Comment la Wallonie veut propulser son industrie aérospatiale

Yves Delatte (Sonaca). préside le nouveau Groupement des industries wallonnes aéronautiques et spatiales (Giwas), lancé le 24 septembre dernier. © PG
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Qui connaît vraiment les entreprises wallonnes dans l’aérien et le spatial ? Trop peu de monde. La création du groupement Giwas vise à mieux coordonner et faire connaître ce secteur qui va vivre un fort développement.

Pas assez connues, les entreprises aéronautiques et spatiales wallonnes ? C’est l’avis d’Yves Delatte, CEO de la Sonaca, grand acteur de la Région dans la fabrication d’aérostructures pour Airbus et Boeing. Il préside une nouvelle fédération, le Giwas (Groupement des industries wallonnes aéronautiques et spatiales), lancée lors d’une journée de conférences et une soirée de gala, à l’aéroport de Liège, le 24 septembre. L’invité vedette n’était autre que l’astronaute français Thomas Pesquet.

Elle voulait devenir pilote de chasse, mais…

La partie dédiée aux conférences a attiré plus d’un millier d’étudiants, que les témoignages d’une pilote de F-16 (et bientôt de F-35), Navix (son pseudonyme), un patron de start-up d’avions taxis autonomes, Sébastien Vigneron, ou une youtubeuse des métiers de l’aérien, Élodie Brunot, étaient venus galvaniser.

“Je voulais devenir pilote de chasse. Mais j’ai dû renoncer car je ne mesurais pas 1m60, comme l’exige l’armée de l’air en France. J’étais un peu perdue, je n’avais imaginé rien d’autre comme métier dans l’aérien, a notamment expliqué Élodie Brunot. Je me suis renseignée, je suis devenue ingénieure dans le secteur, dans la maintenance de train d’atterrissage chez Safran. J’ai vu qu’il y avait des centaines de métiers méconnus.” Elle travaille désormais quatre jours par semaine chez Safran, et un jour comme influenceuse. Elle réalise des vidéos très suivies sur YouTube dans lesquelles elle explique les métiers de l’aérospatiale.

“Les défis hors norme de la décarbonation”

“Je souhaite que l’on parle plus du secteur, qui arrive à un moment charnière, avec des défis hors norme : la décarbonation de l’aviation et le rattrapage du retard de l’industrie spatiale européenne par rapport à celle des États-Unis, le développement du New Space (nouvelle industrie spatiale dominée par des acteurs privés, ndlr) et celui de la défense, a pour sa part expliqué Yves Delatte, qui prendra le premier tour de la présidence tournante du Giwas. Ce sont des révolutions qui créent des opportunités pour l’industrie wallonne.”

“Nous devons attirer les jeunes dans ces filières, les encourager à se former, en particulier les jeunes filles, dans la filière STEM : Science, Technology, Engineering, Mathematics, a-t-il ajouté. Il y a des centaines d’emplois à la clé.”

Les entreprises actives dans l’aéronautique et le spatial ne manquent pas en Wallonie, avec la Sonaca, Orizio (Sabca notamment), Spacebel, Thales Belgium, et une petite dernière prometteuse, Aerospacelab, qui construit des satellites. Le secteur compte aussi beaucoup de PME.

Les entreprises étaient regroupées dans deux fédérations wallonnes : l’EWA (Entreprises wallonnes de l’aéronautique) et Wallonie Espace. Yves Delatte les préside toutes les deux. Il semblait plus logique de regrouper ces organisations qui faisaient peu parler d’elles et d’élargir leur base. Ainsi, les aéroports de Charleroi et de Liège font partie de Giwas. La fédération comprend 68 membres, en majorité des entreprises, dont FN Herstal. Le groupement compte aussi des universités ou encore des centres de recherche. Il représente un chiffre d’affaires de plus de 3,5 milliards d’euros et plus de 11.000 emplois.

Source d’inspiration : le Gifas français

“Notre source d’inspiration est le Gifas français, l’organisateur du Salon du Bourget, a poursuivi Yves Delatte. Il existe depuis au moins 110 ans, est très structuré et défend très bien les intérêts de la filière aéronautique et spatiale dans l’Hexagone. J’ai rencontré le patron du Gifas. Nous voulons créer son petit frère wallon.”

“Le secteur est fondamentalement une grande famille, et le Gifas organise ce compagnonnage. Les grands patrons du secteur se réunissent tous les mois, derrière des portes fermées, au sein du Gifas, et règlent leurs problèmes, a illustré Marwan Lahoud, ancien président du groupement français et chief strategy et marketing officer d’Airbus. Cela explique que la filière est l’une des mieux organisées en France, et même au monde.” Il ajoute : “Il y a des capacités incroyables en Wallonie. Je le sais : j’en ai été client.”

“Il y a des capacités incroyables en Wallonie. Je le sais : j’en ai été client.”- Marwan Lahoud (ex-Airbus, ex-Gifas)

Pourquoi une fédération wallonne et non belge ? “Parce que l’économie est régionalisée, pointe Yves Delatte. Et que l’épicentre de cette industrie, en Belgique, se situe en Wallonie. Mais nous souhaitons développer des partenariats avec l’industrie en Flandre.” Du reste, certains membres, comme Sabca, sont actifs dans les trois Régions du pays. Le Premier ministre, Bart De Wever, est intervenu le 24 septembre en vidéo avec d’autres politiques pour adouber la création du Giwas. “L’expertise wallonne est connue et reconnue. Pour relever les nombreux défis et assurer leur développement, ces entreprises ont besoin de vous”, a-t-il notamment déclaré aux étudiants qui assistaient aux conférences.

Pourquoi un tel manque de notoriété ?

Si l’on connaît mal chez nous les entreprises représentées par le Giwas, ce n’est pas totalement en raison d’un manque de communication. La plupart produisent des éléments d’avions, de fusées ou de satellites. Mais un morceau d’aile ou des actuateurs de fusée ne parlent pas à l’imagination comme le fait un Airbus A350, une fusée Ariane 6 ou un avion Rafale. “Cela nous déforce de n’avoir pas de société sortant des produits finis, mais cela va changer”, a encore assuré Yves Delatte.

La société Aerospacelab a déjà produit quel-ques satellites, et elle compte en fabriquer en quantité. Que fera le Giwas ? Il prendra des initiatives, à travers des groupes de travail, pour mieux coordonner l’action du secteur, sur la formation, sur les PME, etc. “Nous voulons les accompagner dans leurs relations avec les grandes entreprises. Afin qu’elles deviennent des scale-up, voire elles-mêmes de grandes entreprises”, conclut Yves Delatte.

Le modèle français: le Gifas

Le modèle du Giwas wallon, le Gifas français, a été créé en 1908. Il compte 519 membres (dont Airbus et Dassault), représente un chiffre d’affaires global de 77,7 milliards d’euros pour 2024 et occupe 222.000 personnes. Son activité la plus connue est le Salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget (International Paris Air Show), l’un des plus connus au monde. Il est présidé par Olivier Andriès, directeur général de Safran, qui a succédé au patron d’Airbus, Guillaume Faury, et emploie 45 collaborateurs.

Le Gifas représente le secteur auprès du monde politique et des institutions européennes. Son poids est considérable puisqu’il co-construit, avec les pouvoirs publics, la politique industrielle de la France dans ses secteurs d’expertise. Le Gifas a, entre autres, lancé une campagne de promotion des emplois et des formations dans l’aérospatial (laerorecrute.fr) ou encore créé un club de start-up, Startair.

Le Gifas compte aussi un médiateur pour tenter de régler les “frictions entre acteurs de la filière, entre petits et grands, mais aussi entre égaux”, indique-t-il sur son site.

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