Décès de l’homme d’affaires français Bernard Tapie
Le site du quotidien La Provence annonce le décès de l’homme d’affaires Bernard Tapie. Il sera inhumé à Marseille, “sa ville de coeur”.
Sa famille a informé le journal de cette disparition via un communiqué:
“Dominique Tapie et ses enfants ont l’infinie douleur de faire part du décès de son mari et de leur père, Bernard Tapie, ce dimanche 3 octobre à 8 h 40 à l’âge de 78 ans, des suites d’un cancer. Il est parti paisiblement, entouré de sa femme, ses enfants, ses petits-enfants et son frère, présents à son chevet. Il a fait part de son souhait d’être inhumé à Marseille, sa ville de coeur.”
Lire le portrait du Vif : Les sept vies de Bernard Tapie
Le président français Emmanuel Macron et son épouse Brigitte se sont dits “touchés” dimanche par ce décès
“Cet homme qui avait une combativité à déplacer les montagnes et à décrocher la lune ne déposait jamais les armes, et livra bataille contre le cancer jusqu’à ses derniers instants”, ajoute un communiqué de l’Elysée. Brigitte Macron a encore vu cette semaine cette figure marquante de l’histoire politique, économique et sociétale de la France, comme l’a indiqué son entourage à l’AFP.
Dans le communiqué de l’Elysée, le couple présidentiel rend hommage à un homme qui “aura eu mille vies”. “Homme d’affaires et homme politique, grande figure du sport, de la culture et des médias, Bernard Tapie s’est éteint aujourd’hui. Porté aux nues par les uns, voué aux gémonies par les autres, il dérangeait autant qu’il fascinait, parce qu’il enjambait toutes les barrières sur le chemin de sa réussite”, dit le communiqué.
Retraçant le “destin hors du commun” du “hâbleur, charismatique, séduisant Bernard Tapie”, le communiqué rappelle aussi qu’à “la légende dorée se mêlèrent les ombres d’une chronique judiciaire: des procès perdus, de lourdes condamnations – des décisions qu’il aura contestées toute sa vie”.
Hommage de l’Omympique de Marseille à son ancien président
Le club de football de l’Olympique de Marseille a réagi dimanche au décès de son ancien président qui mena le club, entre avril 1986 et décembre 1994, vers les plus hauts sommets nationaux et européens notamment grâce à l’entraîneur belge Raymond Goethals.
L’OM “a appris avec une profonde tristesse la disparition de Bernard Tapie. Il laissera un grand vide dans le coeur des Marseillais et demeurera à jamais dans la légende du club”.
Le président actuel du club Frank McCourt a lui aussi tenu à réagir : “Je tiens à saluer Bernard Tapie, un homme au courage remarquable et à la vitalité impressionnante, dont la présidence a marqué l’histoire de l’OM, inscrivant le club dans la légende européenne.”
Il y a trois ans jour pour jour,Trends Tendances invitait Bernard Tapie à Liège pour une interview croisée avec François Fornieri. Affaibli par un cancer de l’estomac, Bernard Tapie n’avait rien perdu de sa gouaille ni de sa superbe. L’homme d’affaires français et le patron de la société pharmaceutique Mithra, nous offraient alors une rencontre singulière où l’amitié, la foi et le business s’invitent en filigrane, que nous republions aujourd’hui à l’annonce de la disparition du businessman français.
Il a tout fait ou presque. Chanteur de variété, ingénieur, chef d’entreprise, animateur d’émissions télé, président de l’Olympique de Marseille, ministre de la Ville sous Mitterrand, député européen, acteur, écrivain, etc. Le curriculum vitae de Bernard Tapie est impressionnant. A 75 ans, l’homme s’est toutefois fait plus discret ces derniers mois, rongé par un cancer qui lui a “bouffé les deux tiers de l’estomac”, comme il dit. Mais “Nanard” n’est pas du genre à se laisser démonter. L’entrepreneur est un battant et il affiche toujours un aplomb spectaculaire, malgré la maladie.
Invité la semaine dernière par le cercle d’affaires B19 Liège-Bocholtz pour y donner une conférence, Bernard Tapie a accepté notre proposition d’une interview croisée avec un autre homme d’affaires qu’il connaît bien : François Fornieri, fondateur et CEO de la société pharmaceutique liégeoise Mithra dont la capitalisation boursière dépasse aujourd’hui le milliard d’euros. Morceaux choisis
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TRENDS-TENDANCES. Quand et comment vous êtes-vous rencontrés ?
FRANÇOIS FORNIERI. La première fois que nous nous sommes vus, c’était par l’intermédiaire de Luciano D’Onofrio (l’ancien agent de joueurs devenu vice-président et directeur technique du Royal Antwerp Football Club, Ndlr) qui est un ami commun et qui m’a invité à le joindre pour rendre visite à Bernard il y a deux ou trois ans. J’étais le pote de son pote et je suis devenu son pote !
BERNARD TAPIE. Je m’en souviens. C’était dans un contexte de vacances. Il n’y avait pas d’autres intérêts en jeu.
F.F. Tu étais en famille et, pour moi, c’était très fort parce que, à mes yeux, l’amitié et la famille sont les éléments fondamentaux d’une vie. En tout cas, de la mienne. J’ai retrouvé chez Luciano et chez Bernard le même état d’esprit.
B.T. Les éléments qui vous font apprécier les hommes sont évidemment indissociables de ce que vous êtes vous-même. Un voyou aime les voyous, un mec sérieux aime les mecs sérieux et il y a quelques personnages qui échappent à cette règle. Ce sont ceux qui n’ont jamais d’a priori sur rien… et c’est notre cas à tous les deux. Parce que si on s’en tient à l’a priori, c’est forcément bon chez François : il a son palmarès, il a une gueule de Don Juan, il est sympa, il a réussi dans la vie… Oui, mais derrière ? Hé bien, derrière, c’est encore mieux !
Monsieur Fornieri, par le prisme des affaires et de leur médiatisation, vous aviez tout de même un a priori sur Bernard Tapie, non ?
F.F. Je n’ai pas non plus d’a priori et la presse ne m’influence pas. Mon ami Luciano D’Onofrio m’avait prévenu : “Tu n’imagines pas à quel point Bernard est une personne loyale et fidèle. Quand il a un projet, il va jusqu’au bout”. Donc, je n’avais pas d’a priori, mais grâce à Luciano, je partais avec l’idée que j’allais rencontrer un être bon, loyal, qui respecte ses amitiés et ses partenaires. Et cela s’est vérifié. Bernard est quelqu’un d’extrêmement attachant. Il a tout connu. C’est un personnage que tout le monde rêve de rencontrer. Il a vraiment tout fait et ce n’est pas encore fini.
B.T. Les épreuves que je traverse m’amènent encore plus qu’avant à être très sélectif. Il y a des gens qui vous touchent et qui sont très utiles à votre survie. Parce que c’est le langage du coeur qui vous aide, ce n’est pas le langage tout fait. Ce langage du coeur, je le reçois aussi bien d’une petite mémé qui m’écrit qu’elle me soutient et qu’elle m’aime, que du stade Vélodrome à Marseille où tous les gens en folie gueulent “Tapie, Tapie, Tapie !”. Je suis aussi plus sensible qu’avant, ce qui me permet de moins me tromper.
Vous avez tous les deux grandi avec un père ouvrier. Dans quelle mesure cette dimension sociale a-t-elle façonné votre esprit d’entreprendre ?
B.T. Avant d’être fils de riche, fils d’ouvrier ou fils d’artiste, on est d’abord fils, point barre. Alors, bien sûr, il y en a pour qui cela est un handicap terrible tout simplement parce qu’ils subissent leur condition humaine : je suis né fils d’ouvrier, je n’ai pas beaucoup de moyens, je n’ai pas droit à la parole, je dois le respect à tout le monde et ce n’est pas réciproque… Alors, soit je m’enferme dans cette coquille-là et, éventuellement, je manifeste, je gueule et je fais de la politique dans un parti ouvrier, soit je fais autre chose parce que cette condition-là est justement un ressort terrible et que l’injustice de la vie est trop grande. Et quand je parle d’injustice de la vie, je ne parle pas du gars qui gueule parce qu’il a une petite Renault et que l’autre a une Porsche. Non, ça, on s’en fout ! Moi, je parle de la vraie injustice, celle qui fait qu’on n’a pas droit à la parole. Mon père lisait L’Humanité et il a voté communiste toute sa vie. Or, il ne savait pas qui était Karl Marx et il ne m’a jamais vendu la lutte des classes. C’était un homme extraordinaire mais on ne lui accordait aucun respect. L’exemple qui m’était offert, c’était celui-là. Mon cerveau était façonné par cette manière de faire, mais j’ai dit à mon cerveau : “Ça, c’est fini ! Je ne serai plus d’accord avec toi. Oublie !”. Bref, pour revenir à votre question, la nature humaine est telle que ce ne sont pas vos origines qui sont un handicap ou un avantage. C’est ce que vous êtes, vous ! Parfois, on me dit : “Putain, Jean-Claude Killy, il a du bol de grandir à Val d’Isère parce que, autrement, il n’aurait jamais été champion olympique de ski !”. Non, mais il aurait peut-être été un Zinedine Zidane ou un Louis Pasteur ! C’était au fond de lui !
F.F. Il y a un mot qui me plaît beaucoup dans ce que tu viens dire, c’est le mot respect. C’est fondamental dans la vie.
B.T. Bien sûr !
F.F. Mon père aussi était un ouvrier, mais nous n’avons pas, toi et moi, tout à fait le même parcours puisque je suis d’origine italienne, né en Belgique. J’ai connu des périodes où les immigrés italiens étaient des “ciccios” qui venaient manger le pain des Belges et qui étaient interdits de discothèque parce qu’ils venaient voler les filles…
Vous en avez souffert ?
F.F. Evidemment ! Parce que, même si je suis né Belge, j’ai un nom italien. Cela dit, ma grand-mère était gouvernante chez les Van Damme, l’une des plus grandes fortunes de Belgique. Et de temps en temps, elle m’invitait au château pour ramasser les balles d’Alexandre quand il jouait au tennis ou quand il jouait au golf. Nous avons le même âge, je l’ai revu la semaine dernière et nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Alexandre Van Damme est aujour-d’hui l’homme le plus riche de Belgique et probablement l’une des 10 plus grandes fortunes d’Europe. Il s’est souvenu de tout et il m’a dit : “Qu’est-ce que tu me scotches ! Tu es parti de rien et tu as réussi ! Alors que moi, j’ai quatre ou cinq générations derrière moi.” Je lui répondu qu’il avait quand même réussi à faire de Jupiler le groupe AB InBev et il m’a dit : “Oui, c’est vrai, mais j’étais bien entouré, alors que toi, tu n’avais rien. Je sais d’où tu viens et je veux t’écouter !”. Donc, voilà, c’est ça, le respect…
J’en reviens à ma question initiale : le fait que vos pères respectifs aient été ouvriers vous a-t-il donné l’envie d’entreprendre et de transmettre cette envie aux autres ?
B.T. J’ai commencé à être connu non pas parce que j’étais entrepreneur, mais parce que je faisais des émissions à la télé qui donnaient le goût d’entreprendre. Moi, cela ne me plaisait pas d’être seulement entrepreneur. J’avais envie de partager cela avec le plus grand nombre et il ne se passe pas un jour que le Bon Dieu fait – j’insiste, pas un jour – sans que je reçoive, par courrier ou par contact direct, un mot ou un témoignage qui dit : “Bernard, c’est en regardant votre émission Ambitions dans les années 1980 que je suis devenu ce que je suis”. Au-delà de tout ça, il y a deux voies possibles et il faut savoir à laquelle vous donnez votre priorité : il y a réussir dans la vie et il y a réussir sa vie. C’est très différent et moi, ma priorité, c’est de réussir ma vie. Alors, d’un côté, j’ai connu la gloire, j’ai fait de la politique, j’ai vécu la taule… Mais je m’en bats les couilles ! Moi, ma vie, c’est 42 ans avec la même femme, mes quatre enfants, mes neuf petits-enfants et un arrière-petit-enfant.
F.F. C’est là qu’on se retrouve. C’est magnifique et c’est ce que j’aime chez Bernard.
B.T. Et j’ajoute qu’on a tous habité ensemble pendant 30 ans ! Le reste, c’est du vent.
Mais les épreuves, les procès, la prison… Ce n’est pas accessoire, tout de même !
B.T. Quelles épreuves ? Quand je suis entré en prison, tous les mecs ont frappé leur gamelle contre les barreaux en criant “Tapie, Tapie, Tapie !”. Exactement comme ce match à Marseille où les supporters ont scandé mon nom pendant un quart d’heure. Même chose lorsque 10.000 personnes à Saint-Malo ont gueulé “Tapie, Tapie, Tapie !” quand j’ai battu le record de la traversée de l’Atlantique. Alors, bien sûr, en prison, j’ai été privé de liberté et d’un certain confort, mais j’étais plus heureux que ceux qui ont fait leur micmac pour que j’y aille.
F.F. Je pense que nous sommes, Bernard et moi, des êtres paisibles et respectueux. Cela n’empêche pas qu’on ne se laisse pas marcher sur les pieds et qu’on peut être parfois plus ou moins agressifs, mais fondamentalement nous sommes restés simples. Mon père m’a toujours inculqué qu’il ne fallait jamais juger d’emblée, qu’il fallait se faire ses propres opinions et voir aussi le côté positif de la vie. C’est le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.
B.T. Il y a cependant une énorme part de chance derrière chaque réussite. De temps en temps, le hasard choisit pour vous et il choisit bien. Celui qui vous dit qu’il a fait un parcours fabuleux sans avoir de bol, il ment. Il y a un paramètre inévitable qui est votre part de chance.
F.F. Il faut avoir la baraka !
B.T. C’est tellement vrai que lorsque j’étais chez Adidas et qu’un mec venait me voir pour un boulot en disant qu’il n’avait jamais de bol, je l’envoyais chez Nike ! (François Fornieri éclate de rire) Donc, il y a une part de chance énorme, mais ce qui fait la différence entre les hommes, c’est de savoir si on est capable de la saisir ou pas. (En mimant énergiquement le geste) Tac, tu sautes dessus ! Mais il y a aussi beaucoup de gens qui laissent passer cette chance parce que, la plupart du temps, ils sont figés par leur pronostic de réussite. Un pronostic de réussite sérieux – je dirais même normal – ne va jamais au-delà de 50 %. Certains disent : je fonce ! Mais la plupart reculent…
F.F. Moi, dans ma situation, j’ai dû les saisir toutes parce que je n’avais rien. Aujourd’hui, l’entreprise Mithra est là où elle est parce que j’ai été boulimique et que j’ai saisi toutes les opportunités qui se sont présentées.
B.T. Si vous demandez à un spécialiste de la procréation, il vous dira qu’à chaque éjaculation, ce sont plusieurs dizaines de millions de spermatozoïdes qui sortent de vos couilles. Donc, quand un gars me dit qu’il n’a pas de chance, j’ai juste envie de le gifler car les probabilités de son existence sont de une sur environ 100 millions ! En fait, il y a beaucoup plus de probabilité qu’il gagne au Lotto ! Bref, de quoi parle-t-on ? De la chance d’exister !
Mais vous vous dites parfois que “c’est écrit” ? Monsieur Tapie, je sais que vous êtes croyant…
B.T. Oui, mais pas pour ça ! Ce n’est pas la prière qui va nous faire gagner la Coupe d’Europe ! Moi, cela ne m’a jamais servi en ce sens que ce n’est pas un des paramètres que j’inclus dans mon parcours.
Votre croyance est plutôt de l’ordre de l’intime…
Personnellement, je suis convaincu qu’il y a une force divine et j’en ai 10.000 preuves. Mais c’est très compliqué de faire croire à quelqu’un qui ne croit pas, au même titre que de définir l’amour à quelqu’un qui n’a jamais connu l’amour. Cela ne s’explique pas.
Aujourd’hui, votre foi participe-t-elle à votre équilibre ?
B.T. L’équilibre est indissociable de toutes vos cartes. Ces cartes, ça peut être ma petite-fille, ça peut être un copain et ça peut être ma croyance. Elles sont là, toutes ensemble. Je veux dire par là que ma croyance n’est pas un refuge, ce refuge certain où l’on va à chaque fois que l’on en a besoin. Moi, je n’exige rien et je n’attends rien. Mais je suis prêt à donner parce que cela vous procure, quelque part, une espèce de devoir inconscient qui est d’être utile. Tout le monde se pose la question : suis-je utile ? Et là, moi, je n’ai pas besoin de vous répondre car je suis sûr d’être utile.
Vous vous sentez aussi utile, François Fornieri ?
F.F. Chez Mithra, nous sommes en train de développer et de finaliser des produits qui vont être demain, je l’espère, des blockbusters, c’est-à-dire des produits qui peuvent faire chacun un milliard de chiffre d’affaires. Cela veut dire que des centaines de millions de femmes vont pouvoir utiliser cette molécule qui est une vraie révolution dans le domaine de la santé, que ce soit la contraception, la ménopause, la migraine, le cancer du sein… Donc, oui, nous sommes utiles.
Bernard Tapie, quand vous regardez derrière vous, quel est votre meilleur souvenir en tant qu’entrepreneur ?
B.T. C’est la création de mes écoles de formation des jeunes chômeurs dans les années 1980. J’en ai sorti 14.000 qui étaient sans emploi, sans formation et j’ai financé tout seul l’ensemble de ces écoles – il y en avait sept – jusqu’au moment où ils les ont fermées quand ils m’ont envoyé en taule. Car ça, ça les faisait vraiment chier !
F.F. Politiquement, tu pouvais fragiliser un président. Moi, ce que je retiens surtout comme leçon, c’est qu’il ne faut jamais faire de la politique quand on est un homme d’affaires. Je le pensais depuis longtemps et là, j’en suis convaincu. On le voit avec Bernard qui a fini par faire de la prison et on l’a encore vu dernièrement avec Stéphane Moreau (le CEO de Nethys, Ndlr) qui en a fait les frais. La politique et les affaires, ça ne fait pas bon ménage. Moi, je ne ferai jamais de politique. Ce n’est pas mon métier.
Le CEO d’Ice-Watch Jean-Pierre Lutgen ne devrait donc pas se pré- senter aux prochaines communales à Bastogne ?
F.F. Il fait une erreur car il n’y connaît rien. Attention, j’apprécie beaucoup Jean-Pierre. Vraiment. C’est quelqu’un d’authentique et de sincère. Donc, il est entré en politique sans doute par conviction. Il est courageux, c’est son côté entrepreneur, il y croit dur comme fer et je pense que ce n’est pas une action menée contre son frère. Mais je suis malgré tout persuadé que cela peut porter préjudice à sa marque. A un moment donné, il faut choisir : c’est la politique ou les affaires. Pas les deux.
Messieurs, pourriez-vous imaginer faire un jour des affaires ensemble ?
F.F. Oui.
B.T. Bien évidemment. Mais pas pour l’instant. Cela dit, nous sommes dans un domaine qui nous rapproche par l’intermédiaire d’une activité que j’exerce aujourd’hui (Bernard Tapie est actionnaire majoritaire du groupe de presse La Provence, Ndlr) et dans laquelle François a une position importante (François Fornieri est administrateur du groupe Nethys qui possède 11 % des actions du groupe La Provence, Ndlr). On s’est souvent parlé sur nos différentes manières de concevoir l’existence et, quand on est dans le média, on a la chance d’être dans un métier qui permet l’expression. Que fait-on de cette expression ? On peut en faire un parti pris, un mensonge, une dénonciation… On en fait ce qu’on en veut ! Mais aujourd’hui, quand un homme de plus de 50 ans meurt, c’est un lecteur, un auditeur et un téléspectateur qui meurt. Et quand un bébé naît, ce n’est pas un futur lecteur, ni un futur auditeur, ni un futur téléspectateur qui naît. C’est quelqu’un qui vit dans le contenu et qui témoigne dans le contenu.
Vous insinuez que vous pourriez offrir de nouvelles solutions business dans le secteur des médias ?
B.T. Il y a toujours un business à exploiter. Le business a commencé dès que le premier mec a eu l’idée de mettre un enclos autour des moutons qui étaient en liberté. Chacun a ce qu’il a à faire devant les événements qui lui sont offerts.
Si je vous comprends bien, vous réfléchissez à cela ensemble ?
B.T. Non, on n’en a pas encore vraiment parlé.
F.F. En tout cas, nous sommes assez proches dans la vision de concevoir une entreprise et aussi dans sa gestion, le suivi et la formation. Donc, on verra bien.
Les affaires judiciaires qui concernent actuellement Monsieur Tapie ne vous freinent pas ?
F.F. Non. Je n’ai pas à m’immiscer dans une procédure qui est en cours. Mais si vous voulez savoir si, oui ou non, je pourrais m’investir dans un projet avec Bernard, je vous dis oui tout de suite. Et ce ne sont pas ses procédures judiciaires qui peuvent m’en empêcher.
Bernard Tapie, visiblement, vous avez toujours la niaque d’entreprendre. Vous n’êtes pas fatigué ?
B.T. (Il sourit) Je suis à la retraite.
F.F. (Rires) Vous en doutiez ? Un homme comme lui… qui a une telle pêche ?
B.T. J’ai la pêche parce que je la prends. Là, je n’ai qu’une envie, c’est de me coucher. Mais si je me couche, c’est fini. Je vais vous confier quelque chose. Il y a une idée reçue qui est mauvaise et qui est celle-ci : si vous entendez dire que le moral joue un rôle essentiel dans des maladies telles que le cancer, sachez que c’est une connerie totale ! Le moral ne peut rien y faire. Vos cellules cancéreuses sont tellement actives et tellement vicieuses qu’elles commencent par se nourrir de ce qui vous nourrit le plus, comme le sucre. Elles vous captent vos sources d’énergie. Si vous ne vous donnez pas les moyens de filer à vos cellules saines au moins autant d’énergie que ce que les autres vous bouffent, alors c’est fichu. Et comment leur donne-t-on de l’énergie ? En bougeant, en faisant des activités, du sport, en montant les escaliers, en parlant, en réfléchissant… C’est ça, l’énergie ! Le moral, on s’en fout. Si j’ai le moral et que je reste allongé toute la journée, mes cellules saines n’auront aucune énergie et elles vont se faire becqueter. En revanche, si je n’ai pas le moral parce que je vis des moments durs, mais que je fais du vélo, que je bouge et que je fais des conférences, alors là, j’emmerde mes cellules cancéreuses. Je leur dis : toi, cancer, tu ne vas pas me la faire, je vais te péter la gueule !
F.F. Tu es un mec terrible…
Qu’y a-t-il après la mort, Bernard Tapie ?
B.T. J’ai la conviction intime qu’on ne meurt pas. On se transforme. Voilà, chef !
Propos recueillis par Frédéric Brébant
Profil: BERNARD TAPIE
• 75 ans.
• Titulaire d’un baccalauréat de technicien en électronique, il tente une brève de carrière de chanteur au milieu des années 1960 sous le nom de Bernard Tapy, avant de se lancer dans la vente de postes de télévision.
• Entrepreneur dans l’âme, il se spécialise dans le rachat d’entreprises en dépôt de bilan (Terraillon, Testut, Wonder, Donnay, etc.) et devient célèbre grâce à l’émission télé Ambitions qu’il anime au milieu des années 1980.
• Il multiplie ensuite les défis et les casquettes, reprenant aussi bien la gestion d’un grand club de football (l’Olympique de Marseille avec lequel il gagnera la Ligue des Champions en 1993) qu’une société mythique comme Adidas qu’il replace sur l’échiquier mondial des marques de sport au début des années 1990.
• Il s’engage aussi en politique, d’abord comme député, puis comme ministre de la Ville sous François Mitterrand en 1992 et en 1993, avant d’être élu député européen en 1994.
• Empêtré dans plusieurs scandales judiciaires (affaire Adidas-Crédit lyonnais, le match truqué OM-Valenciennes, etc.), Bernard Tapie fait quelques mois de prison en 1997 et choisit ensuite de se reconvertir dans une carrière de comédien au théâtre et au cinéma.
• De retour au business à la fin des années 2000, il devient notamment actionnaire du groupe Hersant Média et s’attelle à la restructuration du journal La Provence.
Profil: FRANÇOIS FORNIERI
• 56 ans.
• Ingénieur chimiste diplômé de l’Institut supérieur industriel liégeois (ISIL). Premiers pas professionnels au sein de la société pharmaceutique Sanofi comme délégué commercial en 1986, puis chez Schering, le leader mondial de la contraception.
• Création en 1999 de la société Mithra avec Jean-Michel Foidart, professeur de gynécologie à l’université de Liège.
• Portée par un chiffre d’affaires de 14 millions d’euros en 2010, l’entreprise liégeoise spécialisée dans la santé féminine n’a jamais cessé d’augmenter ses ventes et affiche aujourd’hui un chiffre d’affaires qui flirte avec les 50 millions d’euros. Elle compte environ 200 employés et compte tripler ses effectifs d’ici 2020.
• Mithra possède dans son portefeuille des blockbusters potentiels, c’est-à-dire des médicaments susceptibles d’atteindre le milliard d’euros de chiffre d’affaires par an, comme sa pilule contraceptive Estelle qui sera commercialisée en 2020 sur les marchés russe et européen, ou encore son traitement hormonal Donesta contre les effets de la ménopause (commercialisation prévue en 2022).
• Au moment de son introduction en Bourse en 2015, Mithra valait 360 millions d’euros. Sa capitalisation boursière dépasse aujourd’hui le milliard d’euros.
• François Fornieri a été élu Manager de l’Année par Trends-Tendances en 2011.