table avec la direction pour réfléchir à une nouvelle organisation ». Tout en avertissant qu’il faudra « faire bien plus attention à l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle des salariés en améliorant la préparation des horaires. Les travailleurs sont fatigués. L’absentéisme a augmenté. L’organisation actuelle du travail, qui a coûté très cher en formations et en primes, n’a pas porté ses fruits. »
Peu d’influence
Pour Gino Van Ossel, expert en commerce de détail à la Vlerick Management School, cette résiliation illustre bien le fait que Delhaize Belgique a relativement peu d’influence dans le groupe international.
“Avant la fusion avec Ahold, en 2016, Delhaize avait déjà apporté plusieurs changements à l’organisation de ses magasins en Belgique. La différence est que désormais Delhaize Belgique fait partie d’un groupe international, dont le centre de décision est à l’étranger. Ces dernières années, sous la bannière Ahold, Delhaize a également montré une forte résilience et commercialement, elle a marqué des points. Mais depuis le siège hollandais, ils regardent toujours le résultat financier final. Bien sûr, ils connaissent la situation spécifique de la Belgique, à savoir que les salaires ont augmenté de 10 %, par exemple, en raison de l’indexation automatique. Mais Ahold Delhaize compare toujours Delhaize Belgique avec le reste du groupe. Et en termes de rentabilité et de productivité, la Belgique ne sort pas vainqueur de cette comparaison.”
Le CEO d’Ahold Delhaize, Frans Muller souhaite que Delhaize Belgique soit plus efficace et plus flexible en interne dans la gestion de ses magasins.
GINO VAN OSSEL. “Tous les supermarchés classiques se débattent avec leur organisation. Et qu’ont en commun Delhaize, Cora, Match, Louis Delhaize et Carrefour ? Ils existent depuis longtemps, avec une façon de travailler ancrée dans l’organisation et les syndicats y occupent une position clé. Il est donc très difficile pour ces entreprises de changer radicalement. Par exemple, ces supermarchés classiques traînent encore des parties de leur ancienne organisation du travail. Avant, il y avait vraiment un clivage entre les caissier.ère.s et le personnel qui remplissait les rayons. Et puis il y avait des conventions collectives relativement coûteuses, comprenant des primes pour les heures travaillées avant 9 heures et après 18 heures. Le fait qu’une caissière intervienne rapidement pour remplir les rayons pendant les heures creuses et donc moins couteuses de la journée peut considérablement augmenter la productivité. C’est cette multifonctionnalité que Delhaize doit maintenant renforcer dans les 128 grands supermarchés qu’il gère lui-même.”
“Je ne pense vraiment pas que les gens vont être licenciés dans ces magasins, je pense que la première chose envisagée cela sera de réduire ou de fusionner certaines fonctions. »
Un sentiment qui semble confirmé par les déclarations faites sur le site du Soir. On peut en effet y lire que « A ce stade, aucun emploi n’est menacé dans les 128 magasins intégrés de l’enseigne détenue par Ahold Delhaize, même si la maison-mère néerlandaise souhaite un allégement des coûts. » De même, la direction de Delhaize y confirme que durant les prochains mois « rien ne changera pour les collaborateurs et pour les clients ».
« Cela sera un processus difficile, reprend Gino Van Ossel, et je comprends parfaitement que les syndicats soient méfiants. Mais il est logique que la direction veuille plus d’efficacité, les conditions du marché sont très difficiles actuellement. Et socialement, ce n’est pas une mauvaise chose non plus. Nous connaissons une énorme pénurie de main-d’œuvre. Makro a récemment fait faillite, mais on dit que la plupart des employés ont déjà trouvé un nouveau travail.”
Un scénario à la Proximus
Le siège de Delhaize Belgium devrait également réaliser des économies supplémentaires.
VAN OSSEL. “Ahold Delhaize cherche toutes sortes de moyens pour compenser cela. Il a également de très bons antécédents en matière de réductions des coûts. Il va continuer à négocier durement avec ses fournisseurs et à chercher des moyens d’économiser sur sa propre organisation. L’informatique, par exemple, est davantage centralisée et contrôlée depuis les Pays-Bas. Ahold et Delhaize étaient auparavant des groupes distincts avec des systèmes informatiques séparés. Simplifier cela est une économie en soi. Peut-être que des fonctions seront perdues en Belgique… Mais je prévois plus un scénario à la Proximus pour le siège belge ici. Chez Proximus aussi, beaucoup de fonctions ont disparu, mais en même temps, de nouveaux profils ont été ajoutés.”
Le problème de Delhaize n’est-il pas aussi que Albert Heijn Belgium est florissant et moins critiqué en interne ?
VAN OSSEL . “Albert Heijn, avec son positionnement autour des prix bas, est mieux loti en ces temps de crise. Pour Delhaize, en tant que supermarché de « services », les conditions ne sont pas idéales. Mais par ailleurs, il est difficile de comparer les deux chaînes. Delhaize compte beaucoup d’employés plus âgés, en raison de sa longue expérience en Belgique. Albert Heijn n’existe que depuis 10 ans en Belgique. La plupart de ses employés sont donc plus jeunes et donc moins chers. Albert Heijn a également des magasins plus récents que Delhaize. Encore une fois parce que, par rapport à Delhaize, dont les racines remontent au 19e siècle, Albert Heijn vient seulement de se lancer.”
“Un autre point important est qu’en Belgique, la majorité des Albert Heijns sont des magasins franchisés, gérés par des indépendants. C’est un modèle moins coûteux. Ils ont également un siège en Belgique, mais particulièrement petit, et la logistique est organisée presque exclusivement depuis les Pays-Bas. En outre, Albert Heijn est très doué pour gérer efficacement les petits supermarchés. En Belgique, on a longtemps privilégié les grands supermarchés à la périphérie des villes, tandis que les Néerlandais ont toujours travaillé avec des petits supermarchés de quartier. Albert Heijn offre un choix énorme sur une petite surface et parvient à ne jamais être en rupture de stock. Il dispose d’un système automatisé pour commander les produits, avec des livraisons quotidiennes.”
Pouvoir décisionnel
Delhaize devrait collaborer davantage avec Albert Heijn, selon son CEO. Le pouvoir décisionnel est-il en train de se déplacer vers les Pays-Bas ?
VAN OSSEL. “Chez Ahold Delhaize, tout est une question d’efficacité et de valeur ajoutée. Par exemple, Ahold n’a plus qu’une seule torréfaction en Europe et elle se trouve aux Pays-Bas. Donc celui de Delhaize a été fermé, c’est resté un peu sous le radar. En même temps, tous les vins mis en bouteille chez Delhaize pour Albert Heijn ainsi que toute l’expertise vinicole est rassemblée ici, en Belgique, pour tout le groupe. Ce très bel investissement, et ce coup de pouce pour Delhaize, est l’illustration de la pure logique commerciale à laquelle il doit obéir. Ahold Delhaize a tout simplement placé la barre très haut pour toutes les chaînes de magasins et tous les processus du groupe. Encore une fois, les grands supermarchés de Delhaize ont une bonne formule. Mais en matière d’efficacité, ils doivent maintenant aussi atteindre des objectifs plus élevés. Et cela se justifie certainement par les temps qui courent.”
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