David Solomon (CEO Mithra): Le conflit entre actionnaires et administrateurs? “Pas besoin d’en faire un drame!”

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Pour le patron de Mithra, l’essentiel n’est pas la révocation de quatre administrateurs lors de la dernière assemblée des actionnaires, mais le potentiel de l’entreprise dans le domaine de la santé féminine et le fait que Mithra attire des investisseurs.

Ces derniers temps, Mithra a été dans l’actualité parce que quatre administrateurs indépendants ont été révoqués par un groupe d’actionnaires parmi lesquels on trouve le fondateur et ancien CEO et toujours premier actionnaire de l’entreprise biotech liégeoise, François Fornieri.

Les quatre administrateurs avaient été mandatés par Mithra pour renégocier la dette que la société avait à l’égard des actionnaires de la société Uteron, au sein de laquelle on retrouve François Fornieri et d’autres actionnaires familiaux de Mithra. C’est à Utero que Mithra a acheté les droits sur la pilule Estelle et sur l’estétrol, un œstrogène particulier. Les administrateurs estimaient que l’ampleur de cette créance de 185 millions mettait en péril l’existence de Mithra qui a déjà dépensé un demi-milliard d’euros de cash et qui affichait fin juin des fonds propres négatifs. Depuis lors, le fonds Armistice est entré au capital à hauteur de 20 millions d’euros, avec une option pour accroître encore sa participation.

Nous avons interrogé David Horn Solomon, le CEO de Mithra depuis le mois d’avril, sur ce conflit. Il considère cet épisode comme un épiphénomène : “Oui, nous avons des obligations à l’égard de créanciers, notamment des ‘Uteron Sellers’, et nous allons les remplir. Nous pouvons trouver un accord avec les Uteron Sellers, je suis sûr que les représentants des Uteron Sellers et moi-même pourrons trouver un bon accord. Pas besoin d’en faire un drame”.

Il ajoute : “Dans les sociétés cotées, ce type de conflit arrive régulièrement, spécialement entre administrateurs et actionnaires, mais cela nous éloigne de l’essentiel, qui est le futur de Mithra et ses potentialités”.

TRENDS TENDANCES. Justement quel est le futur de Mithra ?

DAVID H. SOLOMON. Mithra est une entreprise qui possède d’excellents actifs. Elle détient un produit comme Estelle qui nécessite des approbations, et son développement ne se fait pas sans douleur. Mais dans l’industrie pharmaceutique, les sociétés qui sont dans la situation de Mithra trouvent leur succès et nous le trouverons aussi. En 2023, la société aura 23 millions de revenus. C’est le rêve de très nombreuses biotechs aux États-Unis ou en Europe. Avoir des actifs (des médicaments), avoir les agréments et générer les revenus. La question n’est pas dans le conflit entre certains administrateurs et certains actionnaires, mais dans l’analyse du business de Mithra et des opportunités de son écosystème et dans la recherche des moyens pour atteindre un grand succès. Et nous y arriverons. Mark my words ! Nous avons une équipe très compétente, nous avons réussi un deal clé avec Armistice, qui apporte des fonds propres.

Nous devons développer notre business avec une base d’actionnaires appropriée, un suffisamment de fonds propres et suffisamment de produits dans le pipeline

Il faut se focaliser sur ce qui importe : un bon produit, sûr, bien toléré dans la contraception (Estelle), un produit pour traiter les effets de la ménopause dont le dossier d’agrément auprès de la FDA (Donesta), Myring, l’anneau contraceptif, et Tibelia, un produit qui soulage lui aussi les symptômes de la ménopause et qui est déjà commercialisé. Cela – avec un nouveau pipeline (Mithra a deux autres médicaments en stade d’études précliniques) et de nouveaux partenariats- permettra à Mithra d’oublier ce petit désordre actuel et d’engranger des succès significatifs. Mais nous devons aller au-delà et faire de Mithra une entreprise performante.

Comment aller dans ce sens ?

Vous avez vu que nous avons pu lever 20 millions d’euros de fonds propres auprès d’Armistice, et que nous avons la possibilité de lever jusqu’à 45 millions d’euros supplémentaires. Ce n’est pas de la dette, c’est du cash, c’est du capital qui a été levé à un prix fixe (2 euros l’action), dans des conditions qui nous sont compréhensibles et qui sont différentes de certaines transactions réalisées dans le passé.

En ce qui concerne notre position de liquidité, elle est détaillée dans nos derniers résultats semestriels. Notre position est bonne et nos auditeurs ont dit que nous avions assez de liquidités pour les 12 prochains mois. C’est ce qui est important. Aux États-Unis, il y a énormément de sociétés en pertes qui sont des sociétés très viables. Amazon en est un exemple : elle a été en perte longtemps, mais a bâti un système qui fait qu’aujourd’hui tout le monde en a besoin d’Amazon. Pour Mithra, nous devons développer notre business avec une base d’actionnaires appropriée, un suffisamment de fonds propres et suffisamment de produits dans le pipeline.

Mais n’y a-t-il pas un déséquilibre entre d’une part ce qui a été payé pour développer Estelle (le produit phare), soit 500 millions d’euros, 40 millions de nouvelles actions et encore des obligations de paiements aux Uteron Sellers qui aujourd’hui sont de 185 millions, face aux revenus modestes de Mithra : 23 millions d’euros cette année ?

Vous pouviez dire la même chose de Merck qui a développé la première statine pour soigner le cholestérol et dont le développement a coûté 1,6 milliard et qui n’a pas rapporté grand-chose au début de sa commercialisation. Toute nouvelle médecine doit attirer le public et c’est difficile parce que les frais de développement coûtent cher.

Et bravo à Mithra d’avoir réussi à rassembler divers moyens pour financer son développement ! Le lancement commercial d’un produit pharmaceutique n’est pas une chose aisée. Ce n’est pas parce que vous avez l’approbation des autorités que l’année suivante vous allez générer 300 millions de revenus. La courbe ressemble plutôt à celle d’une crosse de hockey : c’est plat pendant un moment, puis cela monte brusquement.

Nos partenaires nous demandent de fournir beaucoup d’échantillons pour convaincre les femmes, qui sont loyales ou habituées à un produit, de changer pour un autre. Vous devez donc avoir ces échantillons, convaincre le corps médical que ce produit va réduire le risque de cancer du poumon, réduire les problèmes de foie, etc.

C’est notre cœur de métier: développer des produits vraiment innovants, non pas commercialiser des produits à faible marge

Si je reprends l’exemple des statines, c’est Crestor, la sixième, qui a finalement été couronnée par le plus de succès. Ce n’est pas la première. Tout cela pour dire que lancer un nouveau médicament est un processus complexe. Mais nous trouverons avec le personnel et nos partenaires le chemin pour augmenter les revenus d’Estelle. Nous savons déjà que les prescriptions augmentent aux États-Unis avec une croissance de 80% ce semestre par rapport au deuxième semestre 2022. Il y a un intérêt pour Estelle, et il grandit. Parallèlement, le partenariat est la clé. Et je suis sûr que nous pouvons développer notre plateforme de développement de solutions pour la santé féminine.

Cette plateforme a du potentiel ?

Je prends un exemple : les femmes qui souffrent du syndrome des ovaires polykystiques présentent des règles irrégulières et un manque d’ovulation. Malheureusement, ces femmes n’ont souvent pas la possibilité d’avoir d’enfants. Il y a des produits qui pourraient aider ces femmes, c’est cela l’innovation, et c’est ce type d’innovations que j’aimerais que Mithra apporte, au-delà du succès de Donesta. C’est notre cœur de métier : développer des produits vraiment innovants, non pas commercialiser des produits à faible marge. Par le passé, l’entreprise était centrée sur la Belgique, ce qui était bien, mais nous devons être plus globaux et faire partie de l’écosystème pharma-biotech mondial et trouver des partenaires pour accroître nos revenus. C’est ce que nous allons faire.

Mais Mithra possède également une plateforme CDMO, une usine prestataire de services pour d’autres laboratoires, mais qui pour l’instant n’est pas rentable. Quel est l’avenir de cette plateforme ?

Des discussions sont en cours.

Pour vendre ?

Aucune décision n’a été prise. La solution sera peut-être de former une joint-venture avec une autre entreprise. Quand nous ferons une annonce, ce sera clair pour le marché. Aujourd’hui, ce que nous pouvons dire est que nous regardons diverses solutions concernant l’opportunité pour Mithra d’utiliser cette plateforme CDMO d’une manière stratégique. Nous discutons avec les leaders dans le domaine pour trouver une solution. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour. Je suis CEO depuis six mois, et nous avons déjà accompli beaucoup !

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