Comment la fièvre des paris s’est emparée du sport
Impossible aujourd’hui de suivre une manifestation sportive comme l’Euro 2016 sans être bombardé de propositions de paris. Et de s’intéresser à ce sujet sans voir sa boîte e-mail inondée de publicités. Un marketing parfaitement huilé a permis au secteur de profiter de la popularité de certains sports et du numérique.
A l’occasion de l’Euro, les sociétés de paris sortent l’artillerie lourde. Pour elles, les manifestations de grande ampleur sont de véritables mines d’or. En pleine fièvre footballistique, il nous paraît opportun de nous pencher sur ce nouveau phénomène. Nous examinerons le secteur et, surtout, le segment des paris sportifs en ligne, sous divers angles, et verrons comment ces activités font gagner de l’argent aux sociétés spécialisées ainsi que, parfois, aux parieurs.
Big business
Internet, les progrès technologiques et des budgets publicitaires colossaux ont rendu les paris sportifs plus populaires que jamais. Presque exclusivement limités aux sports équestres il y a quelques dizaines d’années, les paris sont aujourd’hui un business à 10 chiffres. Le secteur dans son ensemble a achevé l’exercice 2015 sur une croissance de 4 à 5 % mais celui des paris en ligne a bondi de 10 à 15 % en moyenne – voire plus, pour certains groupes. Les paris sportifs représentent aujourd’hui 20 % du marché européen des jeux de hasard (loteries, machines à sous, bingo, casino en ligne, etc.)
Début mai, l’improbable victoire de Leicester en Premier League a contribué à booster un peu plus encore le secteur. Il faut dire qu’à l’ouverture de la compétition, les bookmakers ne donnaient pas cher de ce club, coté à 5.000 contre 1. Les parieurs qui avaient tenté leur chance en août dernier ont eu le nez creux. Bien que plusieurs opérateurs aient perdu beaucoup dans l’aventure (on parle d’une perte cumulée de 20 millions de livres sterling), l’industrie du pari en ligne ne pouvait rêver meilleure promotion. Elle peut aujourd’hui continuer à prétendre qu’une mise minime peut rapporter très gros.
L’interdépendance entre les offreurs de paris sportifs et le monde du sport lui-même s’est considérablement intensifiée ces dernières années. Alors que l’on ne recensait, en 2003, au niveau des cinq principaux championnats européens de football (Allemagne, Angleterre, France, Italie, Espagne), qu’un seul sponsor issu du secteur pour les maillots, ils sont aujourd’hui plus d’une quarantaine. L’évolution, dans les autres disciplines, est identique. Idem pour les pubs qui entourent les terrains et celles proposées avant, pendant et après les rencontres, dans lesquelles le secteur investit abondamment. Le marketing est un outil précieux pour l’industrie des paris, qui lui consacre plus de 25 % de ses revenus.
Cotées en Bourse
Nombre de sociétés de paris sont cotées en Bourse. Nous avons repris dans un tableau les principaux acteurs du secteur des paris sportifs (activité génératrice de la majorité des revenus pour la plupart des groupes). Ils étaient bien plus nombreux encore auparavant, mais l’heure est aujourd’hui à la consolidation. Plusieurs acquisitions ont eu lieu ces deux dernières années. Ainsi, en 2015, Gala Coral a été repris par Ladbrokes pour 2,3 milliards de livres, Betfair et Paddy Power ont fusionné pour 6 milliards de livres et la société de private equity GVC, sise au Luxembourg, a acquis Bwin.party.
Les raisons de cette vague de consolidations sont évidentes. D’une part, la croissance du secteur n’est plus ce qu’elle était – si pas au niveau des paris sportifs, du moins dans d’autres segments du marché – un problème auquel l’industrie espère remédier en créant des avantages d’échelle. D’autre part, les dépenses de marketing, les impôts et la concurrence pèsent de plus en plus lourd et la législation se fait partout plus stricte. De nombreux intervenants se mettent donc en quête de synergies. Comme beaucoup sont mutuellement complémentaires, les consolidations leur permettent de sabrer dans les dépenses.
En Bourse, la plupart de ces opérateurs s’en sortent très bien. Unibet, quasi exclusivement spécialisé dans les paris sportifs en ligne, tire particulièrement son épingle du jeu. D’autres groupes comme GVC Holdings et Paddy Power Betfair, qui peuvent s’enorgueillir de reprises réussies, enregistrent eux aussi d’excellents résultats. Seuls William Hill et Bettson échouent à suivre le mouvement. William Hill, dont les chiffres ont été récemment publiés, souffre notamment de la concurrence croissante entre bureaux de paris physiques (ils sont 2.370 rien qu’au Royaume-Uni) et de l’augmentation des montants des gains. Bettson déplore lui aussi un ralentissement de la croissance de ses agences.
Le marché belge
En Belgique, les offreurs de paris sportifs, surtout virtuels, poussent comme des champignons depuis quelques années. Pour mettre fin à cette prolifération sauvage et séparer le bon grain de l’ivraie, le pays s’est doté en 2011 d’une législation sur les jeux de hasard. Impossible désormais de proposer des paris sans disposer d’une autorisation officielle de la Commission des jeux de hasard, chargée d’attribuer les licences et de contrôler le marché. Seuls les sites arborant la licence F1+ sont habilités à proposer des paris sportifs en ligne. Vingt et une enseignes sont actuellement en possession de ce sésame. Il s’agit de groupes internationaux, comme Unibet et Tipico, mais aussi d’acteurs locaux, comme la Loterie Nationale et Napoleon Games. La liste des intervenants agréés figure sur le site de la Commission des jeux de hasard (www.gamingcommission.be). Il s’agit des seuls sites sur lesquels les Belges sont autorisés à verser de l’argent et à jouer : aller voir ailleurs est punissable. Loin d’être un chat qui dort, la Commission a d’ores et déjà sévèrement pénalisé certains de nos compatriotes qui avaient pris des libertés avec la loi.
Sur quoi parier, et comment ?
On peut parier sur quasiment tous les sports et toutes les manifestations sportives, depuis le foot jusqu’au tennis en passant par des disciplines moins suivies, comme le snooker ou les fléchettes. Les possibilités sont infinies. De surcroît, le jeu ne consiste plus seulement à savoir qui va gagner ou perdre : les détails les plus impensables, comme l’équipe de football qui encaissera le plus de corners ou le tennisman qui réalisera le plus d’aces, peuvent faire l’objet d’enjeux. Le choix est énorme. Les types de paris sont par ailleurs extrêmement variés. Ainsi existe-t-il des paris simples et des paris multiples. Dans le premier cas, vous misez sur un certain résultat, et l’affaire est close. Dans le second, vous pariez sur plusieurs événements ; si vous avez raison sur absolument toute la ligne, les gains sont majorés – c’est si l’on peut dire le principe des intérêts composés. Naturellement, plus les événements sont nombreux, plus il est difficile de gagner, car une seule erreur fait tout capoter. Il existe d’autres types de paris encore, comme le système Trixie, le Yankee, l’Asian Handicap, etc.
La formule des “odds compilers”
La société cote tous les paris qu’elle propose, en fonction des mises d’ores et déjà enregistrées et des événements susceptibles d’influencer la compétition (blessures et condition des joueurs, suspensions, etc.) Les calculs sont effectués par des odds compilers (“coteurs”), employés par l’entreprise pour examiner et interpréter les données, à la lumière de tous les paramètres disponibles – chaque odds compiler ayant toutefois une perception légèrement différente, les cotes, pour une même compétition, peuvent varier selon les opérateurs.
La cote traduit la probabilité de survenance d’un événement donné. Plus elle est proche de 1, plus cette probabilité est élevée. Elle est également le chiffre par lequel la mise peut être multipliée. Avant l’Euro, Unibet, par exemple, promettait de multiplier votre mise par 11 si la Belgique devient championne d’Europe. Si vous aviez parié sur l’Irlande du Nord, qui n’avait a priori aucune chance et est d’ailleurs éliminée, vous aviez la possibilité de remporter 501 fois votre mise.
La société de paris se rémunère en prenant une marge de quelques pour cent sur toutes ses cotations. Prenons un exemple simple. Imaginez un match de tennis entre notre compatriote David Goffin et le Britannique Andy Murray. L’odds compiler estime que Goffin a 60 % de chances de gagner et Murray, 40 %, ce qui représente des cotes de 1,67 pour le premier et 2,5 pour le second.
Mais compte tenu de sa marge de 5 % (par exemple), l’intermédiaire publiera des cotes de 1,59 et 2,38 respectivement. La formule (1/1,59) + (1/2,38) permet de calculer la marge. L’offreur cherche naturellement, en s’appuyant sur ses calculs de probabilités et grâce à la marge bénéficiaire, à enregistrer des gains sur autant de rencontres que possible.
La victoire de Leicester a toutefois démontré la faillibilité du système : il arrive en effet que l’opérateur en soit pour ses frais.
Stratégie
Contrairement aux apparences, prévoir le résultat d’un événement sportif est loin d’être simple. Les facteurs et paramètres tout aussi susceptibles d’influencer la compétition qu’incontrôlables sont foison. Les multi-gagnants ne se bousculent donc pas au portillon, ce qui n’empêche pas énormément de gens de tenter leur chance. C’est pour eux qu’est apparue cette petite industrie qui consiste à proposer, sur Internet, des stratégies dites gagnantes, à vendre conseils et programmes d’analyse et à passer au crible des séries de chiffres. Les forums de discussion, sur lesquels les parieurs échangent commentaires et réflexions, se sont eux aussi multipliés.
Il est en tout cas vain d’espérer gagner de façon récurrente si l’on néglige quelques règles de base. Si vous voulez tenter votre chance, essayez autant que possible de calculer, plutôt que de deviner. Evitez de mettre tous vos oeufs dans le même panier pour, au contraire, répartir autant que possible les risques – en d’autres termes, ne misez pas tout sur une seule rencontre. Veillez en outre à être aussi précisément informé que possible.
Les gagnants ont généralement consacré beaucoup de temps à chercher l’information, à étudier leur stratégie, à calculer les probabilités, etc. La plupart d’entre eux se spécialisent de surcroît dans un domaine particulier. Ainsi nous sommes-nous entretenus avec un parieur qui, au fil des ans, s’est spécialisé dans la désignation du vainqueur du prochain jeu d’un set sur les courts. Il a passé des journées entières à analyser les statistiques relatives au service des joueurs, et prend des paris stratégiques pendant les matches même. Il affirme qu’il gagne régulièrement, mais que les préparatifs représentent presque un travail à temps plein.
Une chose est sûre : pour le parieur occasionnel, qui joue avec son coeur ou à l’instinct, il est quasi impossible d’espérer remporter le gros lot plusieurs fois de suite. Mais pas de tomber dans l’addiction (chaque site internet indique d’ailleurs où trouver une aide professionnelle). Rappelons que parier doit rester un plaisir.
Francis Muyshondt
PARIER EN TEMPS RÉEL
L’arrivée du smartphone a révolutionné le monde des paris sportifs. Alors qu’auparavant, les bookmakers refermaient leurs carnets au coup de sifflet ou de pistolet, il est aujourd’hui possible de miser en cours de match encore. Les opérateurs, derrière leurs écrans d’ordinateurs, doivent donc se montrer très réactifs. L’information doit leur être expédiée aussi rapidement que possible, pour permettre aux cotations d’être adaptées à la seconde ; à défaut, les parieurs équipés d’un smartphone pourraient profiter d’une cotation déjà dépassée.
C’est la raison pour laquelle lors de tout match de quelque importance, du personnel de l’entreprise ou d’entreprises spécialisées dans la compilation d’informations, est présent dans le stade ou dans la salle pour expédier – contre paiement, en ce qui concerne les seconds – les infos en temps réel aux sociétés de paris. Au départ, l’activité était surtout aux mains des Chinois mais après l’affaire des matches truqués entre le Chinois Zheyun Ye et le Belge Paul Put (Lierse), l’émoi a été tel que l’on ne trouve plus aujourd’hui dans les tribunes que des spécialistes locaux, qui savent se faire discrets.
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