Paul Vacca
“Comment réussir un hold-up à 450 millions de dollars?”
Aujourd’hui, pour réussir un casse dans le monde de l’art, plus besoin de dévaliser une galerie ou un musée. Trop dangereux. Ni de s’ingénier à réaliser un faux tableau. Trop risqué. Mieux vaut en fabriquer un vrai.
C’est à peu près l’histoire du Salvator Mundi, tableau obscur cédé en 1956 pour 45 livres sterling – environ 500 dollars d’aujourd’hui – dans une vente aux enchères pour être finalement adjugé en 2017 à 450 millions de dollars chez Christie’s comme un Léonard de Vinci, devenant ainsi le tableau le plus cher de l’histoire. Soit le récit d’un inside job, comme on appelle les hold-up organisés de l’intérieur. Un Ocean’s Eleven parfaitement légal impliquant plusieurs personnes du monde de l’art qui a permis de transformer un tableau en ruines – et sans l’éclat ” léonardien ” selon certains experts qui l’ont vu avant restauration – en un flamboyant Léonard de Vinci.
Tout commence par un simple mail reçu en 2008 par Martin Kemp, professeur d’histoire de l’art à Oxford, spécialiste reconnu de Léonard de Vinci, auquel il n’aurait pas dû répondre tant il est bombardé continuellement de sollicitations du monde entier concernant l’auteur star de La Joconde. Mais comme celle-ci émane de Nicholas Perry, le directeur de la National Gallery, il prend la peine de répondre et de se déplacer pour voir le tableau où l’on devine plus qu’on ne voit un Christ portant une boule de cristal. Kemp avouera malgré l’état déplorable et brumeux de la toile avoir ” ressenti comme une présence physique du même ordre que celle que j’ai sentie face à Mona Lisa “. Il appellera cela le ” zing ” tant il s’agissait pour lui d’un sentiment inexplicable et totalement irrationnel.
Reste que l’on ne débourse pas 450 millions de dollars pour un tableau à partir d’un simple ” zing “, fût-il celui d’un expert reconnu. C’est là que la notion de travail d’équipe va se révéler payante pour réussir le hold-up.
Il faut savoir que notre conception moderne de l’auteur n’est pas celle qui prévalait à la Renaissance. Les ateliers dans lesquels les artistes honoraient des commandes sont plus comparables aux agences d’architecte et de design d’aujourd’hui, où le créateur dessine juste les croquis. Le rôle concret de l’artiste en question dans l’exécution du tableau est donc déterminant car notre idée moderne de l’auteur – et donc le prix du tableau – est liée à la personne.
Aujourd’hui, pour réussir un casse dans le monde de l’art, plus besoin de dévaliser une galerie ou un musée, ni de s’ingénier à réaliser un faux tableau. Mieux vaut en fabriquer un vrai.
Entrent alors en scène l’équipe chargée des certifications écrites. En effet, on peut conjecturer qu’il y a plus de chances que l’artiste ait tenu le pinceau si la commande émane d’un client important. Il est logique qu’il s’implique plus dans l’exécution d’une commande pour le roi de France – comme c’est censé être le cas du Salvator Mundi – que pour celle d’un simple marchand de province. Mais ici, nulle trace écrite de commande et encore moins de contrat.
Le relais passe alors aux experts chargés de retrouver la ” griffe ” de l’artiste dans le style même de l’oeuvre. Pas si simple. Cela implique de comparer avec les ” canons ” de l’artiste – sa façon habituelle de procéder. Mais des biais apparaissent : l’artiste a naturellement pu changer de style durant sa carrière – c’est le propre d’un artiste – et prouver qu’il est conforme aux canons pourrait paradoxalement mener à la thèse d’une copie par un membre de l’atelier. Ici encore, ce sera chou blanc.
C’est alors à l’équipe chargée de la restauration de s’investir. Et cela tombe bien, le tableau était en très piteux état – rappelons qu’il avait valu 46 livres sterling à l’origine. Or, la restauration est loin d’être, comme on le pense souvent, une simple restauration. On répare des ” pertes “, on crée des ” ponts de consolidation “, on effectue des ” intégrations “, autant de termes qui montrent qu’il s’agit plus d’une recréation que d’une simple restauration d’un état ancien. Plus précisément, une restauration fait l’hypothèse d’un état jugé initial. Et, tout naturellement, les options prises par l’équipe de restauration ont visé – sous la pression amicale des propriétaires évidemment – à rendre la peinture ” convaincante “. Opération réussie : après sa restauration le tableau ressemble parfaitement à l’idée que l’on se fait d’un véritable Leonardo.
Et en 2017, Walter Isaacson, célèbre auteur d’une biographie de Steve Jobs, intègre un chapitre sur le Salvator Mundi dans son ouvrage sobrement intitulé Léonard de Vinci : la biographie. Apportant ainsi sa dernière touche à un hold-up parfait.
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