De Stone Island à Helly Hansen en passant par Fred Perry, certaines griffes iconiques voient leurs logos détournés en symboles politiques. Entre récupération idéologique et stratégie de défense, les marques peinent à maîtriser leur image face à une hype toxique.
Lorsque Tommy Robinson, figure de l’extrême droite britannique, défile à Londres vêtu d’une veste Stone Island, il transforme la boussole de la marque italienne en emblème politique. Fred Perry, confrontée à l’adoption de son polo noir et jaune par les Proud Boys, a dû retirer le modèle du marché. En France, Helly Hansen s’est retrouvée au cœur d’une polémique lorsque ses doubles “H” ont été interprétés comme un “Heil Hitler” codé après avoir été portés par un député du RN.
Ces “dog whistles”, signaux discrets mais lisibles par les initiés, ne datent pas d’hier. Depuis les années 1990, l’extrême droite allemande détourne des logos de marques grand public : le “N” de New Balance ou les lettres “NSDA” dans Lonsdale rappellent au passage l’acronyme du parti nazi. En 2016, les baskets New Balance en ont reçu une seconde couche avec un bad buzz lorsqu’elle ont fait l’objet d’une appropriation par les supporters de Trump, désignées «chaussure officielle des blancs» selon un site populaire d’extrême droite.
De la culture “casuals” à la “mode politique”
L’origine du phénomène remonte aux années 1980, quand les “casuals” britanniques — supporters de football cherchant à échapper aux contrôles policiers — troquent les survêtements pour des marques premium comme Burberry, Lacoste ou Stone Island. Le vêtement devient alors un signe d’appartenance sociale et tribale, un langage codé qui perdure aujourd’hui dans certaines franges radicalisées.
Les marques ripostent, entre courage et prudence
Face à ces dérives, quelques marques osent la contre-offensive. Lonsdale a frappé fort avec sa campagne “Lonsdale Loves All Colours”, célébrant la diversité et sponsorisant des initiatives antiracistes. Fred Perry et New Balance ont publiquement condamné les groupes extrémistes qui tentaient de s’approprier leurs produits.
D’autres, comme la marque française Terre de France, ont au contraire choisi d’assumer leur ancrage politique, sponsorisant ouvertement des influenceurs d’extrême droite. En Italie, la marque Pivert est elle aussi délibérément devenue un signe d’appartenance.
Une bataille pour les symboles
Selon la sociologue Cynthia Miller-Idriss sur CNN , « la mode est devenue le nouveau camouflage de l’extrême droite ». Plus l’apparence est soignée, plus le message politique se fond dans la norme. Pour les marques, la question devient existentielle : comment réagir sans transformer un microphénomène en crise d’image mondiale ?
C’est pourquoi la majorité des entreprises préfèrent le silence : parler, c’est risquer d’amplifier le scandale.
L’impossible neutralité
Comme le rappelle le professeur Gordy Pleyers (UCLouvain) dans Le Vif, les marques ne sont pas neutres : « Porter une marque, c’est souvent dire quelque chose de soi : de son statut, de ses valeurs, de son appartenance. » Qu’il s’agisse d’une Rolex, d’une parka Patagonia ou d’un tee-shirt Che Guevara, nos vêtements véhiculent des postures idéologiques, parfois malgré nous.
Dans un monde où tout se lit — logos, couleurs, coupes —, les marques ne contrôlent plus le message qu’elles envoient. Ce ne sont plus seulement des vêtements que l’on porte, mais des récits, des appartenances et, parfois, des idéologies douteuses.